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Chronique : Comment la France a perdu l'Afrique ?, de Stephen Smith
(18/07/2005)
Deux ans après avoir commis "Négrologie, pourquoi l'Afrique se meurt", Stephen Smith revient sur le continent africain. Autopsie d'une désinformation.
Par Rédaction Bonaberi.com

Deux ans après le très controversé Négrologie : Pourquoi l’Afrique se meurt, Stephen Smith, journaliste au journal Le Monde, puis à Libération, revient, accompagné cette fois-ci d’Antoine Glaser, avec un nouvel essai sur l’Afrique.

Même si l’on connaît déjà le style Smith, un tantinet provocateur et ses prévisions souvent très pessimistes sur le devenir du continent, force sera de constater que son nouvel essai, Comment la France a perdu l’Afrique, est une analyse qui mérite d’être découverte et peut s’avérer intéressante suivant la perspective, car riche (et rien qu'en cela) de quelques faits historiques sur l’évolution de la relation de la France - Afrique.


Dès le départ, Smith et Glaser poseront les bases ostensibles du déclin - ou plutôt de la modification du rapport de force - des relations entre la France et ses anciennes colonies en faisant état des évènements qui ont « secoué » la Côte-d’ivoire, en Novembre 2002 (des patriotes du président Gbagbo avaient attaqué et tiré sur l’armée française). Il est pour eux clair que ces évènements (et la crise ivoirienne en général) avaient, aux yeux du grand public, sonné le glas d’une relation France Afrique, chancelante et courant à sa « fin » depuis la fin de la guerre froide et la chute du mur de Berlin.

C’est ce retour aux sources, historiques, sur la manière dont a évolué la relation France Afrique que Smith et Glaser développeront, dans la première partie du livre, peut-être la plus intéressante, car riche de quelques « anecdotes », qui nous rappellent - même si ce n’était pas forcément le but ultime des auteurs -, à quel point la « mission civilisatrice » française, et occidentale en général, fût une vaste escroquerie pour les africains, quoi que leur propos restera quand même assez nuancé à ce sujet.




Dans l'introduction, Smith et Glaser déclareront : « la Françafrique est morte, non pas terrassée par la vertu citoyenne, bien tardive à se manifester, mais de ses hésitations, de son incapacité à s’adapter à l’Afrique et au monde, qui ont profondément changé.» Puis ils s’attèlleront, par la suite, dans la partie intitulée « l’ordre figé de la guerre froide 1945 - 1989 », à retracer le processus historique, les mutations de l’ordre politique international, qui ont scellé le déclin de l’impérialisme français en Afrique. Tout commencera avec la seconde guerre mondiale qui, selon eux, « à travers la lutte commune contre la dictature nazie, jettera les bases de la décolonisation.»

Puis, ils aborderont l’important sujet de l’aide africaine lors des deux guerres, en précisant que les africains ne furent pas toujours des engagés volontaires et que plus souvent que pas assez, on les y obligeait. Ils citeront à cet effet, l’écrivain Malien Bakari Kamian qui rappellait, dans son livre, Des tranchées de Verdun à l’Eglise Saint Bernard (1):

« toute la tragédie vécue par ces hommes à 98% analphabètes, parachutés sans transition de la brousse dans la civilisation de l’écriture et jetés en pâture à un ennemi dont le savoir, l’instruction et le développement matériel en font un des peuples pilotes du monde. », profitant au passage pour ressortir subrepticement les vieux clichés sur l’Afrique peuplée de sauvages et l’Europe, berceau de la civilisation, de la science et du savoir.

Ensuite, les auteurs feront un retour sur la transition qui s’est effectuée à travers le référendum du 28 Septembre 1958 de De Gaulle, pour que, au lieu d’indépendance réelle, l’Afrique se retrouve dans un système de coopération où la France conservera toutes ses entrées sur le continent et la main mise sur les institutions étatiques avec à la clé, des dirigeants africains à sa solde. Les auteurs rappelleront le « non » du guinéen Sékou Touré, le seul de toute l’Afrique francophone, qui avait déclaré au général De Gaulle :

« Il n’y a pas de dignité sans liberté : nous préférons la liberté dans la pauvreté que la richesse dans l’esclavage. ». Et De Gaulle, qui répondra : « L’indépendance est à la disposition de la Guinée (mais) la France en tirera les conséquences. » Par la suite, Sékou Touré et la Guinée seront victimes de la répression française.


