Marcel Ebene explore ici le domaine de l'attribution des marchés publics
Dans le cadre de ma chronique hebdomadaire, je présente aujourd’hui mes propositions sur les moyens d’améliorer la procédure d’attribution des marchés publiques, notamment pour ce qui est de la lutte contre la corruption.
En effet, des structures existent, et notamment l’ARMP pour encadrer ce processus. Quand de trop grandes plaintes arrivent, le premier ministre peut souverainement annuler un marché. Quand de trop grandes plaintes arrivent. Certaines plaintes arrivent, et leur arrivée nous impose de nous pencher sur l’ensemble du processus, et de voir dans quelle mesure on peut l’améliorer.
Le domaine abordé tout au long de cet article sera la socio-économie.
Symptômes constatés
La corruption à col blanc n’est pas une nouveauté au Cameroun. Tout le monde a pu entendre telle femme de ministre qui reçoit un bon de commande de son mari pour les rideaux au ministère, telle proposition retenue abusivement gonflée (peut être pour un partage plus tard) ou encore tel délégué du gouvernement qui choisit les opérateurs qu’il veut (sous prétexte que la procédure est complexe). Le présent récent article présente un récent cas où la proposition retenue est largement plus chère que les autres et où les perdants crient à la fraude.
http://www.quotidienmutations.info/mars/1268821427.php
Diagnostic et objectifs de la solution
Nous pouvons attribuer les lacunes actuelles à quelques facteurs
- On fait reposer le système sur la bonne foi des gens. La bonne foi par exemple du premier ministre qui doit trancher sur les cas litigieux. Le premier ministre est corruptible. Ce n’est qu’un homme. La bonne marche du système ne peut pas reposer sur sa bonne volonté.
- Les maitres d’ouvrage rédigent le cahier de charges, avec apparemment la possibilité de mettre des spécifications techniques. Ceci permet d’orienter la procédure et de discriminer les candidatures que l’on ne veut pas (voir le lien fourni). C’est aussi lui qui attribue les notes. On fait reposer le système sur la bonne foi du maitre d’ouvrage
- Il y a un observateur indépendant qui fait un rapport. Mais cet observateur est au contact du maitre d’ouvrage (donc corruptible si besoin est) et il envoie son rapport « indépendant » au maitre d’ouvrage, rapport pouvant certainement être consulter a posteriori par l’ARMP si besoin est. Ici la rédaction de ce rapport peut être orientée de manière aisée, quand on connait les sommes mises en jeu et les moyens pouvant aider à corrompre cet observateur indépendant. Là encore, on fait reposer le système sur sa bonne foi.
C’est pour cela que nous formulons les propositions qui vont suivre. Certains pourraient y voir un durcissement supplémentaire de la procédure, mais nous pensons que les enjeux le justifient. Mettons nous dans l’hypothétique et reprenons les chiffres avancés dans le lien fourni plus haut. La plus petite proposition est à moins d’un milliard de CFA, la plus chère, retenue à plus de quatre milliards. S’il y a irrégularité, cette irrégularité entraine une perte pour le Cameroun qui se chiffre en milliards. Nous ne pouvons pas nous le permettre.
Proposition de solution
1) Rédaction du cahier de charge et des termes de référence.
Dans le cahier des charges, le maitre d’ouvrage ne pourra y faire figurer aucun souhait technique. Il ne pourra y faire figurer que le besoin. Par exemple, il ne pourra pas dire qu’il souhaite des rideaux rouges de la marque TOTO (que seul tel ou tel soumissionnaire distribue au Cameroun). Il dira qu’il souhaite des rideaux pour se protéger du soleil, ou pour faire joli. Il peut arriver que le besoin soit le complément d’un existant. Dans ce cas, dans le cahier des charges, ne pourra figurer au cahier des charges que la description de l’existant en plus du besoin : pas de recommandation ou préférence technique. Pour nous ramener à l’exemple précédent : Il dira que disposant déjà de rideaux rouges à toutes les fenêtres sauf une, il souhaite des rideaux pour se cacher du soleil, tout en restant raccord du point de vue esthétique. Charge aux soumissionnaires de prendre le tout en compte et de fournir leur meilleure proposition. Cet exemple, léger, pourrait prêter à sourire, mais la logique est extensible à tous les domaines : construction d’un SI, constructions de routes qui durent plus longtemps qu’une saison de pluie, fournitures de bureau, etc. Autant de postes où la distraction de fonds a jusqu’à présent été aisée.
Cette proposition visera donc à réduire la discrimination entre soumissionnaires sur des critères techniques pré-établis.
