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Vers la démission de Manu Dibango
(01/02/2005)
Manu Dibango ouvertement critiqué et accusé par ses pairs, décide donc de rompre avec la Cameroon Music Corporation
Par Quotidien Mutations

72 ans n’est pas tout à fait un âge où l’on accepte de mettre aux enchères des parcelles de ses émotions ; encore moins, de son honneur. Quand on a traversé les bouts et les boues de la vie entière, qu’on a flirté avec le grandiose et l’atroce, qu’on sait pouvoir dessiner autant le sublime que le ridicule à la lumière de ses expériences passées, la douleur est nécessairement vive de se voir déchiqueter un matin sur le long des trottoirs et sur les cours d’école, dans les colonnes de la presse et la hargne des radios, en s’entendant dire qu’on est un «voleur». Voleur de thune, avec tous les attributs qui vont autour du ridicule et de l’abject : malhonnête de petite saison, escroc, affabulateur, crétin, mystificateur de premier ordre ; en somme, «voleur»… Jamais en effet, avoue-t-il aujourd’hui dans une colère aussi glaciale et lente que l’air qui circule à l’extérieur de son domicile, un mot ne lui avait semblé avoir une telle force idéologique que celle du verbe «voler». Jamais !

Il lui était peut-être arrivé, souvent dans le passé, de tromper sa femme, mais jamais le mot «adultère» ne lui semblait véhiculer une telle tyrannie. Sans doute aussi qu’il s’était de temps en temps saoulé la gueule dans des bars avec des copains, mais à aucun moment il n’avait trouvé dans le mot «ivresse» un quelconque mécanisme de destruction. Seul, découvrant à son âge, le mot «voler» représente tout l’incendie moral d’un acte synthétisant à lui seul toute la décadence des Dix commandements de Moïse. Et dire que ça lui arrivait donc à lui, Manu Dibango…

Colère lourde d’un homme dont l’adrénaline gronde un dimanche après-midi à Champigny-sur-Marne, sur ce bout de terre glacé où est posée sa résidence située dans la région parisienne. Il y règne une atmosphère familiale, au passage, avec une série de personnes venues de tous les bords de sa famille : fils, petit-fils, neveux, amis, belles-filles, qu’il présente avec une voix caverneuse et gourmande. Attablés autour d’un menu du pays, où l’on ne voit circuler que des sourires et de la bonne humeur, aussi près du mystère de quelques visages que l’on découvre comme s’incarnant sous la dénomination d’Alexandre Douala, alias, Douleur. Il y a beaucoup de questions à poser mais peu de réponses à obtenir. Les artifices de carrière ont quelque chose de facétieux et il n’est pas rare que les certitudes du passé s’écroulent à la rencontre avec la nudité des énigmes.


Triomphe


Le décor des lieux soulève le regard pour le hisser à la surface de ces photographies qui restituent la grandeur des passions que l’hôte des lieux consacre à raison de sa notoriété : Duke Ellington, Louis Armstrong, Miles Davis. Il y a, au milieu du séjour, un immense piano adossé à un balafon. La cédéthèque a du coffre et un écran de télévision géant renvoie les images anonymes et silencieuses de ces sportifs qui courent sans cesse sur la blancheur de la neige de saison. Dans le creux de cette maison, les clameurs enchantées de toutes ces voix ignorent sans doute les blessures de leur héros. Dehors, le ciel au-dessus des toitures est immobile et froid. Et dans le cœur d’un homme, la boule visqueuse et noire d’une incompréhension qui le lie à quelques hommes, à 6.000 km de là.
Il y a deux semaines pourtant, Manu Dibango était le héros de la cérémonie de présentation des vœux que le maire de Paris, Bertrand Delanoë, consacrait à ses concitoyens.

Dans la gigantesque salle du Palais omnisports Paris-Bercy, il a tenu la scène. Un spectacle inédit, fruit de la rencontre entre son groupe et le grand orchestre philharmonique de Paris dirigé, pour l’occasion, par Laurent Petit Gérard, chef d’orchestre émérite et président de la Sacem. 90 minutes de spectacle devant un public debout, chantant et dansant des airs venus du Wouri: «Dikalo», «Soul Makossa», «African Carnaval», «Africadeclic». Un instant – l’un des rares – dans ce pays où l’on se sent fier de ses origines camerounaises. Hommage de toute une ville, d’un peuple étranger, à quelqu’un qui aura consacré une cinquantaine d’années de sa vie à faire triompher les musiques de tous les horizons, de toutes les richesses, de toutes les origines. Quelqu’un qui aura tenté autant que possible, de faire avancer l’écho de son pays, les lueurs de sa créativité dans le firmament des cultures mondiales, dans ce qu’elles ont de plus éclectique et de plus ouvert.

