Alors que des intellectuels d’un pays comme le Sénégal ont déjà réagi et essayent de mobiliser une manière de société civile africaine autour du conflit ivoirien, les nôtres recherchent sans doute encore les bons mots pour adresser leurs motions de soutien au président nouvellement élu du Cameroun, puisque c’est le genre le plus couru du moment…
Dans l’opinion camerounaise, on observe également la ligne de fracture qui prévaut dans ce conflit. D’une part, il y a ceux qui estiment qu’après tout, on a affaire à un président «démocratiquement élu» (pléonasme très africain, comme si on pouvait l’être autrement…) dont le pays a été attaqué par une rebellion.
Après quoi, cette rebellion s’empare de la moitié du pays et ensuite, on demande aux autorités de s’asseoir autour d’une table de négociation avec les rebelles…C’est ici que l’on retrouve la thèse de la «guerre coloniale», qui a été évoquée à un moment, parlant de la destruction par la France des forces aériennes de la Côte d’Ivoire…
D’autre part, on retrouve ceux qui pensent que Laurent Gbagbo, son entourage, et ses fanatiques sont les premiers ennemis de la paix dans ce pays. D’abord parce qu’ils ont fait de la chasse à l’étranger, le maître-mot de leur discours, ensuite parce qu’ils terrorisent une certaine masse silencieuse (une majorité?) d’Ivoiriens….
Peut-on raisonnablement réduire l’équation ivoirienne à cette vue manichéenne de la situation où le cliché, la réduction, la passion et les pulsions sont bien plus parlants que tout autre chose ? Il y a au fond de la crise ivoirienne, quelque chose de profond, qui pourrait bien avoir pour origine, non pas une certaine répulsion entre les ethnies, comme on pourrait être tenté de le croire de façon empressée, mais plutôt, la gestion du pays, telle qu’elle a été menée depuis le «père de l’indépendance», Félix Houphouët Boigny.
Nous sommes tentés de croire que, le mode de gouvernement du premier président de la Côte d’Ivoire, basé sur la répartition de la rente entre diverses baronnies tribales, est pour beaucoup dans l’actuelle crise. C’est un système qui a pu tenir, tant que la rente était abondante et que le nombre de prétendants à celle-ci était raisonnable. Avec le temps, la rente a fini par ne plus suffire pour tous.
D’où sans doute les mécanismes d’élimination, dont «l’ivoirité» ne pourrait être qu’un échantillon… Bien-sûr, la complexité apportée à l’affaire par les aspirations démocratiques du peuple ivoirien qui, comme ailleurs en Afrique, sortait de plusieurs décennies de monolithisme, est à souligner…
En attendant que l’impasse ivoirienne puisse trouver issue, il est utile pour les autres pays, surtout ceux où il subsiste certaine «paix», de se regarder. Pour constater que la gestion du pouvoir, chez nous également, est fondé sur la répartition d’une rente qui a tari. On ne peut donc plus, durablement, sauf si on veut aller droit dans le mur, fonder la politique dans un pays sur la «répartition du gâteau», selon l’expression consacrée camerounaise.
En clair, il est désormais indispensable de poser les bases d’un vrai Etat moderne, et non une juxtaposition de tribus dont on gère les intérêts, et dont aucune ne sera jamais entièrement satisfaite…
En prenant la chose avec recul, on peut également relativiser tout ce qui se passe sous nos yeux, en se disant que nos pays, créations artificieuses du Congrès de Berlin (1884-1885), sont sans aucun doute à ce jour en train de faire leur réaction face à un découpage qui en ce temps-là ne se préoccupa que des intérêts des Européens.
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