Note de la Rédaction : correspondance de Sombaye Koatadiba, RDPC
Dans un discours programme de lancement de sa campagne pour l’élection
présidentielle d’octobre 2004, le candidat-Président Paul Biya déclarait
solennellement à Monatélé, « croyez moi, j’ai vraiment changé ». Se projetant
dans son premier septennat, il annonçait et proposait ainsi une nouvelle
dynamique politique dans la marche de l’Etat, conceptualisée sous l’acronyme de
« politique des grandes ambitions ». Séduit, le peuple lui a massivement
renouvelé sa confiance et exprimé de ce fait clairement son espoir de meilleures
conditions de vie au cours dudit mandat.
Conscient des implications de cette confiance renouvelée, le Président réélu va
résolument mettre le cap sur le changement promis et attendu. Il mobilise le
gouvernement qui réussit en 2006 l’atteinte du point d’achèvement de
l’initiative Ppte, avec pour corollaire le desserrement des contraintes du
Programme avec le Fmi et la disponibilité de ressources financières
additionnelles découlant du réaménagement du service de la dette. La même année,
lors du congrès extraordinaire du Rdpc, Paul Biya fustige vigoureusement
l’inertie, les voleurs à col blanc appelés à rendre gorge et le conservatisme du
parti proche du pouvoir, mué en « parti d’état-major », où l’on « danse plus
qu’on ne pense ». Dans la foulée, il a déclenché ce qui deviendra une vaste
opération d’assainissement des mœurs publiques connue dans l’opinion sous le
vocable « d’opération épervier », et qui à mi-juin 2009, aura déjà conduit à
l’arrestation et l’incarcération de plus de trois cent dirigeants et
responsables des administrations et des entreprises publiques issus
majoritairement des rangs du Rdpc. Sur ces trois faits d’armes marquants du
septennat en cours, Paul Biya aura suscité l’adhésion et un large soutien
populaire à son action. Sa côte de popularité a explosé, comme à son accession
au pouvoir en 1982. Malheureusement, depuis environ trois mois, la récurrence
des controverses médiatiques sur la personne du Chef de l’Etat, au prétexte des
affaires dites des Biens mal acquis et des vacances à la Baule, indique
clairement que son crédit de confiance populaire diminue progressivement.
Paul Biya et les Affaires
De ces affaires, j’ai personnellement retiré deux leçons : une large franche de
la population y a manifesté un vif intérêt ; et l’amplification de la
controverse qui en a découlé traduit une défiance grandissante envers du Chef de
l’Etat. Cela donne à réfléchir, pour comprendre la réaction de la population, au
lieu de s’égarer dans la banalisation ou l’agitation, sous le prétexte de
soutenir le président. Les atermoiements de quelques imprécateurs inutilement
bruyants du Renouveau au travers des édits médiatiques épistolaires, tout comme
les cohortes de marches moutonnières des sections Rdpc, toutes de portée
résiduelle face à l’adversité déclarée, n’apportent aucune plus-value à Paul
Biya, désormais confronté à de nouveaux défis, d’un genre singulier par leur
caractère abject.
Je pense pour ma part que le rapport du Ccfd et les révélations sur les coûts
des vacances présidentielles sont intervenues dans le cadre d’une incontestable
cabale contre le Président de la République, violemment attaqué dans sa personne
même. Ces attaques frontales ne sont que les prémices d’un combat politique à
venir et qui s’annonce impitoyable, car désormais sans règles. Les adversaires
de Paul Biya, dont certains se recruteraient parmi les « apparatchiks » et
Dauphins autoproclamés membres de réseaux politiques construits sur la rapine et
la félonie et désormais ébranlés par « l’opération épervier », ont fait recours
à des armes de déstabilisation redoutables, contre lesquelles il faudrait se
prémunir et protéger plus efficacement le président, dont l’image de marque est
mise à mal. Le constat est net et il convient de le redire sans ambages, au
baromètre de la confiance nationale, Paul Biya est en position délicate, sa côte
de popularité baisse. La situation n’est pas encore critique certes, mais elle
me paraît tout de même assez préoccupante pour laisser indifférent. Le Rdpc
devrait se sentir concerné par le nécessaire toilettage de l’image
présidentielle, en commençant d’ailleurs par la sienne, assombrie par ses
incertitudes existentielles.
Les incertitudes du RDPC
Le Rdpc est aujourd’hui un parti bien implanté, dont le maillage couvre tout le
territoire national. Il peut aussi se targuer de disposer d’une très forte
représentation politique au gouvernement, à l’Assemblée et dans les Communes. Ce
qui en fait, selon la terminologie de la science politique, un parti
hégémonique, ultra dominant.