Il y a trente ans ainsi, le triomphe se donnait aux applaudissements de l’humanité entière avec «Soul Makossa» aux Etats-Unis : un million d’albums vendus. En 1992, il remportait les «Victoires de la musique» en France avec la composition du film, Comment faire l’amour avec un Noir sans se fatiguer. Sans tarir pour tous les autres lauriers de par le monde, du Japon en Australie en passant par le Brésil. Il fut un temps où il dirigea l’orchestre national de Côte d’Ivoire, à Abidjan ; de même qu’il apporta son talent à la distinction du Maréchal Mobutu. Tout cela parce que d’autres peuples du monde retrouvaient en lui ce que ses propres «frères» ont depuis toujours refusé de lui accorder : l’estime, la considération, le simple respect. Manu jure donc que jamais il n’aurait pensé que l’affaire de la Cmc qu’on lui a posée sur les bras commencerait à dériver tel que c’est le cas aujourd’hui sur toute l’étendue et la banalité du terme «voleur». Jamais !

Car, lorsque Paul Biya en personne lui demande de prendre les choses en main, au plus fort des moments où se déchire l’ex-Socinada, durablement partagée entre au moins deux clans rivaux, le contrat semble clair à ses yeux comme aux yeux de la plupart des observateurs de la scène : le pays a sans doute besoin d’une personnalité charismatique, de réputation et d’envergure internationale, présumée au-dessus du lot et pas mêlée à la gangrène passée pour être en mesure de fédérer une grande famille d’artistes, fort hébétée jusque-là par des années et des années entières de querelles, de combines et de paupérisation soutenue. Le challenge, à ses yeux, paraît d’autant plus acceptable que c’est peut-être là, se dit-il alors, le début d’une plus grande prise en compte de sa personne et d’un souci de mise en ordre de la gestion des affaires communes, sans doute annonciatrice d’une nouvelle ère de gouvernance publique.

Son élection est rapidement avalisée, au dessus d’une nouvelle équipe où trône, entre autres, Ekambi Brillant comme vice-président. Ferdinand Léopold Oyono le reçoit dans ces eaux et lui renouvelle l’amitié des gens qui ont à peu près le même âge et qui sont sûrs d’avoir croqué des kolas ensemble. Il lui rappelle que Paul Biya a confiance en lui et attend beaucoup de la réussite de sa mission au-dessus de ce nid de guêpes. Il lui affirme aussi que lui, le ministre, sera toujours son meilleur soutien, par-delà les épreuves et les coups tordus dont il est le premier à rappeler la férocité.
Lesquelles épreuves tiennent même déjà de la nature et de la structure de la société qui lui est ainsi posée sur les bras : au moins cinq ans de fournaise à se briser, de conseil d’administration en conseil d’administration, sur des affaires scabreuses, des partis pris et des clans formés entre partisans et adversaire d’Esso Essomba et compagnie, sans plus connaître de fin ; des droits d’auteurs réclamés, des artistes en colère, une atmosphère de chaos. Un comité de liquidation, conduit entre autres par Sam Mbendé est mis en place et ne rend jamais de résultat. Ainsi, la nouvelle équipe prend la direction de la toute nouvelle structure dans des circonstances justifiant tout découragement : pas de sous, pas de locaux, pas de chaises, pas de ligne de téléphone, pas de papier, pas d’engagement, rien pour démarrer ; des relations suspendues dans la quasi totalité des institutions internationales du droit d’auteur, une crédibilité internationale en miettes, une image générale du Cameroun en guenilles. Le tout, jusqu’au moment où arrive l’affaire qui viendra mettre le feu aux poudres : 100 millions de Cfa…