2) Pré-filtrage
Pour rester cohérent avec le besoin du maitre d’ouvrage, celui-ci attribuera des notes à tous les soumissionnaires, (au besoin s’il le veut de son observateur indépendant). Les trois premiers passeront à l’étape suivante, qui est nouvelle et qui vise à s’affranchir de la sélection non indépendante.
3) Choix du soumissionnaire
Le soumissionnaire retenu le sera désormais par un collectif de 7 personnalités indépendantes. Le maitre d’ouvrage commencera la session en justifiant ses notations. Les trois soumissionnaires finalistes s’exprimeront ensuite sur les notes du maitre d’ouvrage et sur leur projet, le tout pour que le collectif s’imprègne parfaitement des tenants et des aboutissements du dossier.
Ce collectif sera composé de 7 personnalités de la société camerounaise : Professeurs, journalistes, hommes politiques, hommes d’affaires, diplomates étrangers, etc. Pour chaque dossier, un jury différent de 7 personnalités sera choisi.
4) Constitution et rôles du collectif de personnalités indépendantes :
Chaque année civile, une liste de 100 personnalités sera rendue publique parmi la société civile, les professeurs d’université, les personnalités reconnues pour leur capacité à appréhender tout problème technique clairement exprimé, les journalistes, les hommes d’affaires, les diplomates, les artistes, les hommes politiques du pouvoir et de l’opposition, le clergé, etc. Pour chaque marché à attribuer, sept (7) d’entre eux seront sélectionnés « au hasard » (plusieurs programmes informatiques dont les codes seront rendus publics peuvent en garantir le caractère aléatoire) et notifiés deux jours avant la date de réunion. Ce sont eux qui devront choisir parmi les trois dossiers retenus. L’identité des sept personnalités sélectionnées parmi les 100 ne sera pas rendue publique.
Ceci permettra de limiter les possibilités de corruption de ces sept membres. Même en cas de fuite à partir du moment où ils sont connus (il ne restera que deux jours), la possibilité matérielle à un éventuel corrupteur d’agir est faible. On évitera ainsi bon nombre de tentatives de corruption. Nous avons fixé le nombre à 100, pour que si quelqu’un, ne sachant pas qui seront les 7, essaie de corrompre tous les 100, il se lève au moins un parmi les 100 pour le dénoncer. Ils seront indemnisés par forfait chaque fois qu’ils siègeront.
La qualité de ce jury de 7 permettra aussi à partir de leur appréciation de l’évaluation technique du maitre d’ouvrage, de juger les différentes propositions et de faire un choix qui se voudra indépendant, tout en garantissant une qualité dans la réalisation.
5) Cas des petits marchés.
Actuellement, pour des marchés inférieurs à une certaine somme, le maitre d’ouvrage a la latitude de sélectionner le soumissionnaire qu’il souhaite. Si sur une échelle de 0 à 10, 10 est énorme, 10 fois 1 est tout aussi énorme. Il faudra donc intervenir pour réduire les tentatives de petites mais nombreuses fraudes. Pour cela, le comité des 7 se réunira et traitera lors la même session, plusieurs petits dossiers. Dans ces dossiers, le maitre d’ouvrage aura sélectionné deux soumissionnaires, choisi un, et le soumissionnaire perdant aura le loisir de venir exprimer son appréciation devant le jury.
De la sorte, nous n’alourdissons pas trop la procédure pour les petits dossiers, mais nous en améliorons l’honnêteté.
6) Signatures des bons de commande
Dans chaque structure, une division claire sera faite entre l’administratif et technique et la partie financière. Seuls les financiers comptables seront habilités à apposer leur signature sur les bons de commande. Les responsables seront vite trouvés en cas de malversations, ce qui les incitera à plus de respect du bon droit
Comme vous le voyez, ces mesures visent à prévenir les tentations car nous savons que tout homme peut être faillible. Il ne sert à rien de juste poursuivre après que les dégâts aient été faits. Bien sûr il faut que les poursuites aient lieu quand cela s’avère nécessaire.
7) Poursuites
Nous sommes bien évidemment conscients que les esprits malins chercheront et trouveront sans doute des failles, mais seront poursuivis si attrapés. Si les membres des 100 sont pris, la sanction sera plus sévère encore.
Eventuels effets de bord
ralentissement dans les process mais meilleure transparence.
La semaine prochaine, j'aborderai la question de l'agriculture et présenterai mes propositions visant à permettre l'auto-suffisance alimentaire au Cameroun.
Vous pouvez relire les précédentes chroniques ici :
- la chronique sur les règles de candidature à l'élection présidentielle
- la chronique sur l'équilibre régional
- la chronique d'introduction
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