L’article premier de cet acte réglementaire énonce : “ Est et demeure interdite jusqu’à nouvel ordre toute manifestation publique et particulièrement les marches sur la voie publique dans toute l’étendue de la province du Littoral. ” En demandant aux préfets, au commandant de la légion de gendarmerie et au délégué provincial de la Sûreté nationale d’exécuter l’arrêté, le gouverneur avertit que “ tout contrevenant, quel qu’il soit, s’expose aux sanctions prévues par la réglementation en vigueur. ”
Cet arrêté, le tout premier depuis que le nouveau gouverneur a été installé dans ses fonctions le 12 décembre 2007, est une restriction des libertés conquises de haute lutte par les Camerounais et arrachés à la faveur de la loi n°90 / 055 du 19 décembre 1990 portant régime des réunions et manifestations publiques. Selon cette loi, les manifestations publiques sont libres. La seule restriction légale au droit de manifester est l’atteinte grave à l’ordre public. Dans ce cas, l’autorité peut, entre autres, interdire la manifestation. Mais l’acte pris par le gouverneur du Littoral n’est pas lié à une manifestation déterminée.
Il s’agit d’un texte de portée très large, s’inscrivant sur une durée… indéterminée. Aujourd’hui, on se demande si Douala est en état d’urgence, c’est-à-dire dans une situation de menace ou de troubles graves justifiant le renforcement des pouvoirs de police des autorités civiles.
Province contestataire
S’il n’est pas évident de savoir ce qui a réellement motivé cet acte, il est en revanche loisible de constater que le contexte sociopolitique actuel marqué par le débat sur la modification de la Constitution fait frémir les autorités, notamment le pouvoir de Yaoundé. Or le chef-lieu de la province du Littoral est une ville contestataire.
Alors que les apparatchiks du pouvoir arrachent dans leurs villages des motions de soutien à la modification de la Constitution afin que Biya soit candidat à la présidentielle de 2011, Douala est la seule ville où des manifestations publiques ont lieu pour dénoncer cette manipulation de la loi fondamentale.
Le 5 janvier 2008, le Front social démocrate (Sdf) a marché à Bépanda (Douala V) pour dire “ non à la modification de la Constitution ”. La décision a été prise à l’issue d’un comité provincial élargi.
Le 12 janvier, le Combattant Mboua Massock a été arrêté à Ndokoti (Douala III) et détenu pendant 8h de temps à la sous-préfecture alors qu’il s’apprêtait à marcher. Son objectif était d’appeler les Camerounais à se soulever pour barrer la voie au hold up que les hommes d’appareil veulent opérer sur la Constitution. L’artiste Joe la conscience qui donne une conférence de presse demain 18 janvier à Douala s’apprête aussi à marcher pour dénoncer… D’autres hommes politiques, dont Anicet Ekane du Manidem, préparent également une grande mobilisation populaire contre la modification de la Constitution.
“ Museler les rebelles ”
Le désaccord entre les pontes du régime Biya et le peuple est si profond qu’une étincelle peut rapidement enflammer la cité. A Douala, c’est possible en effet. On se rappelle les douloureuses épisodes du début des années 1990 où la capitale économique semblait constituer un Cameroun à part avec ses villes mortes, ses cartons rouges, ses campagnes de désobéissance civique, etc. Aujourd’hui encore, le gonflement du nombre de bendskineurs constitue une menace. Ces conducteurs de mototaxis se sont déjà illustrés en juillet 2003 en neutralisant les forces de police et en prenant Douala en otage pendant une journée ! Hier, au cours des travaux de leur association, ils ont affirmé leur volonté de ne pas exécuter les injonctions du préfet du Wouri qui leur demande de libérer les carrefours.
La province du Littoral, avec ses quelque 3,5 millions d’habitants, est donc une poudrière. En interdisant les manifestations publiques, le pouvoir voudrait probablement minimiser les risques d’explosion. Parce que, comme dans le cas de Mboua Massock le week-end dernier, l’interdiction d’une marche ou l’arrestation d’un leader dégénère rapidement en émeute. Mais la meilleure façon de prévenir cela est-elle d’ôter aux citoyens la liberté de manifester publiquement ? Le pouvoir voudrait-il ainsi “ maîtriser ” les populations pour faire avaler dans la lâcheté l’amère pilule de la modification de la Constitution ?
Source: Le Messager
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