Il était donc possible de prendre des mesures de défiscalisation pour rendre le coût des produits de première nécessité plus proche du pouvoir d’achat des consommateurs qui n’ont pas arrêté, depuis au moins deux ans, de crier leur mal-être et leur mal-vivre ? Pourquoi avoir attendu ces quatre jours de paralysie du pays, avec toutes ces destructions de biens et tous ces morts, la condamnation des " apprentis sorciers ", pour montrer que les exigences des Camerounais faisaient partie du domaine des possibles et qu’ils avaient des raisons de crier leur colère?
Il est inutile d’entrer dans un nouveau débat stérile que le président de la République lui-même semble avoir tranché. Le conseil des ministres, événement malheureusement exceptionnel au Cameroun (comme nous n’avons eu de cesse de le répéter), qui s’est tenu vendredi dernier au palais de l’Unité et dont l’unique point à l’ordre du jour était la communication spéciale du chef de l’Etat sur la situation socio-politique actuelle, a bel et bien été convoqué dans l’urgence. Et les premières dispositions prises par Paul Biya étaient bien un "ensemble de mesures à court et moyen terme destinées à apporter des premières réponses à l’impatience qui se manifeste".
Il faudrait cependant saluer, au moins dans le principe, la réaction relativement rapide du chef de l’Etat après les émeutes sociales que le pays a vécues qui semble bien indiquer qu’il a véritablement mesurer la profondeur de la grogne sociale. Il n’y a donc pas d’indignité, pas de honte à ce que le pouvoir accepte de répondre à une pression sociale par ailleurs justifiée. Et ceux qui ont coutume de dire que " le président de la République ne peut pas agir sous pression " devront donc revoir leur discours. Même s’il faudra probablement attendre quelques semaines pour mesurer les premiers effets de ces mesures annoncées pour lesquelles quelques observateurs restent plutôt circonspects.
Un enseignement important tiré des mesures présidentielles : si l’on peut répondre si rapidement, avec des conséquences financières aussi lourdes alors même que le budget pour le présent exercice a déjà été voté et a commencé à être appliqué, sans courir le risque de perturbations financières graves ou d’une rupture des relations avec nos partenaires au développement que sont les institutions de Bretton Woods, cela peut donner la dimension du cynisme et de l’indifférence du pouvoir vis-à-vis des souffrances du peuple. Et qu’il n’aura accepter de donner au peuple ces éléments, non pas par élan humaniste, mais parce que cette souffrance, exprimée sous la forme d’un ras-le-bol, est allé jusqu’à inquiéter les fondements même du pouvoir politique. Le message est donc clair : les choses ne tomberont jamais d’elles-mêmes de la part du pouvoir qui nous gouverne et dont les tenants ne sont accrochés qu’à leurs privilèges. Seule la détermination farouche dans les revendications les poussera à réagir, au moins par instinct de conservation.
L’autre enseignement de la communication du président Biya vient d’ailleurs : en rappelant tout ce qu’il y a à faire dans l’urgence et qui touche pratiquement l’ensemble des secteurs de l’activité gouvernementale, et en indiquant qu’il " demande en conséquence au Premier Ministre, Chef du Gouvernement, de mettre scrupuleusement en application avec célérité et efficacité les instructions que je viens de donner et pour l’exécution desquelles aucune défaillance ne sera plus tolérée ", le président de la République indique que jusque-là rien n’a été fait et que le gouvernement n’a pas travaillé.
D’où les questions qui fusent immanquablement : pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas travaillé ? Y a-t-il un projet de société défini par le chef de l’Etat, une vision politique du Cameroun, avec des stratégies conséquentes, qui a été transmis à ceux supposés le mettre en application ? Le Premier ministre, présenté comme le " chef du gouvernement " a-t-il les coudées franches pour conduire une véritable coordination gouvernementale ? Les ministres ont-ils toujours les qualités requises pour comprendre et conduire les actions à eux recommandées ?
Pourquoi, après une telle multiplication d’échecs, Paul Biya n’a-t-il pas tiré la première conséquence qui s’imposait, à savoir un remaniement ministériel ?
A toutes ces questions, chacun a certainement sa réponse. Elles refont cependant surface, en même temps que quelques mesures sensées calmer (ou endormir ?) les populations, à la veille d’une session parlementaire convoquée pour jeudi prochain et qui devrait être au centre d’enjeux de pouvoir sur la conduite future des affaires du pays, la seule préoccupation finalement " digne d’intérêt".
Et si, au bout du compte, c’était le but de la manœuvre ?
Source: Quotidien Mutations
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