Arrivé à Douala il y a quatre ans, cet habitant du quartier Makepe avait trouvé les deux voies reliant « Bijou Makepe » au « rond point Petit Pays » en bon état. Le coin affichait un visage avenant avec les pelouses des immeubles de la Sic. Aujourd’hui, l’endroit est méconnaissable. Les deux routes se sont dégradées progressivement et en très peu de temps. Résultat, les automobilistes en provenance de Rhône Poulenc ont toutes les difficultés pour passer par là. Obligés qu’ils sont d’emprunter le terre-plein central. Par ces temps de pluies, le spectacle est désolant avec toute cette boue transportée par les roues des véhicules vers le tronçon de la voie où le bitume est encore intact. Tant et si bien qu’à cet endroit la chaussée ressemble à une route de terre, en plein carrefour Bijou.
Observateur, l’habitant de Makepe s’est rendu compte que beaucoup d’autres routes de la capitale économique, se détériorent très rapidement. Petit à petit. Une fissure, un faillançage, une crevasse, puis un trou et enfin un lac qui coupe littéralement la circulation. C’est comme ça un peu partout et il n’est même presque pas de route à Douala sans problème. A l’heure actuelle, seuls quelques axes dont les routes chinoises et le boulevard Leclerc sont nets et lisses. Mais l’on a de bonnes raisons de craindre quelque « contagion ». Pour comprendre la question de la dégradation des routes à Douala, il est une donnée que l’on maîtrise déjà : la nature du sol. L’ingénieur des travaux publics Jacques Didier Mbog explique que « la route ou le corps de chaussée est composé de trois couches : la couche de fondation, la couche de base et la couche de revêtement. Ce corps de chaussée repose sur un sol de plate forme qui, à Douala, est fait de sable argileux ou de grave, des matériaux de faible portance qui ne sont pas assez nobles pour la constitution des assises routières ». La capitale économique n’est donc, d’office, pas bien lotie, de par la nature de son sol.
Il n’empêche, poursuit Jacques Didier Mbog, « ces sols ont fait l’objet d’études suffisamment poussées sur leur comportement rhéologique, géotechnique et mécanique, études grâce auxquelles le corps de chaussée de Douala ne devrait pas poser problème ». Comme pour dire que la question posée par les sols a été résolue. Mais d’où vient-il donc que les routes, une fois construites, présentent, au bout de quelque temps seulement, le visage que l’on déplore ? C’est là toute la question. A Douala, on entend très souvent l’homme de la rue crier au bricolage. Avec ces bien camerounaises assurance et certitude du profane. Les routes se dégradent aussi vite parce qu’elles seraient mal faites. Un doigt accusateur est donc pointé sur les entreprises des travaux publics et sur ceux qui commanditent les travaux, les autorités municipales en l’occurrence. D’autres facteurs interviendraient qui auraient à voir avec l’urbanisation, les activités humaines, l’imprévoyance ou l’incivisme (encore et toujours !). Des facteurs humains très largement humains donc.
L’examen de toutes ces hypothèses prétend dégager des pistes, souvent inattendues, pour la compréhension d’une spirale dont Douala n’est pas près de sortir. Un cercle vicieux contre lequel toutes les réhabilitations, milliards de francs Cfa à la clé, pourraient échouer. Contrairement à ce que disait la fameuse publicité à la télévision, « bosses et trous », l’automobiliste de Douala ne s’en fout pas. Accrochez-vous donc pour un périlleux gymkhana à travers notre voirie.
Chasser le «naturel…»
Sol, climat et relief prédisposent la ville à ces dégradations rapides des routes.
En début d’année 2006, des couches de latérite son étalées le long de l’axe marché central – rue des palmiers à Bonapriso, pour recouvrir les énormes cratères et nids de poule qui parcourent cette route stratégique du réseau structurant. Quoique provisoire en attendant une réhabilitation plus profonde, cette opération aura au moins le mérite de fluidifier la circulation, au grand bonheur des automobilistes. Mais ces derniers vont vite déchanter. Dès l’arrivée des pluies, survenues beaucoup plus tôt dans la nuit, les couches de terre vont disparaître, et la route retrouvera rapidement son ancien visage. L’embellie n’aura pas duré trois mois. Idem pour tous les autres axes dans la même situation, et qui auront particulièrement souffert dans une année où la saison des pluies couvrira presque neuf mois sur douze. Car, même si les diamants ne sont pas éternels, la précocité de la dégradation des voiries à Douala indique tout de même une spécificité de la ville, qui échappe aux capacités techniques des ingénieries en charge de son aménagement, au trafic, à l’activité humaine et à toute autre cause conventionnelle de détérioration des routes, communes à toutes les cités. Disons que de façon « naturelle », la capitale économique a quelques prédispositions dommageables à la pérennité du bitume. Et dont la moindre n’est pas la géologie sablonneuse et marécageuse qui tapisse l’ensemble du réseau structurant. Comme nous l’explique l’un des ingénieurs techniciens de la société Ketch, la structure instable du sol exige un niveau de damage plus important avant tout revêtement. A la manière des fondations d’une maison, l’activité de trafic en surface déstabilise plus facilement la chaussée si ses assises ne sont pas suffisamment consistantes. Or par nature, les sols sablonneux et côtiers beaucoup plus perméables, laissent filtrer l’eau et l’humidité qui entament le revêtement bitumineux par le bas, créant en surface les premières failles que l’activité humaine transformera plus tard en cratères.
