Le 13 décembre dernier, le ministre des Domaines et des Affaires foncières (Mindaf) suspendait de leurs fonctions les délégués départementaux du Mindaf dans le Mfoundi et le Wouri ainsi que les conservateurs fonciers desdits départements. Pascal Anong Adibimé décidait dans la foulée de remplacer les responsables suspendus par des intérimaires. Cet acte était le dernier d'une série de mesures entamées cinq jours plus tôt, le 7 décembre, avec l'apposition des scellés dans les services du cadastre et les conservations foncières des départements concernés.
Mutations s'était fait l'écho de toutes ces mesures tout en précisant que certains des scellés placés dans le service départemental du cadastre du Mfoundi avaient été brisés. Votre journal indiquait que les décisions prises faisaient suite à des soupçons de corruption et de malversations financières dans ces administrations chargées de délivrer des titres fonciers.
Les investigations menées ces dernières semaines permettent d'être plus précis sur ce qui s'est passé au Mindaf. Tout est parti des renseignements faisant état de trafics divers dans la procédure de délivrance des titres fonciers à Douala et à Yaoundé. Selon une source bien informée, il avait été signalé au ministre l'existence de titres fonciers irréguliers ou parallèles dans ces deux plus grandes métropoles du pays. Les mêmes renseignements indiquaient que des livres fonciers du Mfoundi et du Wouri présentaient des feuillets déchirés ou vierges.
Dans le même temps, certains responsables du Mindaf étaient accusés d'extorquer de l'argent aux usagers en échange de services publics en principe gratuits. La situation paraissait d'autant plus grave qu'elle concerne le titre foncier, document qui requiert une sécurité sans faille. Le ministre Anong Adibimé décidait alors d'engager une opération coup de poing, dans le but de contrôler et de vérifier les informations portées à sa connaissance.
Une commission d'enquête était rapidement constituée autour de l'Inspecteur général et de la Cellule de lutte contre la corruption du Mindaf. Pour agir par surprise et éviter que d'éventuels documents compromettants ne soient retirés de la circulation, les préfets du Mfoundi et du Wouri étaient mis à contribution pour sceller les bureaux avant l'arrivée de la commission d'enquête sur le terrain. Cette mesure conservatoire a fait paniquer des responsables départementaux du Mindaf. Certains ont décidé de rompre les scellés dans quatre des cinq bureaux du service départemental du cadastre à Yaoundé. A Douala, les scellés n'auraient pas été apposés sur une porte de sécurité donnant accès à l'un des bureaux de la conservation foncière, ce qui aurait facilité la fuite de documents compromettants, selon nos sources.
Corruption
Lors de leurs descentes sur le terrain du 11 au 13 décembre, les membres de la mission d'enquête présidée par Emmanuel Ndjere, magistrat et inspecteur général au Mindaf, ne sont cependant pas rentrés bredouilles. Selon notre source, un système d'extorsion de fonds à tous les usagers de la conservation foncière du Mfoundi a été mis à nu. Pour la constitution d'un dossier technique de morcellement d'un terrain, nécessaire à l'obtention du titre foncier, la commission d'enquête constate que le dépôt de la demande timbrée s'accompagne du versement d'une somme indue de 2000 Fcfa destinée au conservateur.
En cas d'approbation de ce dernier, le même montant est exigé " pour l'achat du lait des archivistes ". C'est à la suite qu'un géomètre communique à l'usager les conditions financières exigées pour la constitution du dossier technique de morcellement.
Ainsi, le formulaire de l'état de cession est vendu à l'usager à 1000 Fcfa. Ce dernier doit verser en plus dix mille Fcfa entre les mains d'une certaine Mme Mani, un agent du service départemental du cadastre. 15.000 Fcfa doivent encore être déboursés à raison de 5000 Fcfa pour le responsable du cadastre, le bureau du contrôle et le bureau de mise à jour. A cela s'ajoutent des frais liés aux levers topographiques, à la confection des plans et, naturellement, les frais réglementaires payables à la recette des domaines constitués des droits de l'état de cession majorés de 10%. Pour retirer son dossier technique des services du cadastre, des frais de " dédouanement " de 2000 Fcfa sont exigés à l'usager avant l'apposition des cachets par la secrétaire.
