La Longue Marche sur le Cameroun
L’ambassadeur de la Chine au Cameroun affichait une mine réjouie à la télévision nationale le 11 décembre 2003. A la demande du président de la République, il était ce jour-là l'hôte d'un dîner d’Etat offert par le ministre des relations extérieures, François Xavier Ngoubeyou. Avant de lever un toast pour la bonne santé des relations sino-camerounaise, Xu Mengshu, arrivé en fin de séjour, avait, au préalable, présenté son bilan, insistant particulièrement sur la visite de Paul Biya dans son pays, survenue au cours de son "mandat de trois ans au Cameroun" : dans la carrière d’un diplomate, décrocher un voyage au sommet, ça compte.
Les premiers échanges de visite de haut niveau entre les deux pays remontent à 1973. Jusqu'à cette date, les relations entre le Cameroun et la Chine étaient empreintes de méfiance. A raison, le président Ahmadou Ahidjo reprochait à la Chine son soutien aux nationalistes de l’Union des populations du Cameroun. En "représailles", le Cameroun s'était rapproché de l'Ile de Formose, aujourd'hui rebaptisé Taïwan. Le temps passant, les deux Etats réévalueront leurs positions respectives. En effectuant une visite en Chine en 1973, Ahmadou Ahidjo brisera la glace. Par la même occasion, le Cameroun reconnaîtra tacitement le principe d’une seule Chine. Une position demeurée constante jusqu’à ce jour.
La confiance installée entre les deux pays se concrétisera, sur le plan de la coopération, par de nombreuses réalisations chinoises au Cameroun. Le barrage hydro-électrique de Lagdo, les hôpitaux de Mbalmayo et de Guider, le Palais des Congrès de Yaoundé, sont les manifestations encore visibles de la jeune amitié Chine-Cameroun. L’aide chinoise au Cameroun comportait aussi un important volet social. La Chine enverra successivement à Mbalmayo et à Guider 300 médecins, qui, d’après les relevés du Ministère de la Santé, ont, en 20 ans, soigné plus de 2,5 millions de malades camerounais. A l’époque, on ne pouvait pas encore parler d’invasion chinoise au Cameroun. Sous le Renouveau, les relations entre les deux pays ont gagné en intensité. D’une part, la fréquence des visites au sommet s’est accélérée. En 22 ans de pouvoir,, l'actuel chef de l’Etat camerounais s'est rendu dans l’Empire du Milieu à trois reprises : en mars 1987, en octobre 1993 et, tout récemment, en septembre 2003. De haut officiels chinois lui ont renvoyé l’ascenseur. Les anciens Premiers ministres Li Peng et Zhu Rongji ont visité notre pays respectivement en mai 1997 et en Août 2002.
Coopération militaire
D’autre part, la coopération s’est diversifiée. En vrac, on peut mentionner parmi les actions récentes, la construction d'un atelier de couture pour femmes handicapées et de l’hôpital gényco-obstétrique et pédiatrique inauguré en 2002 à Yaoundé, ainsi que l’extension de l’hôpital de Buéa. L’Institut des Relations internationales du Cameroun abrite désormais un Centre de formation de langue chinoise.
A l’université de Yaoundé I, la Chine a construit et équipé le laboratoire de micro-biologie. Depuis plusieurs années, une dizaine de bourses d’études sont annuellement offertes aux Camerounais. Actuellement, le public suit de près les péripéties du gigantesque projet de construction d'un Palais des sports à Yaoundé. Il s'agit d'un complexe de 5000 places qui pourra abriter des compétitions de badminton, de tennis de table, de boxe, de basket-ball, de lutte , de hand-ball, de volley-ball et de gymnastique.
La "générosité chinoise" n’est pas dénuée d’arrière-pensées commerciales. L’Empire du Milieu figure parmi les dix premiers partenaires commerciaux du Cameroun. La Chine importe du bois, du coton et du pétrole camerounais, et exporte vers le Cameroun des produits manufacturés, des articles de l’industrie légère et des appareils électroniques.
Ces données rendues publiques sont loin de traduire toute la réalité de la coopération Chine-Cameroun. Les deux parties sont muettes sur le volet militaire des échanges. "Le gouvernement chinois fait tout son possible pour apporter chaque année une assistance à votre Ministère de la défense", se contente de déclarer, sous anonymat, un diplomate de l’ambassade de Chine au Cameroun. En dehors de la coopération militaire, y a-t-il d’autres zones d’ombre dans les rapports Chine-Cameroun? Bien des Camerounais le pensent, sans en apporter la preuve.
Ils remarquent, par exemple, que le dernier séjour du couple présidentiel en Chine terminé, le Cameroun a été subitement pris d'assaut par des légions de Chinois. Le flux est, jour après jour, si abondant que les autorités de l’ambassade chinoise, apparemment prises de court, sont incapables de donner leur nombre exact. Prudent, notre diplomate chinois reconnaît que "la communauté chinoise au Cameroun compte déjà plus d’un millier d’opérateurs et continue de se multiplier à une grande vitesse".
L’ambassadeur de Xu Mengshui avait donc des raisons de pavoiser, le 11 décembre 2003. Si son hôte, François Xavier Ngoubeyou, l'air enjoué, sacrifiait à une simple tradition diplomatique en levant sa coupe de champagne, il pouvait lui, se satisfaire de la prolifération chinoise au Cameroun.
Source: Quotidien Mutations
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