Cameroun-Fmi
La rupture du point d’achèvement
Notre programme économique est sorti du cadre du partenariat avec les bailleurs de fonds et il ne reste à négocier un hypothétique rattrapage.
Même si la nouvelle était plus ou attendue, elle est tombée hier comme un couperet. Selon une information encore sous embargo au Fonds monétaire international, le Cameroun est " off-track " depuis la journée d’avant-hier, lundi 30 août 2004. Autrement dit, notre pays est " sorti du réseau ", c’est à dire que le Fmi a constaté son incapacité à faire aboutir son programme économique au point d’achèvement attendu depuis septembre 2003. Les effets attendus de ce programme, notamment une ressource plus importante du fait d’une réduction plus significative encore du service de la dette extérieure, devront encore attendre pendant quelques années. Et le Cameroun qui, ces dernières années, avait bâti tout son programme économique et même politique sur ce point d’achèvement, va faire grise mine, en cette période de tension de plus en plus accentuée des caisses de l’Etat.
Selon nos sources, le Fmi a dénoncé ce programme avant son terme, du fait principalement, entre autres, d’une coordination inefficiente du programme, écartelé entre les intérêts du ministère des Affaires économiques, de la Programmation et de l’Aménagement du territoire, et les appétits du ministère des Finances et du Budget. Autres raisons évoquées, la mauvaise gestion des Finances publiques, où un trou à ce jour inexpliqué de 66 milliards a été trouvé lors de la dernière mission de revue du fonds, en avril dernier ; la mauvaise gouvernance générale et la corruption avancée. Les exemples donnés à cet effet sont édifiants : le Fmi avait demandé l’informatisation totale du Trésor public et du Budget pour en faciliter la transparence, sans jamais obtenir d’échos favorables de nos autorités. Autre exemple, M Mbapou Edjenguele, coordonnateur du Comité technique de suivi (Cts) de ce programme, n’aurait pas toujours eu l’autorité souhaitée pour conduire à terme certaines réformes, toujours bloquées par les différentes administrations dont il n’était pas le patron direct.
Les conséquences, on s’en doute, sont graves. Parce que, plus que jamais, l’essentiel du budget de l’Etat servira désormais à rembourser cette dette extérieure qui passera, du fait de la sortie de notre programme économique, pratiquement du simple au double Alors même que les ressources liées au développement des projets sociaux (éducation, santé, travaux publics) seront de plus en plus rares. Il existe une " dernière chance " pour le Cameroun, la possibilité de conduire un programme probatoire de six mois (à partir d’une date qui fera suite à de nouvelles discussions avec les experts du Fonds), et dont la conduite satisfaisante pourrait conduire à la mise en place d’un nouveau programme triennal. Si l’on voulait schématiser la situation actuelle, le Cameroun se retrouve dans la position de l’élève qui vient d’échouer un examen (après une préparation de trois ans et une prolongation d’un an), et à qui on propose un examen de rattrapage de six mois, qui lui permettra, s’il est positif,… de redoubler la classe. Mais même dans ce cas de figure, il faudra attendre dans le meilleur des cas le début de l’année 2006, pour reparler de possibilité de point d’achèvement.
Couacs objectifs
Faut-il le rappeler, le Cameroun a eu des relations jusque-là difficiles avec le Fmi. Les premiers programmes ont rarement été conduits à terme, jusqu’en 1998. Seul un programme, la Facilité d’ajustement structurel renforcée (Fasr), alors conduit par Edouard Akame Mfoumou, entre 1998 et 2000 a été mené à terme et a permis de bénéficier d’un nouveau programme aux conditions plus avantageuses, le fameux point d’achèvement, commencé par le même Akame Mfoumou, et que Michel Meva’a M’Eboutou n’aura pas pu conduire à terme. Le verdict, disions-nous, était plus ou moins attendu, parce que l’équipe qui s’est rendue à Washington à la mi juillet dernier, conduite alors par M Mbapou Edjenguele, n’aura pas pu convaincre les responsables du dossier au Fmi, sous la houlette de Mme Ross, dame de fer ayant remplacé Edouard Macijewski, du sérieux des propositions et d’une volonté réelle de prendre des mesures fortes. Les autorités du Fonds, à la suite d’une longue conversation avec le ministre des Finances et du Budget, peu avant le départ de l’équipée malheureuse, avaient exigé du gouvernement camerounais, entre autres la liquidation (ou à défaut la cession) de la Camair, véritable gouffre à sous du budget de l’Etat, l’augmentation des taxes fiscales sur les alcools et le tabac, et une nouvelle restructuration de l’épargne postale camerounaise.
