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Le Cameroun sera toujours Paul Biya
(20/10/2004)
Au pouvoir depuis 1982, le Président, largement réélu, gère le pays à distance et par la peur.
Par Liberation
Sur une colline, près de Yaoundé, se dresse une grande maison vide. Murs nus, fenêtres béantes, ce lugubre inachèvement incarne la destinée contrariée du propriétaire : Titus Edzoa, autrefois puissant secrétaire général à la présidence, réputé pour son ésotérisme rosicrucien. En 1997, sa vie a basculé. Accusé de détournement de fonds, il a été condamné à quinze ans de réclusion. A la veille de l'élection présidentielle de 2004, sa peine a été confirmée. Non loin de là se trouve le palais d'Etoudi, au milieu d'un parc à la pelouse impeccable, ombragé par de grands flamboyants. C'est, dit-on, un escalier doré qui mène au bureau du Président. Voici illustré dans l'espace l'adage romain dont Paul Biya a fait sa règle : «La roche Tarpéienne n'est jamais loin du Capitole.»

Agé aujourd'hui de 72 ans, Biya fait partie de la génération Aujoulat, du nom de ce médecin français qui a introduit auprès des autorités françaises les plus influentes personnalités politiques du Cameroun. Aujoulat a présenté Biya à Ahmadou Ahidjo. Dans l'ombre de son prédécesseur à poigne, Biya est devenu secrétaire général puis Premier ministre. Au contact d'Ahidjo, il a appris à gérer, parfois par la force la plus brutale, les équilibres régionaux du Cameroun multiethnique, anglophone à l'Ouest et musulman au Nord : au début des années 60, lors du soulèvement dans le Sud et à l'Ouest, puis au début des années 90, quand l'opposant John Fru Ndi a été «volé» de sa victoire à la présidentielle de 1992, le pouvoir a cassé les forces vives (professeurs, étudiants, avocats) de la société civile, traumatisée par la répression, épuisée par la paupérisation.




Franc-maçonnerie

En 1982, Ahidjo a transmis le pouvoir à Biya, tout en pensant le contrôler. Deux ans plus tard, un coup d'Etat organisé par des fidèles d'Ahidjo échoue. Depuis, Biya s'est «bunkérisé». Pierre Semengué, qui joue un rôle clé dans l'échec de la tentative de putsch, est toujours, à plus de 70 ans, le chef d'état-major des armées, auréolé de la reconnaissance éternelle du chef. Hamadjoudja Adjoudji est ministre de la Pêche depuis plus de vingt-deux ans. La génération Aujoulat, soudée par la franc-maçonnerie, est toujours présente dans l'entourage de Biya. Parmi les proches, se trouve l'actuel ministre de la Culture, Ferdinand Oyono, né en 1929. Le président voyage en sa compagnie ; ensemble ils jouent au songo, un jeu d'échecs bantou qui passionne le Président. Une permanence qui fait dire à certains observateurs que Biya est passé maître dans «l'art de gérer l'immobile».

Pour calmer les ardeurs des générations suivantes, «le brouilleur de cartes», comme il se définit lui-même, fait preuve d'une machiavélique adresse. Le parcours d'Edouard Akamé Mfoumou est à cet égard exemplaire. Jeune ­ il est quinquagénaire ­ ministre de l'Economie et des Finances, il fut l'un des principaux artisans de la reprise des relations avec les bailleurs de fonds. Porté par ce bon bilan, Akamé Mfoumou s'est senti pousser des ailes. Mais l'Icare camerounais, arrivé à proximité du soleil, a tôt fait de s'y brûler. Débarqué de son poste en 2002, il a été nommé président du conseil d'administration de la Camair, la compagnie aérienne nationale moribonde, dont il pourrait bientôt endosser le crash. A l'occasion de la présidentielle, il aurait fait un pas en direction de l'opposition, avant de revenir proclamer son allégeance au chef. «Il a eu peur», raconte un journaliste. Il est vrai que les Camerounais prêtent à Paul Biya, ancien séminariste et ex-rosicrucien, des pouvoirs quasi surnaturels à cause de ses origines fang, où les sociétés secrètes, les sacrifices humains et les initiations sont monnaie courante.



Notes écrites

«Si vous le connaissiez, c'est un homme charmant», affirme, non sans malice, un membre de son entourage. Seulement voilà, à la cour, personne ne sait qui a l'oreille du roi. Son côté «sphinx» fait partie intégrante de sa communication. «Paul Biya pratique la mise en conflit permanente des cadres de haut niveau», estime un juriste. La concurrence entre ministres et conseillers crée une insécurité qui empêche l'émergence d'un dauphin. Comme les promotions, les disgrâces ne sont jamais définitives.

Secret de sa longévité, son mode de gestion repose sur la distance. Avare d'apparitions publiques et plus encore d'interviews où il se sait desservi par sa voix de fausset, «il est froid, il ne distribue jamais de satisfecit en public». Autre particularité, il ne convoque presque jamais de Conseil des ministres. Les conseillers rétorquent que le Président gère «à l'américaine, département par département, et par voie de notes écrites». Il y a quelques années, à un ministre de la Santé qui se plaignait de n'avoir pas vu le chef de l'Etat en un an et demi, malgré ses demandes répétées, un collègue a répondu : «S'il ne veut pas te voir, c'est qu'il n'y a pas de problème.»

La peur qu'inspire Biya est parfois problématique. L'été dernier, à l'occasion de l'un de ses nombreux séjours en Suisse, des rumeurs sur son décès se sont propagées au Cameroun. Sa suite aurait mal compris la boutade d'un médecin suisse au sortir d'une opération bénigne. Toujours est-il que la rumeur, partie de Genève, s'est répandue comme une traînée de poudre au Cameroun, créant la panique. Il a fallu attendre trois jours la parution du communiqué invalidant la fausse nouvelle. Personne n'a osé en prendre l'initiative. A son retour, le septuagénaire s'est contenté de ce commentaire: «Je vivrai bien encore vingt ans.» Certains en ont conclu avec effroi que, poussé par son ambitieuse deuxième épouse, Chantal, Paul Biya comptait rester au pouvoir jusqu'à sa mort.

«Il n'y a pas de système Biya, il y a un homme qui est le système», souligne un analyste. Reste à savoir si Paul Biya compte mettre à profit son septennat pour organiser la transition. «Soyez sûr qu'il a un schéma», disent les uns. «Son seul plan est de durer», rétorquent les autres. L'ex-Zaïre est hanté par la prophétie du général Mobutu ­ «Après moi, le chaos» ­, la Côte-d'Ivoire de l'après-Houphouët se déchire. «Le Cameroun, c'est le Cameroun», aime à dire Paul Biya. L'équilibre qu'il ménage depuis vingt ans pourrait bien ne pas lui survivre.


Source: Liberation.fr



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