Les auteurs « dénonceront » ensuite, très rapidement, les dérives qui ont émaillé de la politique coloniale française en Afrique tels le génocide Bamiléké, les assassinats de Um Nyobé, d’Ernest Ouandié, de Felix Moumié, le rétablissement du président Gabonais Léon Mba au pouvoir, les sempiternelles interventions au Tchad. Ils analysent ces situations pour en arriver à la conclusion que, tout cela n’aurait pu qu’obéir à deux thèses :

- « Schématiquement, qu’un continent chaotique, à la violence atavique, a été maintenu « sous cloche » pendant la guerre froide »

ou que

- « l’Afrique a été le théâtre de guerres de substitutions (…) parce que les super puissances ne voulaient pas s’affronter entre elles. (...)Un bilan reste à faire ».

On sent bien le sous-entendu au loin car quelques lignes plus tard, ils mettent un peu d’huile sur le feu en rajoutant : « Même si « le continent convoité » n’était une vue de l’esprit, l’Afrique a été un enjeu de la rivalité Est-Ouest, une priorité stratégiqueégale à son - modeste - poids international. (…) En fait, seuls trois conflits africains ont réellement mobilisé les protagonistes de la guerre froide.»

Dans la fin de la partie I jusqu’au début de la partie II, intitulée « temps d’espoir, de malheurs », Smith et Glaser revisiteront la relation France Afrique, ses magouilles et ses acteurs. Ils indexeront au passage - ce qui est normal- tous les chefs d’état africains influents de l’époque: Houphouët Boigny, considéré comme un de ses piliers de la « Françafrique », Omar Bongo ou le maréchal Mobutu, et les malversations financières qui les ont éclaboussés en compagnie de, quelques éléments Français prétendument isolés de l’appareil de l’Etat.


Ils - les auteurs - iront malheureusement, comme pour toujours faire porter le chapeau aux uniques africains (à quelques André Tarallo ou Alfred Sirven près) jusqu’à décrire Jacques Foccart comme « le contraire d’un affairiste, d’un de ces profiteurs du système dont les turpitudes finiront par réduire la « Françafrique » à un jeu de mots facile. L’historique « Monsieur Afrique » de l’Elysée ne fut jamais éclaboussé par un scandale financier, même pas rémunéré par la fonction publique (...) » Pour le décrire finalement, quelques pages plus tard, comme « le grand prêtre d’une corruption institutionnalisé », la contradiction sautant aux yeux.

Les auteurs parleront aussi, hormis Foccart, d’autres acteurs français officieux (ou pseudo officiels selon eux) impliqués dans les malversations en Afrique, Bob Denard, Maurice Robert, Charles Pasqua, Jean Christophe Mitterrand, Guy Ponsaillé, etc. et feront en sorte que les relations France Afrique, soient, pour ce qui est des magouilles, des ventes d’armes et des divers trafics, perçues comme le résultat d’une somme d’initiatives individuelles de personnes influentes isolées et non comme d’une stratégie politique savamment développée par l’appareil Etatique français. Et c’est ce qu’ils sous entendront lorsqu’ils parleront « des relations franco africaines se distendant à tel point que les mieux placés jouent leurs cartes individuelles, plutôt qu’une partition de l’Etat. »


Après cela, on rentrera dans le plus pur style « négrologique », tout y passera. Du génocide relativisé du Rwanda, de l’entière responsabilité des noirs qui se tuaient à la machette et de la prétendue simple erreur d’analyse de la France sur la capacité du conflit à dégénérer.