Il y a deux ans, une vaste réorganisation de ses structures de base a lieu,
couronnée par la nomination de nouveaux responsables au Secrétariat général,
dont la coordination a été confiée à René Sadi. Homme discret, technocrate
chevronné habitué des grands dossiers de l’Etat, le ministre Sadi qui a le
privilège de compter parmi les plus proches collaborateurs du président Paul
Biya, a ainsi été propulsé au-devant de la scène politique pour incarner l’homme
nouveau susceptible de mettre en œuvre la nouvelle gouvernance du Rdpc. Prenant
d’emblée la bonne mesure de sa tâche, le Secrétaire général a défini sa mission
en de termes simples : « travailler à ce que le Rdpc demeure la première force
politique du pays, avec une grande fidélité au président et dans une relation de
confiance avec les camerounais ». Quelle évaluation peut-on faire de cette
feuille de route ?
La fidélité au président est sauve, car Paul Biya n’a aucun problème avec son
parti, et le Rdpc ne gêne pas son président. Le parti est chevillé à son chef,
qui garde la haute main sur son activité programmatique. Cette relation de
confiance repose en partie sur le tempérament de l’homme Sadi, qui conscient de
sa proximité et de sa position privilégiée auprès du Chef de l’Etat, fait
scrupuleusement attention aux conséquences de la moindre de ses décisions ; et
sur la haute stature du président national, perçu par les militants comme
l’unique symbole fédérateur de toutes les composantes du parti. Cependant, la
vie du Prdpc n’est point un long fleuve tranquille. L’inertie et la sclérose
patentes de ses instances dirigeantes (comité central ; Bureau politique) aux
effectifs dégarnis dérèglent sa mécanique. Mieux, le congrès ordinaire, censé
réguler le fonctionnement du parti par le renouvellement de ses organes
dirigeants n’a plus été convoqué depuis 13 ans. Ces graves dysfonctionnements
font du Rdpc un parti atypique, fidèle à son image pervertie de parti
administratif, parasite de l’Etat et sans capacité opérationnelle intrinsèque.
Le chef du parti qui tient tous les leviers est ici directement concerné par ces
errements incompréhensibles. Son silence face à cette situation singulière pour
un parti qui se veut moderne et leader dans un système politique concurrentiel
est pathologique et gravement préjudiciable à la bonne santé de la jeune
démocratie camerounaise.
En ce qui concerne la confiance des camerounais, autre objectif fixé par René
Sadi, l’on est loin du compte. Dans l’opinion publique nationale, le Rdpc
charrie, incarne et symbolise tous les maux qui minent le Cameroun, et
l’implication de plusieurs de ses cadres dans les affaires de détournement de
deniers publics alourdit son passif. En somme, l’état des lieux au sein du Rdpc
n’est pas reluisant. Le sursaut né de la restructuration amorcée en 2007 et
couronnée par de nettes victoires électorales s’est estompé, et notre parti est
incontestablement en perte de vitesse. A titre illustratif, en 2007, le Rdpc a
conquis 80% des sièges à l’Assemblée en remportant seulement 48% des suffrages
exprimés. Ce Rdpc là n’est objectivement pas capable en ce moment de servir de
base d’appui fiable à une nouvelle ambition présidentielle de projeter le
Cameroun vers de nouveaux horizons à l’échéance de 2011.
Le dilemme de 2011
L’élection présidentielle prévue en 2011 se pose dès maintenant pour l’équipe
dirigeante au pouvoir comme une équation à plusieurs inconnus, un véritable
casse tête. Certes, face à l’affaiblissement perceptible de ses concurrents
potentiels à l’intérieur de son parti et de l’opposition, Paul Biya reste en
pôle position, capable de gagner dans le cadre d’un scrutin uninominal à un tour
avec multiplicité de candidatures. Cependant, vu le contexte, une telle
victoire, a fortiori massive comme en 2004, n’est point acquise. Cette situation
pourrait justifier le fait que malgré les nombreux et pressants appels à la
candidature, Paul Biya n’ait donné aucune indication de ce que pourrait être sa
décision le moment venu. Ce silence lourd - contrairement à son homologue
sénégalais qui s’est déjà déclaré partant en 2012- pour ses partisans c’est la
quadrature du cercle, et personne à part lui ne détient la clé de solution. Le
Chef de l’Etat, qu’on le veuille ou non, reste le seul et vrai maître du jeu
mais, il fait face à un vrai dilemme. Y aller ou non, vu sa trajectoire
personnelle, toute décision qu’il prendra comporte des risques.
Premier cas de figure, s’il ne se présente pas, deux périls s’annoncent : d’une
part, le Rdpc, tel qu’il est désorganisé aura du mal à choisir un candidat dans
ses rangs qui maintienne la cohésion du parti et gagne ; d’autre part, Paul Biya
serait dès lors sorti sur un bilan global mitigé qui pourrait imposer à son
successeur, même issu du Rdpc, un devoir d’inventaire, susceptible de
compromettre certains acquis du Renouveau.
