Pour la population, il n’y a aucun doute. Celui qui a tiré dans la nuit du 24 au 25 mars, la balle qui a atteint à la gorge, vers minuit et demi, Jean Pierre Mpohede, c’est le commissaire Japhet Bello, adjoint au commissaire à la sécurité publique. C’est lui qui, en civil, a conduit cette nuit là une patrouille au quartier Wamié, au lieu dit 2e entrée, sans que sa hiérarchie, d’après les premiers éléments de l’enquête, n’ait été informée.
Selon un policier, il s'agissait d'une perquisition de certains domiciles pour exploiter une information fournie par un prévenu, détenu au commissariat. C’est quand il est sorti de sa maison pour essayer de comprendre ce qui justifie autant de bruit à cette heure de la nuit, que Jean Pierre Mpohede aurait été cueilli à froid au seuil de la porte arrière de son domicile, atteint à la gorge par une balle. Selon la sœur de la victime, elle est sortie et a vu le commissaire Bello rangeant son arme, pendant que son frère gisait dans son sang.
Rencontré à la compagnie de gendarmerie dans la soirée du vendredi 25, un inspecteur de police couvert d’ecchymoses, voisin du pêcheur assassiné, soutient que la balle n’a pas été tirée par le commissaire Bello, sans pouvoir donner le nom de l’auteur du coup de feu. Il confesse n’avoir pas participé à cette patrouille, mais était de garde au commissariat. Cet inspecteur de police sera l’une des premières victimes de la furie qui va envahir les populations dès les premières heures de la matinée. Tout son domicile est saccagé, son véhicule Mercedes détruit, et lui même fortement molesté. Il en sera ainsi pour quelques autres policiers.
Pas un seul policier en tenue n’a été aperçu dans les rues de Kribi en ce vendredi saint. Même l’inamovible barrière de police située à l’entrée de la ville juste après le Cenajes, n’est pas fonctionnelle, faute d’éléments.
Toute la journée, ils étaient plus d’un millier dès 7 heures à faire le siège du commissariat de sécurité publique, situé à Mokolo, pour en découdre avec le commissaire Bello réfugié à l’intérieur. Ceci après que la dépouille du pêcheur décédé, âgé de 35 ans, marié et père de deux enfants, eut été baladée dans les rues de la cité balnéaire sur 4 à 5 kilomètres, transportée à tour de rôle par la population. En fait, après l’assassinat de Jean Pierre Mpohede, le corps est resté sur place toute la nuit. Ce n’est qu’au petit matin que le procureur, le commandant de la compagnie de gendarmerie et le médecin sont arrivés pour effectuer la balistique. Ils ont ensuite ordonné le transfert du corps à la morgue.
Ras-le-bol
Mais la nouvelle de la bavure s’est répandue comme une traînée de poudre dans la ville et, la foule déjà nombreuse s’est emparée de la dépouille. De Wamié jusqu’au commissariat de sécurité publique, ce cortège funèbre n’a pas arrêté de s’allonger. Une fois surplace, les populations décidées à amener à la morgue le corps de Jean-Pierre, porté sur un drap comme un hamac, en même temps que celui du commissaire Bello, ont brûlé un véhicule Mercedes appartenant à ce dernier et un car Hiace de la police. Il s’en est fallu de peu pour que celui-ci finisse dans les eaux noires de la Kienké, qui coule aux abords du commissariat. Le car a été retourné dans tous les sens de la cour du commissariat jusqu’à environ 10 mètres du fleuve.
Vers 16 heures, des personnes s’attelaient à récupérer des restes de ferraille sur ces véhicules entièrement calcinés. Les deux domiciles du commissaire(il était polygamme) aux quartiers Ngoye et Dombe ont échappé à l’autodafé de justesse. Ils avaient déjà été aspergés de carburant quand les forces de l’ordre sont intervenues. «Bayam-sellam», «Bend-skinners», transporteurs, commerçants, jeunes, vieux, hommes et femmes, ils ont abandonné toutes leurs activités avec la ferme conviction que, au terme du conciliabule qui s’est ouvert entre les autorités autour de 8 heures, Bello leur sera livré pour qu’ils en finissent avec ce commissaire aux méthodes dures dont ils ne comptent plus les frasques, encore moins les exactions, dont ils sont très souvent les victimes.