Le président Mitterrand sera même cité, dans son discours à Biarritz du 8 Novembre 1994 pour le sommet France Afrique, où selon les auteurs, il «a mis en exergue l’impuissance du monde à empêcher la répétition de massacres à grandes échelle en Afrique. ». Les mots du feu président français étaient ceux-ci, à méditer ( ?) :

« En vérité, vous le savez, aucune police d’assurance internationale ne peut empêcher un peuple de s’autodétruire, et on ne peut pas demander non plus l’impossible à la communauté internationale, et encore moins à la France tant elle est seule, lorsque les chefs locaux décident délibérément de conduire une aventure à la pointe des baïonnettes ou de régler des comptes à coup de machette. Après tout, c’est de leur propre pays qu’il s’agit. Cela n’excuse rien, et même aggrave, mais comment serions-nous juge et arbitre ? Ce n’est pas tant à la communauté internationale que ces fauteurs de guerre doivent rendre des comptes, mais avant tout à leur peuple, à leurs propres enfants et je crains, dans certains cas, le jugement de l’Histoire». Et cela devant un parterre de chefs d’Etat africains…

La suite du livre, et plus particulièrement la partie III, intitulée « l’après 11 Septembre, France out of Africa » n’épargnera pas les Africains. On assistera à une sorte de « remake » de Négrologie et, la plupart des thèmes, pour certains quelque peu controversés, que Smith y avait développés reviendront, sous forme de constats et de statistiques aux sources souvent inexistantes.


Sur le sujet des forêts, d’après Smith, « huit africains sur dix cuisinent au feu de bois ou au charbon de bois, 85% du bois en Afrique est destiné à la cuisson des aliments », oubliant que ça a toujours été avant tout la déforestation des forêts tropicales par les multinationales françaises (premier importateur européen de bois tropical) qui contribuait à tuer l’environnement, car libérant chaque année, d’après GreenPeace, entre 1 à 2 milliards de tonnes de gaz carbonique dans l’atmosphère.

Les auteurs parleront aussi du « problème de l’eau » en Afrique, en disant qu’ « en 2003, seulement 45% des habitants du continent disposaient de l’eau courante à la maison ou dans la cour partagée avec d’autres. » et de rajouter que « le problème n’est pas prêt de trouver une solution. » Encore des prédictions macabres, et pourtant, il n’y a réellement pas de pénurie d’eau sur le continent, mais plutôt un problème de gestion, assurée très souvent par des antichambres de multinationales occidentales.

De plus, l’explosion démographique semble aussi être un problème pour les auteurs puisqu’ils l’associeront toujours aux réalités qui selon eux, font sombrer le continent. Les théories (néo)malthusiennes ayant clairement la vie dure, à tort. Car au contraire, l’Afrique aura à l’avenir besoin et devra continuer à se peupler, encore et encore, même si ce n’est pas dans l’intérêt des puissances occidentales.


Simon Sebagabo résumait bien la situation dans son livre (2), lorqu’il parlait de la limitation des naissances, comme un problème de géopolitique des grandes puissances. Pour lui, pour reprendre l’image de Thomas Robert Malthus dans son « apologue du banquet» (3), l’Afrique est un continent où « le banquet de la nature a dressé un couvert pour chacun de ceux qui se présentent. Ce sont donc les convives qui manquent. » Et de rajouter, à juste titre que : « L’homme est en effet au centre du développement à la fois comme son acteur principal et comme son aboutissement. C’est lui qui crée la richesse. Tous les pays développés l’ont été par la mobilisation du capital-travail ». La Chine et l’Inde l’illustrent bien. Donc, si ici, comme pour le sujet de l’eau, il semblait exister pour Smith et Glaser, un problème de ressources naturelles en Afrique pour subvenir aux besoins des populations, ce ne saurait être en terme de quantités. La croissance démographique n’ayant rien à y voir.

Globalement, si on peut reprocher aux auteurs le fait de vouloir dépeindre une Afrique noire plongée dans le chaos et la misère, il n’en reste pas moins vrai que certains de leurs constats, même s’ils sont souvent extrapolés jusqu’à leurs pires extrémités, tendent quand même, avec un peu de recul, vers une réalité qui prévaut sur le continent. On ne pourra qu’être légèrement en phase avec Smith et Glaser sur certains faits lorsqu’on a pu visiter le continent ces dernières années, surtout quand il parle de la politisation des enjeux écologiques, des dirigeants corrompus, de la croissance du SIDA ainsi que de la prolifération des « églises de réveil », qui deviennent aujourd’hui, pour ce dernier point, une sorte d’exutoire à la pauvreté et au mal-être africains au point où certains perdent de vue les réalités.