Deuxième cas de figure, s’il est candidat, il faudra absolument qu’il gagne,
nettement, largement, dans la transparence et sans contestation majeure. Un
score électoral inférieur à 50% n’est pas à envisager. Ma thèse à cet égard est
simple : à son âge et au regard de son expérience politique, Paul Biya peut
désormais être considéré comme un patriarche, une icône politique qui devrait se
situer au-dessus de la mêlée de tous les aspirants à la fonction présidentielle.
Ses performances électorales devraient donc refléter cette haute stature. Dans
ce deuxième cas, qui m’apparaît le plus probable, il faudra alors travailler
pour construire sa victoire électorale. Cela passe à mon humble avis par deux
choses : 1) concevoir un nouveau projet politique, et 2) constituer une Alliance
pour une Nouvelle Majorité Présidentielle Elargie.
S’agissant en premier lieu du projet politique, celui qui pourrait valablement
sous- tendre les ambitions présidentielles pour l’avenir devrait porter sur la
modernisation du Cameroun , afin répondre aux aspirations et aux goûts de la
jeune génération, qui représente actuellement près de 75% de la population. Les
camerounais qui parviendront à l’âge de la maturité en 2018, à la fin du
prochain septennat, ont aujourd’hui entre 12 et 13 ans. Ils grandissent à l’ère
des TIC, dans un monde sans frontière marqué par la vitesse. Le Cameroun qui
leur convienne est celui qui fera le saut qualitatif dans la modernité : au plan
institutionnel et de la gouvernance politique ; au plan économique, par le
développement de l’économie de l’intelligence et des services et la construction
des infrastructures aux standards internationaux ; au plan social, par
l’encouragement de l’accès de tous à l’instruction de bonne qualité, , la
création d’universités d’élite dans les domaines de la gestion économique et
financière et de la technologique. Une telle configuration rend la
restructuration du Rdpc inéluctable, à envisager en deux phases : l’organisation
du congrès ordinaire avant juin 2010, destiné à réaménager les effectifs des
instances dirigeantes et à mettre le parti en ordre de bataille pour 2011 ;
ensuite, dès 2012, la reforme complète de notre parti en s’inspirant des modèles
Ump en France ou Kadima en Israël, pour donner naissance à un parti « new look
», devant incarner les principes et les valeurs du nouveau projet politique et
fédérer les acteurs de la nouvelle majorité issus d’une nouvelle génération
d’élites plus jeunes, intègres, compétentes, patriotes et d’un loyalisme sans
faille envers le Chef de l’Etat et les autres institutions nationales.
Deuxièmement, en ce qui concerne la construction d’une nouvelle majorité
présidentielle élargie que je préconise partant du postulat que la surface de
représentation du Rdpc ne garantit pas au Chef de l’Etat la promotion d’un
consensus large autour de son projet politique pour conduire sereinement les
grands chantiers de développement du pays, Il va falloir pour cela s’ouvrir :
aux intellectuels de tous bords ; aux leaders des partis politiques et des
organisations de la société civile volontaires ; aux compatriotes de la diaspora
dont la plupart sont des patriotes très attachés à leur pays. Leurs compétences
et expertises dans divers domaines devraient être sollicitées, sans
nécessairement leur imposer d’intégrer les rangs du parti.
En définitive, pour protéger le président contre les attaques venues de
l’étranger, il convient de le fortifier à l’intérieur, en commençant par le
réconcilier avec sa base originelle : les jeunes, les couches populaires
défavorisées, et le monde rural. Tant que Paul Biya sera fort du soutien de ses
compatriotes à l’intérieur, les manœuvres des réseaux occultes sont vouées à
l’échec. Les camerounais expriment le besoin de voir leur président, ils veulent
sentir qu’il reste à leur écoute, attentif à leurs sollicitations et solidaire
de leurs difficultés existentielles. Que le Chef de l’Etat reprenne le bâton de
pèlerin et parte à la rencontre des populations sur le terrain. En cette veille
de rentrée universitaire, il ne serait par exemple pas mauvais que le président
visite lui-même une ou quelques universités. Ce qui ne manquerait pas de
galvaniser les étudiants et les enseignants, aujourd’hui en proie au désespoir.
L’occasion serait toute trouvée pour se préoccuper de leurs conditions de
travail et marquer une nouvelle fois la sollicitude de la nation à sa jeunesse
en ces moments difficiles, notamment par l’allocation des bourses aux étudiants
ou la suppression du paiement des droits universitaires. Le faire serait tout
simplement du bon sens, car les véritables enjeux et défis du Cameroun de la
prochaine décennie se nouent actuellement au sein de nos campus.
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