Mais à cette géologie déjà défavorable, s’ajoute comme susmentionné, un climat qui en rajoute à la difficulté d’entretien. Des grosses chaleurs aux fortes pluies, les variations de températures – souvent à l’extrême – qui caractérisent la ville, facilitent la corrosion du bitume. Surtout les fréquentes pluies, l’eau étant le principal ennemi du goudron. Dans une autre mesure, le relief plat du chef-lieu du Littoral facilite cette érosion. Les systèmes et possibilités d’évacuation des eaux étant limités aux seuls accotements aménagés (rigoles, caniveaux), qui eux-mêmes ne parcourent pas tout le réseau, celle-ci s’infiltre sous le sol et dans la largeur. Et si, contre cette nature on ne peut rien, il convient de reconnaître que ça demande peut-être un entretien plus régulier que dans d’autres villes. EE Des prestataires pointés du doigt Les adjudicataires des marchés sont les boucs émissaires privilégiés de l’opinion.
Demandez donc aux riverains de la ville ce qui, d’après eux, constitue, la première cause de dégradation prématurée des routes. Neuf personnes sur dix vous diront la même chose : les entreprises de génie civil à qui sont confiés les travaux de réhabilitation « bâclent » leur travail. Et pour être plus précis, ces tirs groupés visent plus particulièrement les opérateurs locaux de la filière, devenus les premiers boucs émissaires. Si les locaux à l’instar de l’entreprise Ketch ont bien conscience de cette mauvaise presse dont ils font l’objet, ils l’attribuent à une grande méconnaissance de l’environnement global du marché du Btp à Douala. A commencer par les caractéristiques mêmes des travaux qui leur sont demandés.
Emmanuel Tessa, le directeur technique de Ketch explique qu’en préambule, « il faut bien savoir que le prestataire ne conçoit pas la route sur laquelle il travaille. Il réalise juste ce qui lui est spécifié par le maître d’ouvrage». Autrement dit, indifféremment de l’adjudicataire du marché, le résultat final est déjà déterminé en amont par la Cud, et sera, de toute façon, le même. Les caractéristiques techniques étant inamovibles et les procédés de traitement étant identiques à toutes les entreprises. En outre, les missions de contrôle qui sont cornaquées à chaque marché attribué, veillent scrupuleusement au respect des prescriptions du maître d’ouvrage pour le travail demandé, durant toutes les phases d’exécution. « Un travail ne peut être réceptionné si la mission de contrôle n’a pas attesté que tout s’est passé dans les règles de l’art », poursuit Emmanuel Tessa. Dans le même ordre d’idées, Jean Yango, directeur de l’atelier de l’urbanisme à la Cud, explique que certains soupçons sur la qualité du travail des prestataires, viennent de l’ignorance même du type de travaux demandé. « Nous pouvons programmer la réhabilitation d’une route, mais en attendant cette intervention importante, nous commandons des travaux provisoires. Forcément, lorsque cette route se détériore après un an, on pense que le travail a été bâclé, alors que le traitement était provisoire ».
Autre dimension, les études de confirmation de l’adjudicataire. Entre l’étude de l’appel d’offre et l’attribution du marché, il peut arriver que l’état de la route concernée se soit dégradé. De ce fait, l’entreprise qui a le marché peut conseiller certaines modifications dans le traitement demandé par la Cud. « Mais comme souvent cela demande des rallonges de budget, la Cud procède à des arbitrages. Toujours est-il que le travail final dépend de l’enveloppe allouée. Plus le budget est élevé, plus on peut faire des structures de chaussées résistantes. Et ce niveau de confort, c’est le maître d’ouvrage qui le détermine », précise le directeur technique de Ketch. Quant à l’entreprise Buns/Mag, autre société nationale qui en est à ses premiers travaux dans la ville, elle reconnaît ne pas connaître suffisamment la topographie locale pour dire si le problème des voiries est d’ordre technique ou naturel.
Les dégâts causés par l’activité humaine
Ce sont les déchets déversés dans les caniveaux et les véhicules surchargés.
Bien que présentée comme la plus importante cause de la dégradation de la route, l’eau n’est pourtant pas le seul facteur. Les routes se dégradent également du fait de l’activité humaine. Comment se manifeste cette activité? Il y a déjà les déchets déversés par les usagers dans les caniveaux et les exutoires destinés à laisser circuler l’eau qui vient de la route. Il y a également les déchets industriels et surtout la surcharge des véhicules qui contribuent à dégrader la route.