Effondrement


100 millions remis au président de la Cmc par Gervais Mendo Ze, l’ex, au titre de l’utilisation par la Crtv des oeuvres musicales des artistes camerounais. L’argent en question ne tarde pas à ouvrir la voie à de nouveaux exorcismes et d’immenses incantations. Tout le monde sent le coup et se met en esprit d’avoir sa part… On interpelle Manu Dibango partout et le battage commence à s’organiser sur ce qu’il fait ou ne fait pas avec cet argent. Avec la direction générale de la structure, il établit une liste de priorités qui se résume à peu de choses : donner à la Cmc les capacités opérationnelles de ses ambitions et commencer à rétablir les cordons de sa crédibilité internationale. Il faut donc trouver des locaux, les équiper ; bref, fonctionner normalement. «Personne ne se souvient plus, à ce moment-là, de ce que nous avons 30% de frais de fonctionnement, prévus par les textes», assure-t-il. Il faut faire venir les autorités de la Sacem au Cameroun, celles de la Cisac aussi. Lui-même paie par trois fois ses voyages au pays, sans jamais se faire payer un argent autre que les émoluments de 500.000 Cfa auxquels il a droit mensuellement et qu’il n’a jusqu’à ce jour, réussi à toucher que… trois fois. La direction générale de la structure tient l’effectivité de la gestion quotidienne, sous l’œil d’un Pca qui n’intervient que pour une sorte de magistère moral. Mais rares sont ceux qui veulent en savoir davantage.

Du moment que ce qui intéresse les uns et les autres, c’est le partage de cet argent en menues portions, dans un contexte d’autant plus malsain que personne ne sait où est la liste du patrimoine de l’ex-Socinada, entre autres instruments qu’aurait dû rapporter la manœuvre de la liquidation. Car, comment payer, en tout cas, donner de l’argent aux artistes, dès lors que n’existe aucune base formelle ? Comment nécessairement donner à manger aux gens alors même que l’objet premier, préalable de leur revendication – la mise en place d’une vraie société de droits d’auteurs au Cameroun – n’est pas encore réalisé ? Pourquoi privilégier le court terme alors qu’il y a un travail de fond à effectuer avec l’apport de tous ? Comment faire fonctionner une structure qui se retrouve, dès sa création, coincée entre les artistes qui ont faim, un ministère qui se comporte comme son prescripteur, une presse qui n’enquête pour rien et une «Commission Ondoua» que le ministre met sur pied, en tendant à en faire le seul vrai organe exécutif de la Cmc ? Manu se sent aujourd’hui, très proche de la porte de sortie.

Car, pas tout à fait habitué à ce qu’il convient d’appeler la spécificité des «mœurs camerounaises», il affirme ne pas tout à fait comprendre cette manière de faire et d’être si caractéristique de ses «frères», où l’autre ne peut véritablement exister que s’il n’existe pas ; où tout ne semble pouvoir se construire que dans l’abîme et la destruction ; où la signification de tout honneur et de toute considération individuelle ne va chercher la grandeur des hommes que dans l’humiliation et le perpétuel effondrement de l’amour propre. Un peu comme si tout le monde devait nécessairement se ressembler sur le clonage des magouilles, comme si personne ne devait plus avoir la moindre surface d’intégrité à défendre, comme si le moutonnement des uns et des autres à la recherche de leur seule valeur acceptable, l’argent, justifiait que tout le monde soit réduit à la même obscurité.

Il ne lui paraît dès lors que plus insupportable de tenter de comprendre l’acharnement, les calomnies et les accusations dont il est victime et qui visent en réalité toutes à montrer d’abord que «Manu est comme tout le monde, c’est-à-dire, rien». Dès lors que dans un pays il n’y a plus de différence entre le bien et le mal, entre le bon et le mauvais, que tout se ressemble et que tout est pareil, que l’insignifiance atteint des sommets du nivellement, il n’y a aucune place pour ceux qui veulent rester eux-mêmes, sans vouloir faire comme les autres. Francis Bebey, génie de tous les temps, est bien décédé dans ce pays, sans que personne ne veuille lui accorder la moindre reconnaissance ; Eboa Lottin s’en était allé quelques temps auparavant, dans l’indifférence la plus totale de tous ses concitoyens ; il s’en est fallu une opération de mendicité publique pour que Anne-Marie Nzié arrive à rappeler aux uns et autres les devoirs du pays vis-à-vis de ses icônes. Pendant que, de l’autre côté, Roger Milla, Joseph Bessala ou Martin Ndongo Ebanga errent dans l’indifférence, comme des vestiges inhabités. Un peu comme si une imparable malédiction condamnait le pays à vivre sans mémoire, sans référence, sans modèle, sans espoir. Tout comme si ce qui lui convient au mieux de son avenir tient dans la défaite et dans la négation de la vertu. Nulle surprise donc, dès lors, à ce que Manu Dibango soit aujourd’hui, l’ultime victime.



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