En hors-d’œuvre, en plus des voitures brûlées, les populations ont cassé toutes les vitres de la façade avant du commissariat qui était tenu toute la journée par une vingtaine de gendarmes et militaires, l’arme au poing. Des éléments de la base navale de Kribi qui ont été appelés en renfort pour aider à limiter les dégâts. La concertation à l’intérieur s’éternise mais la tension à l’extérieur ne baisse pas. Surtout que, au député Serge Benae, au maire, au sous-préfet, au 2e adjoint préfectoral se joindront progressivement dans la journée, le délégué provincial de la Sûreté nationale pour le Sud, le commissaire divisionnaire Ngardga Bogla qui mène l’audition du principal suspect, l’inspecteur général n°2 à la Dgsn, le directeur de la Sécurité publique et le directeur des Renseignements généraux. Michel Mahouve, magistrat et chef supérieur des Batanga-Lohove, arrivé dare-dare de Yaoundé, prend également part aux pourparlers.
Tractations
«On veut Bello», entend-on de manière ininterrompue. En chœur ou en solo. A chaque fois que l’une des autorités, notamment le maire ou le député, sort du commissariat, les populations l’interpellent pour savoir où on en est. A chaque fois, ils esquissent un sourire mais ne disent mot. La sueur qui dégouline sur les visages et qui trempe les T-shirts de ces personnalités, témoigne de ce que à l’intérieur, la montée du mercure sur le thermomètre est plus significative. A 17h34, Michel Mahouve prend la parole à l’estrade du commissariat, entouré du sous-préfet, du maire et du député. Pendant qu’il demande aux gens de se rapprocher, une jeune fille lance, «c’est l’heure de la sentence pour Bello». A ce moment, beaucoup ne veulent que voir se reproduire une scène de la passion du Christ. Celle de Ponce Pilate se lavant les mains.
Ne sommes-nous pas le vendredi saint ? Mais le chef supérieur des Batanga-Lohove demande aux populations de regagner leurs domiciles. «La loi est là pour tous. Nous sommes dans un Etat de droit. Je vous garantis que M. Bello sera jugé ici à Kribi même.» Dans la foule, on continue à entendre des «Bello va mourir». A la question, « nous avons déjà un mort. Vous voulez un 2e ?», la foule en chœur lui répond «oui». «Sa majesté» perd son sang froid. «Je vous dis encore de rentrer chez vous, lance-t-il. Vous savez que l’Etat à tous les moyens de faire régner l’ordre.» Sur ce, en batanga, un jeune homme demande à tous les ressortissants de la communauté, qui est frappée par le deuil d’un de ses membres, de se retirer avant qu’il ne soit trop tard. Peine perdue.
Le député et le maire y vont également de leurs arguties sans que les populations bougent. Les quelques billets de banque offerts par le député pour un rafraîchissement vont distraire certains pendant un moment. Mais déjà, la lassitude gagne un bon nombre de personnes qui rentrent. L’usure du temps a fait son effet. Un peu avant 21 H, des coups de feu sont tirés en l’air pour disperser la foule disséminée de part et d’autre de la route. Un véhicule de police gare devant l’entrée du commissariat. Des personnes s’engouffrent. Pour les populations, Bello et sa famille viennent d’être exfiltrés. Toutefois, ils sont encore plus de cinq cents à faire le siège du commissariat, caressant le mince espoir de voir le commissaire recherché en sortir pour le lyncher. Pour tuer le temps, quelques pneus sont brûlés dans la cour.
Le gouverneur de la province du Sud, Enow Abrams Egbe, est annoncé dans la ville. Il a été précédé par le chef d’état major particulier du chef de l’Etat, le général de division Blaise Benae Mpeke, sous forte escorte. Des indiscrétions laissent entendre qu’il n’est pas que là pour un banal week-end au village.
Quelques minutes avant minuit, le gouverneur descend sur le terrain, promet une concertation avec les populations dès 11h, et, à une boulangerie située à 200 mètres du commissariat, débourse 50.000 Fcfa pour que les centaines de personnes encore présentes, se procurent de quoi se mettre sous la dent. Rideau sur une journée au cours de laquelle on n’a jamais autant flirté avec le pire à Kribi.
Source: Quotidiens mutations
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