Concernant tout d’abord les déchets déversés dans les caniveaux et autres exutoires. « Dans la construction de la route, il faut prévoir des voies d’évacuation des eaux, c’est-à-dire, des caniveaux, des exutoires, des dalots etc. Quand les déchets sont déversés dans ces voies créées pour laisser passer l’eau, ces immondices obstruent l’écoulement des eaux qui débordent des caniveaux et viennent stagner sur la chaussée et la fragilisent », explique Constantin Menou Menou, expert technique en bâtiments et travaux publics. Cet incivisme des populations à travers l’obstruction des ouvrages d’évacuation tels les dalots, les caniveaux, les buses, les drains, est assez visible dans nos marchés que ce soit à Mboppi ou à Deido. Il est très courant de voir des commerçants boucher des caniveaux pour avoir de l’espace où installer leurs comptoirs. Une fois que ces commerçants ont « pointé » leur journée, ils déversent les ordures et autres déchets ménagers dans les caniveaux. Ce qui bloque l’écoulement des eaux, qui plus tard se déversent sur la chaussée et la dégradent. Autre cause, les surcharges de véhicules. « La route est une construction. Elle est calculée pour un poids maximal à la charge. Au Cameroun, la charge autorisée à l’essieu est de 13 tonnes. Quand il y a des camions transportant des grumes de bois, du fer à béton ou des citernes de carburant, qui sont d’une grande densité, cela constitue un facteur de dégradation parce que les matériaux utilisés pour la chaussée ne supportent pas ces charges », indique Bruno Kamga, ingénieur de génie civil. Bien qu’il n’y ait pas de chiffres officiels sur leur nombre, ces gros porteurs sont visibles tous les matins au rond point Deido ou au feu rouge Bessengue, etc. Le long des routes nationales, des stations de pesage sont généralement installées pour s’assurer que les conducteurs respectent ces charges-là. Mais, dans les centres urbains, on ne retrouve pas beaucoup de contrôles de ce type.
La dernière cause, c’est le déversement des déchets industriels et des carburants sur la route. Ces déchets sont non seulement toxiques et nuisibles pour la route, mais aussi pour la santé des populations. Les grandes entreprises et même les particuliers qui polluent ainsi l’atmosphère et dégradent la chaussée ont des explications à donner, car, en fin de compte, ils contribuent par leur action à détruire la couche atmosphérique, et partant, à s’opposer à tout développement qui passe par la route. L’urgence de l’entretien de la route se fait donc ressentir.
L’urgence de l’assainissement et de l’entretien
Lorsqu’une entreprise achève généralement la construction d’une route, celle-ci est abandonnée à elle-même. Il est alors courant de voir des actes d’incivisme posés par des usagers sur la route. Au fil du temps, la route se dégrade sans que personne ne s’inquiète de son entretien. Pourtant, les routes sont construites pour une certaine durée. Au Cameroun, à en croire Remy Claude Ako’o, chef du service provincial des routes pour le Littoral, les routes sont dimensionnées pour 25 ans et l’entretien doit commencer au bout de la première année. Mais, ici chez nous, on attend généralement la 20e année pour commencer l’entretien.
Ce retard dans l’entretien des routes se manifeste de plusieurs manières. « Quand vous allez à Bonabéri, vous constatez un effet renard. C’est-à-dire que, lorsqu’on arrange un nid de poule créé sur la route, un autre nid de poule naît à côté, et ainsi de suite. Tout simplement parce que le nid de poule présent depuis longtemps sur la chaussée est devenu suffisamment grand, qu’il a créé un lac qui a déjà abîmé la route tout autour de lui », explique Remy Claude Ako’o. Ce n’est donc pas quand la route est tellement dégradée et que le confort des populations n’est plus assuré qu’on doit commencer à l’arranger.
Mais, avant d’entretenir la route, ce responsable pense qu’il faut d’abord assainir. L’assainissement de la route consiste à nettoyer et curer les caniveaux, les drains, les dalots et autres pour permettre que l’eau passe. Il doit faciliter l’écoulement des eaux vers les exutoires. C’est quand l’assainissement est fait qu’on doit entretenir. Pire, la ville de Douala a déjà un handicap en ce sens que la ville est située au niveau zéro de la mer, ce qui fait que les eaux ont tendance à stagner. La solution serait donc de canaliser les eaux pour faire accepter par la mer pour résoudre le problème des routes. Cela demande donc de redéfinir une bonne politique d’assainissement, c’est-à-dire, redimensionner les caniveaux et les entretenir au jour le jour.
L’assainissement pose cependant un petit problème. « En milieu urbain, l’assainissement doit tenir compte des implications sur les riverains. Puisque, quand on veut assainir, il faut bien trouver où envoyer toute cette eau », explique Bruno Kamga, ingénieur de génie civil. Il y a quelques années, l’ancien délégué du gouvernement, Edouard Etonde Ekotto, a lancé une grande campagne qui consistait à curer les drains en ville. Malheureusement, cette campagne a posé un problème social parce que les gens avaient construits dans des endroits impropres à la construction comme dans les marécages et les drains, sans aucune autorisation préalable. Comment faire pour les déloger de là sans dédommagement ? C’est le problème social qui s’était posé. « Si on veut avoir des routes qui durent, il faut tenir compte de tous les aspects : urbanistique, social, constructif, etc. », conclut Constantin Menou, expert technique en bâtiments et travaux publics. Car, en fin de compte, la route est un fait social.
Source : Cameroon Tribune
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