La rue dite de la "Boulangerie Moderne" à Bafoussam est un coin tranquille. A son sujet, l’on sait au moins une chose : ce n’est pas un lieu réputé du grand banditisme, des agressions, de la pègre. Le quotidien offre de cette zone une image plutôt positive. Des promoteurs de Pme, venus surtout de l’Afrique de l’Ouest, s’y sont installés et opèrent sans problème. A l’instar de Abdou, de nationalité malienne, qui a investi près de quatre millions de Fcfa en 1988, dont deux millions en immobilisations (local rénové, machines…) obtenus sur crédit bancaire. Avec des "contacts au Bénin, ainsi qu’en Indonésie et au Nigeria", affirme-t-il. Son personnel aussi est qualifié : les trois associés ont des diplômes en industrie d’habillement et se sont rencontrés au Tchad en 1986. Ils ont à leur service trois employés et un agent d’entretien. 1000 chemises par an, 400 tailleurs sur commandes,700 pantalons et autres toujours par an. Les économie d’échelle et le travail de qualité ont depuis porté des fruits. Deux partenariats avec des prêts-à-porter et quelques magasins de la place, "un réseau de revendeurs bien maîtrisé" et des bénéfices en progression constante.
Les choses ne sont pas les mêmes dans tout le secteur de la confection. Evoluant pour l’essentiel dans l’informel, l’on a du mal à connaître les contours exacts. Mais, les lecteurs des magazines spécialisés ont certainement le souvenir de ces "créateurs" qui exhibent leurs linges de vêtement sur des colonnes : "Effectivement, nous essayons par-là de vendre notre travail et de susciter une culture du vêtement", confie, un employé de maître tailleur " Paulo ". Installé depuis bientôt une décennie, il estime "avoir fait ses preuves" avec une production de qualité et qui s’améliore, des clients haut-de-gamme, surtout dans le monde féminin.
Toutefois, comme Dav, autre créateur, il trouve que "les choses traînent encore". Sans doute du fait de la concurrence de la… friperie et des vêtements de "moindre qualité" qui viennent surtout d’Asie du Sud-Est. La libéralisation du commerce n’est peut-être pas pour favoriser ces créateurs, mais certains autres en tirent profit. Plongés dans les entrailles du quartier Auberge, toujours à Bafoussam, quelques jeunes Camerounais tentent la success-story, avec en moins la transparence des films américains.
Avec une mise de départ presque nulle et un bénéfice qui passe au double après deux ans d’activité, ils transforment quelque part le monde de la chemise, du pantalon et des tailleurs. La technique est simple : des étoffes et griffes importées d’Asie, de bons tailleurs, de bons emballages enjolivés et rayonnants et le tour est joué. Les contacts avec les prêts-à-porter (pas uniquement bas-de-gamme !) permettent d’écouler avec succès la production : "Je suis satisfait. On a beau dire que ces chemises sont fausses ou imitées, mais je dirais qu’elles sont bien, et jolies en plus. J’alterne les vêtements. Je vais chez les tailleurs ou j’achète au marché", affirment en chœur des clients rencontrés à l’Auberge. Les propriétaires des prêts-à-porter estiment pour certains que " cela ne leur fait pas concurrence. Ces produits ont leur cible qu’ils atteignent. Nous pouvons collaborer avec les créateurs locaux ". Pour d’autres, " la collaboration a déjà commencé. Nous vendons des produits fabriqués au Cameroun, comme les tailleurs Ernest D ou les chemises Wamba ". Avec les "collègues, pense un propriétaire de Pme, la dynamique est lancée pour non seulement combattre la contrefaçon, mais aussi faire adhérer les Camerounais à l’esprit de la mode de chez nous". Du bon coton à filer en perspective.
Michel Ferdinand, Quotidien Mutations
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