Ces mesures devaient être accompagnées d’un renforcement du suivi et de l’internalisation des dépenses budgétaires avec, en point d’orgue, " le paiement complet en 2004 des factures des services publics de l’Etat, et la réduction ces arriérés intérieurs sans accumuler de nouveaux arriérés extérieurs ni contacter des emprunts extérieurs non concessionnels ", sans oublier " une réduction drastique du train de vie de l’Etat, à travers la diminution des frais pour les missions à l’étranger. ". On peut aisément constater qu’aucune de ces mesures n’a été appliquée avec satisfaction jusque-là. La Camair continue à " faire ce qu’elle peut ", c’est à dire à laisser sur le carreau, dimanche dernier, 98 passagers et provoquer, pour le vol d’hier, un effet de carambolage qui a provoqué des bagarres à l’aéroport de Yaoundé Nsimalen, obligeant les plus informés à venir sec faire enregistrer à 8 heures, pour un vol prévu à 13 heures, et qui est parti avec un grand retard.
La toute nouvelle Camposts continue de hoqueter et d’accumuler l’épargne " en mémoire " de fonctionnaires qui tardent à toucher leur salaire. L’opération de paiement des titres, malgré les assurances du ministre en charge du Budget, a connu de nombreux couacs, les fonctionnaires de province connaissant d’énormes problèmes à rentrer en possession de leur dû. Et les nombreux fournisseurs de l’Etat ne savent plus à quel saint se vouer, la plus grande partie d’entre eux traînant encore des factures depuis l’année budgétaire 2003.Comment la nouvelle sera-t-elle annoncée au Camerounais en cette veille de campagne électorale et surtout, quelle stratégie adoptera désormais le Cameroun pour l’avenir ? Toutes ces questions doivent, en ce moment, hanter les esprits de nos dirigeants.
Incompétence et malhonnêteté
Nous n’avons eu de cesse de le clamer dans ces mêmes colonnes, au cours des dernières semaines : les relations entre les institutions de Bretton Woods et le Cameroun étaient au plus mal, du fait de la non tenue de leurs engagements par nos autorités. Ce fameux " point d’achèvement " qui, ces derniers temps, avait été érigé en slogan politique, s’éloigne donc, comme dans un curieux jeu de mât de Cocagne. La raison du déclassement de notre pays est d’abord technique : les autorités de notre pays n’ont pas, de par leurs capacités, leurs actes, leur démarche et décisions, pu conduire à son terme un programme que les ressources humaines d’autres pays, bien plus modestes, ont piloté avec bonheur. Elle est ensuite éthique : les responsables de notre pays ont été convaincus de " transmission de données erronées ". Traduit de la langue polie des gens de la Banque Mondiale, cela veut tout simplement dire que nos responsables ont essayé d’entourlouper leurs interlocuteurs, et cela, dans une démarche fort enfantine. Qu’on se le dise : les fonctionnaires de la Banque mondiale et du Fmi ne sont point des philanthropes.
Lorsqu’ils prennent en main l’économie d’un pays, leurs objectifs sont loin d’être ceux du développement et du bien-être généralisé. Ils veillent à leurs intérêts, c’est-à-dire qu’ils s’assurent que l’argent prêté sera remboursé, intérêts et principal. Dans la vacuité de son discours, le gouvernement du Renouveau avait réussi, ces dernières années, à faire rentrer dans la tête des Camerounais que l’on pouvait mesurer sa capacité de gestion à l’aune du succès de ses programmes avec le Fmi et la Banque Mondiale… C’était déjà hérétique. Mais, voilà que, même sur le raccourci choisi par nos gouvernants, ils se sont brisé les pieds.
La critique et la raillerie faciles consisteraient, pour les contempteurs du pouvoir en place, à exulter dans une espèce de vengeance puérile, en se gaussant des turpitudes de M. Biya et des
siens… Mais c’est bien plus profond et plus sérieux que cela. Car, quoi qu’il arrive, ce sont les efforts de tous les Camerounais qui seront nécessaires à la remontée de l’abîme, dont on n’a pas cessé d’explorer les tréfonds, avec le régime qui régente le Cameroun depuis plus de deux décennies déjà, et qui s’apprête, à solliciter les suffrages pour un autre mandat de sept ans. Sans vergogne.
par quotidiens mutations
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