"En 25 ans, il n'y a pas eu un seul projet mobilisateur. Il y a une improductivité générale dans tous les domaines", assène le philosophe camerounais Fabien Eboussi Boulaga. "C'est la médiocrité qui domine, une médiocrité militante qui empêche toute autre chose de s'exprimer". A son arrivée au pouvoir, Paul Biya, qui succède au président démissionnaire Ahmadou Ahidjo dont il était le Premier ministre, incarne pourtant un espoir d'un changement, après 22 ans ininterrompus d'un régime de parti unique répressif depuis l'indépendance.
Des espoirs déçus, critiquent ses détracteurs. "Sous Ahidjo, les Camerounais pouvaient se projeter dans l'avenir d'une manière claire à travers le système éducatif qui était conçu comme une vraie rampe de lancement et un ascenseur social formidable. Ce n'est plus du tout le cas aujourd'hui", déplore le politologue Fred Eboko.
Grégoire Owona, le secrétaire général adjoint du Comité central du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), l'ex-parti unique du président Biya, conteste et énumère les réalisations du régime.
"Sur le plan politique, on doit retenir l'avènement de la démocratie et de la pluralité des opinions. Sur le plan social on peut noter la multiplication importante d'infrastructures en termes d'hôpitaux, d'écoles, etc...", explique-t-il.
L'ouverture démocratique, obtenue au forceps au début des années 90 au terme d'un puissant mouvement de contestation, n'a jamais été réelle, tempère un diplomate. Les opposants sont "atomisés, manipulés, achetés", explique-t-il, le système vise "pour persévérer (...), à passer à la toise, à briser les récalcitrants".
Dans la deuxième moitié des années 80, la situation économique, marquée par dix années précédentes de croissance et d'amélioration des indicateurs sociaux, commence à fortement se dégrader. Les entreprises publiques, mal gérées, deviennent un fardeau pour l'Etat. S'ajoute en 1994 la dévaluation de 50% du franc CFA.
Selon l'Unicef, l'espérance de vie, qui avait atteint 53 ans en 1990, est redescendue en 2005 (46 ans) à un niveau proche de celui de 1970 (44 ans).
Surtout, la corruption s'est généralisée et son ampleur vaut au pays de figurer régulièrement en haut du classement des pays les plus corrompus du monde. Nombre de projets sont bloqués car les "dîmes" réclamées sont exorbitantes, souligne un diplomate européen.
Certes, la situation économique s'est aujourd'hui améliorée et le gouvernement - notamment pour plaire aux bailleurs de fonds - a lancé plusieurs réformes.
Grégoire Owona veut ainsi surtout retenir de ces 25 dernières années la récente libéralisation de l'économie, marquée par la privatisation des entreprises d'Etat, ainsi que "les réformes qui instituent la bonne gouvernance au sein des entreprises et de l'appareil d'Etat".
Mais l'impression générale reste celle d'un système sclérosé. "Ici, tout est bloqué par la petite élite qui est au pouvoir", résume un étudiant, candidat à l'expatriation.
"Nous ne pouvons pas continuer comme ça", affirme l'archêveque de Douala, le cardinal Christian Tumi, contempteur patenté du régime, "nous ne pouvons pas progresser sans que chacun prenne conscience du bien à faire et du mal à éviter", estime-t-il.
Mais "tant que la génération qui est au pouvoir sera là, on ne pourra rien faire. Ils ne peuvent pas changer".
"Le régime a une seule préoccupation, celle de conserver le pouvoir", abonde Fred Eboko, qui dénonce une "vraie et profonde indifférence" du pouvoir camerounais à l'égard des attentes de ses concitoyens.
Ce que conteste Grégoire Owona: "On peut parler de lenteur, mais pas d'indifférence dans le système Biya".
Source: L'intelligent
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