Smith le fait constater, en disant que « l’un des traits saillants des églises de réveil (…), est leur « blindage » contre les sortilèges tant redoutés du monde ancestral. » Pour le converti, « tous les compteurs sont remis à zéro, tout un passé d’échecs, d’humiliations et de compromissions effacé sur l’ardoise magique d’un nouveau Dieu.» C’est triste, mais c’est un problème réel. Et le maintien au pouvoir de dinosaures pour la plupart à la solde de puissances occidentales et à la gestion calamiteuse dans certains cas, n’est pas toujours pour améliorer les choses et permettre aux africains d’augurer des jours meilleurs.

Néanmoins, les propos des deux auteurs auraient dû être nuancés par un contexte néocolonialiste et historique aux conséquences humaines, culturelles, politiques et économiques non négligeables pour les Africains. Car si l’on venait à considérer que l’Afrique se mourrait, ce ne serait certainement pas du fait d’une profonde et unique volonté de certains africains, et les propos d’Odile Tobner dans son livre, Négrophobie (4), l’illustrent bien: « l’Afrique ne se suicide pas. Non, il s’agit d’un assassinat maquillé en suicide. »

In fine, même si la situation de l’Afrique est si dramatique qu’elle mérite qu’on s’y attarde et qu’on y réfléchisse réellement, je pense qu’on est encore bien loin des prédictions macabres de Smith et Glaser. Car si les calculs prévisionnels et leurs résultats constituent souvent de bons indicateurs, l’histoire a démontré qu’il valait mieux s’en méfier, la réalité étant souvent tout autre, surtout sur un continent où l’informel a bon dos.

Pour conclure, on dira qu’à la lecture de Comment la France a perdu l’Afrique, on se rend finalement compte que les auteurs cherchent d’une certaine manière, à dédouaner la France de toutes ses responsabilités dans les affaires tordues, les coups d’état et les massacres qui ont entaché l’Afrique.

Les auteurs, insinuent grosso modo que, sous fond de guerre froide, l’Afrique ne fût que d’un modeste intérêt, que d’un enjeu minimalement stratégique pour la France, trop occupée à gérer les mutations géopolitiques internationales avec ses collègues russes et américains.

On reconnaîtra aisément dans ce bouquin, le même son de cloche entendu pour l’esclavage avec « les noirs qui ont vendu d’autres noirs ».
Pour le cas de figure, on aura droit aux Africains qui tuent l’Afrique, avec en filigrane, la France trop occupée ailleurs, n’ayant pas pu leur venir en aide, quoi que n’ayant aucune obligation, ou du moins, n’ayant qu’une obligation compassionnelle et fraternelle dont elle peut naturellement s’exonérer, sans risque d’être interpellée.

Seules quelques anecdotes de l’époque coloniale font donc a priori de ce livre, un livre à découvrir. Hormis cela, Comment la France a perdu l’Afrique est une sorte de Négrologie « amélioré » qui n’apporte pas de nouvel élément et qui au fond, aurait pu s’intituler « Comment l’Afrique s’est perdue elle-même et pourquoi la France n’y est pour pas grandchose, voire rien du tout ». Car de toute façon, je crois que pour Smith, l’Afrique restera définitivement, pour reprendre ses propres formules, ce continent de malheur, où les africains se bouffent entre eux et où, le présent et le passé n’ont plus d’avenir.

Mais heureusement, d’un autre côté, les africains eux n’oublient pas, ils n’oublient pas les balles sur les civils d’Abidjan. Ils n’oublient ni le génocide du Rwanda ni les massacres au Congo-Brazzaville, tout en rêvant bon gré mal gré, d’une Afrique et d’un avenir meilleurs. Et ils n’ont pas tort, car une Afrique qui aujourd’hui ne rêve plus, c’est une Afrique qui est perdue. Un jour, envers et contre tout, l'Afrique s'éveillera, n'en déplaise a Stephen Smith, n'en déplaise à Antoine Glaser.


(1) Bakari Kamian, Des tranchées de Verdun à l’église Saint-Bernard, Paris, Karthala, 2001
(2) Simon Sebagabo, Densité démographique : Facteur de misère ou de progrès. Cas de l’Afrique centrale en général et du Rwanda en particulier, Editions CLE, 2004
(3) Thomas Robert Malthus, Essai sur le principe de population, Londres, 1798
(4) Boubacar Boris Diop, Odile Tobner, François-Xavier Verschave, Négrophobie, Paris, Les arènes, 2005



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