Par ailleurs, la délivrance du certificat de propriété elle-même offrirait le prétexte à la spoliation des usagers. " Au lieu d'acheter la quittance à 5.000 Fcfa comme le veut la réglementation, Mme Mani exigeait 15.000 Fcfa à tout le monde ", dit un agent sous anonymat. Curiosité : la mission d'enquête va constater des cas où un même numéro de quittance avait été porté sur plus de… dix titres de propriété. En clair, il s'agit de détournement de fonds publics opérés avec la probable complicité des responsables de la recette domaniale. Plus grave : le conservateur foncier du Mfoundi aurait délivré des certificats de propriété à des usagers sur des terrains dont le titre foncier faisait l'objet d'une hypothèque. Toute chose qui ruine la crédibilité du document.
C'est ainsi, apprend-on de nos sources que, sur la base d'un acte notarié imaginaire, le conservateur foncier du Mfoundi a donné son onction, le 30 novembre 2007, à une mutation du titre foncier n°30191 sur lequel était inscrite, depuis le 31 octobre 2007, une hypothèque de 375 millions Fcfa au profit de "La plazza Sarl". Ce n'est pas le seul exemple du même type de manipulation. De même, la mission d'enquête a constaté sur certains volumes du livre foncier des feuillets vierges ou partiellement remplis et souvent non signés alors que le titre foncier avait été délivré... Selon la réglementation en vigueur, les titres fonciers délivrés sur la base de telles irrégularités seront annulés de plein droit.
Enquête policière
A Douala, la moisson est moins abondante mais révèle quand même des situations assez graves. En attendant des investigations plus poussées, la mission a enregistré des irrégularités semblables à celles constatées à Yaoundé. Un exemple : on a trouvé des traces de cinq dossiers d'immatriculation au profit d'un même groupe d'usagers sous la dénomination de Mbango Téclaire et consorts. Pour de vastes terrains dont les superficies s'étendent de 19 à 87 hectares (292 ha au total) dans la zone de Bonaberi, un numéro identique de quittance (3827238) est porté sur chacun de ces dossiers. Le montant des frais à verser à l'Etat varie pourtant d'un dossier à un autre et se situe entre 1 et 13 millions Fcfa. Les cinq dossiers portent la même date d'entrée au service départemental du cadastre : 10 octobre 2007. Même si l'on se rend curieusement compte que certaines opérations administratives ont été menées un an plus tôt, entre le 12 et le 20 octobre… 2006.
Le cas Mbango Téclaire et consorts, pour lequel le trésor public n'a encaissé que 11 millions Fcfa sur les 43 millions en principe attendus, n'est pas unique. Il aurait été aussi expérimenté à Yaoundé. Dix dossiers portant sur 50 ha de terrain chacun et appartenant à une même communauté ont donné lieu au paiement d'une redevance de 5 millions Fcfa sur les… 30 réglementaires. Les responsables départementaux du cadastre du Wouri ont plusieurs fois utilisé l'artifice du numéro de quittance identique sur plusieurs dossiers distincts appartenant aux mêmes usagers. " Cette stratégie présentait le double avantage de morceler illicitement de vastes étendues de terrains pour contourner certains obstacles réglementaires (l'immatriculation des propriétés foncières de plus de 100 ha faisant l'objet d'une attention particulière, Ndlr) et soutirer aux usagers de l'argent dont une petite partie seulement se retrouve dans les caisses de l'Etat ", explique un informateur.
Le préjudice pour le Trésor public de ce système de rapine ne serait pas encore évalué. Mais l'on apprend que c'est " au moins 60% des recettes domaniales qui auraient été détournées à Yaoundé et à Douala, sans compter les sommes illicitement extorquées aux usagers ". La commission d'enquête aurait découvert des dossiers de certains usagers qui, pour avoir refusé de répondre aux sirènes de la corruption, ont été " sanctionnés ". Non seulement les frais à payer au trésor public ont été surévalués dans leur cas, mais aussi les titres fonciers n'ont jamais été délivrés, malgré le paiement des sommes surévaluées.
Dans le cas de Yaoundé où la mission d'enquête a réussi à surprendre un individu dans l'un des bureaux sur lequel les scellés avaient été rompus, Pascal Anong Adibimé a saisi le Commissariat central n°1 pour l'ouverture d'une enquête. Des plaintes additives pour " faux et usage de faux et détournement de deniers publics en complicité et en coaction " ont également été déposées à Douala comme à Yaoundé. Les enquêtes porteront autant sur la rupture des scellés que sur certains cas de fraude constatés. Elles devront aussi cerner l'ampleur du préjudice subi par l'Etat entre le 30 septembre 2005, date du démarrage des activités des conservations foncières du Mfoundi et du Wouri, et le 19 décembre 2007. Ce qui laisse déjà présager des poursuites pénales contre les fraudeurs. Après les sanctions administratives prises le 13 décembre 2007.
Source: Quotidien Mutations
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