Les opérations de déguerpissement de la zone de Bastos ont commencé hier, comme prévu, avec une forte présence des éléments des forces de l’ordre, qui n’ont pas hésité à procéder à des arrestations. Les déguerpis n’avaient plus que leurs larmes, pour exprimer leur désarroi, personne parmi eux n’étant autorisé à broncher.
1 - L’heure fatidique
Mardi le 29 mars 2005, les habitants de la zone marécageuse de Bastos se sont réveillées un peu plus tôt que d’habitude. Avant 7 heures, des jeunes du quartier Ekoudou II ont allumé un grand feu sur la parcelle pressentie pour recevoir les premiers coups du bulldozer de la Communauté urbaine. Tout à côté, quelques autres futurs victimes du déguerpissement jouaient, imperturbablement, au tam-tam. “ Nous nous sommes rendus compte que le ministre Louis Marie Abogo Nkono est déterminé à nous casser. N’ayant pas d’armes et n’ayant pas été entendus hier, nous avons décidé de maudire quiconque nous fera du mal ici ce jour. Toute la nuit, nous avons fétiché la zone. C’est notre village ”, raconte un vieillard revanchard, vêtu de haillons. Quelques heures après, aux environs de 11 heures, un impressionnant détachement des forces de l’ordre, conduit par le commissaire de police Ndigui, arrive sur les lieux, pour discipliner le secteur avant l’arrivée des bulldozers. D’autres policiers sont restés sur la route, pour étouffer toutes les velléités. L’étau se ressert, en premier lieu, sur Mme Kengne Agnès, la cinquantaine sonnée. Elle est installée dans sa nouvelle maison de Bastos depuis deux semaines seulement. “ Demandez à ceux qui ont allumé le feu et qui jouent au tam-tam de venir vous aider à mettre vos choses dehors. Si vous ne le faites pas, nous allons être obligés de tout casser ”, recommande le commissaire Ndigui à Mme Kengne qui fond en larmes. Entre temps, ordre est donné aux gardiens de la paix de neutraliser ceux qui continuent de jouer au tam-tam. Ce qui est fait. La maison est aussitôt vidée en partie, grâce à deux de ses occupants. Le bulldozer de la Communauté urbaine approche, en traçant lui-même son chemin sur le terrain boueux. C’est l’heure fatidique.
2 - La casse
Fauteuils rembourrés en cuir, téléviseurs, tables, lits, frigo… sont versés dans la boue, au dehors, en très peu de temps. Le bulldozer aux roues en chaîne arrive lentement, en cassant une grande barrière qui réduit son passage. Une autre maison non encore achevée, est réduite en amas de beton. C’est au tour de Mme Kengne, l’un des grands investisseurs de la zone de voir ses économies de plusieurs années s’évaporer. Dès que l’appareil accroche sa mandibule aux dents longues sur la maison de cette dame, des cris se font entendre. Mais personne ne peut plus arrêter les œuvres de destruction massive ” organisées par le ministre des Domaines et des affaires foncières.Une dame, la trentaine atteinte, une sœur de Mme Kengne, engage une prière, en levant les mains au ciel, pleurer à chaudes larmes. “ Elle est Bamiléké. C’est sûr qu’elle a pris des engagements dans des associations. Elle pleure l’argent des gens qu’elle a emprunté pour bâtir cette case. Une telle entreprise ne peut se faire sans dette. Pitié ”, lance un spectateur en direction du délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Yaoundé par intérim, présent sur les lieux. En réalité, Mme Kengne a tout perdu. Les tôles totalement déchirées, les carreaux cassés, les anti-vol déformés…
3 - Des Interpellations
Le jeune Arnaud est resté plusieurs heures menotté. Avant le départ du reporter du Messager du lieu de déguerpissement, il était encore assis, les mains menottées sur le dos. Les forces de l’ordre lui reprochent d’avoir tenté de défendre sa mère qui, toute nerveuse, n’a pas supporté certaines paroles déplacées d’un policier. “ Je suis en train de pleurer mon argent et le sort de mes enfants. Il se permet de me dire de reculer encore les choses et de les mettre très loin. Et ceci sur un ton de moquerie ”, se défend Mme Kengne, profondément consternée. Cette attitude malveillante du policier lui a valu une démonstration de force. La mère a tout simplement porté, comme par un mouvement électronique le policier qu’elle a jeté dans un seau d’eau. Le fils venu au secours de sa mère est directement accusé d’avoir tenté d’arracher l’arme du policier, et d’avoir cassé le pare-brise d’un camion pendant les premières heures de la matinée. Ce que dément l’infortuné.
4 - Déménagement forcé
La vague des déménagements a commencé hier matin dans la zone marécageuse de Bastos, peu après le début des destructions. Pendant plusieurs heures, des camions défilaient sur la rue principale pour transporter les effets personnels des désormais sans abri. “ Nous n’avons pas le choix. Nous ne pouvons que déménager nos choses pour ne pas tout perdre. Mais l’affaire là ne peut pas s’arrêter comme cela. Nous les aurons par tous les moyens ”, murmure un homme qui classe déjà ses armoires dans un camion.
5 - Le député Feuteu sur la liste
Parmi les personnes que l’on va déguerpir des zones marécageuse de Bastos, se trouve l’honorable Feuteu Jean-Claude, député à L’Assemblée nationale, propriétaire du Djeuga Palace Hôtel de Yaoundé. “ Claude le Parisien ”, comme l’appellent ses proches et amis, est en train de bâtir un véritable chef-d’œuvre architectural, juste en face de Martin Aristide Okouda le ministre des Travaux publics, épargné de justesse par cette opération.
source: Le messager
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