Emeutes d’Abong – Mbang : Au nom de la loi !
Le lundi 17 septembre 2007 restera à jamais une date gravée en lettres noires dans la mémoire collective des consommateurs de l’énergie au Cameroun.
Ce jour là, à cause des rationnements intempestifs et quasi permanents de l’énergie électrique dont ils sont victimes, les usagers de l’électricité de la ville d’Abong – Mbang ont voulu exprimer leur raz le bol. Leur manifestation a été sauvagement réprimée dans le sang, laissant sur le carreau, deux (02) jeunes élèves qui sont devenus, malgré eux, les premiers martyrs du droit à l’énergie.
Le Réseau associatif des consommateurs de l’énergie (RACE) dénonce ces violences perpétrées sur des usagers dont le seul tort était d’exprimer pacifiquement leur courroux face aux désagréments des délestages interminables de l’énergie électrique qu’ils subissent. Le RACE exige que l’enquête décidée le 18 septembre 2007 par le gouvernement aboutisse effectivement dans les 8 jours comme annoncé et que les résultats soient rendus publics dans les brefs délais. Nous sommes par ailleurs disposés à apporter notre modeste contribution à la commission mixte mise sur pied et chargée de faire toute la lumière sur cette affaire.
Les événements sanglants d’Abong – Mbang ont dévoilé à nouveau, aux yeux du monde entier que le Cameroun est loin d’être un pays des Droits de l’Homme et de justice sociale comme le prétendent ceux qui nous gouvernent. Ils constituent un indicateur sérieux du niveau réel de la liberté d’expression dans notre pays.
Comment peut – on comprendre qu’au nom du sacro-saint principe du respect de la loi et du maintien de l’ordre, qu’on puisse tirer à balles réelles et tuer de sang froid, des jeunes gens sans armes qui manifestent pour leur droit à l’énergie électrique, droit par ailleurs garanti par la loi ?
Pourquoi au nom de cette même loi n’a-t-on pas encore réussi à établir les responsabilités évidentes de l’opérateur privé, concessionnaire du service public de l’électricité au Cameroun (la société Aes-Sonel) et celle de l’Agence de régulation du secteur de l’électricité (l’Arsel) qui est chargée de faire respecter, par les opérateurs du secteur, les conditions des contrats de concession ?
Une analyse sommaire du cadre juridique et règlementaire régissant le secteur de l’électricité met clairement en relief le degré de responsabilités, tout au moins civiles, de la société Aes-Sonel avec la complicité passive de l’Arsel, dans ces tristes évènements.
En effet, en vertu de la loi N°98/022 du 24 décembre 1998 portant régime de l’électricité et du décret N°2000/464/PM du 30 juin 2000 régissant les activités du secteur de l’électricité, mais aussi, selon certaines dispositions du cahier des charges issu du contrat de concession signé avec l’Etat du Cameroun, la société Aes-Sonel est assujettie «…aux obligations de service public, de régularité et de sécurité des approvisionnements en énergie électrique et celle d’égalité de traitement des usagers…». En clair, les consommateurs de Douala ou de Yaoundé n’ont pas plus droit à l’électricité que ceux d’Abong – Mbang ou d’une autre localité du pays.
L’Agence de régulation du secteur de l’électricité (l’Arsel) quant à elle, a gravement failli à sa mission principale qui est de «…veiller aux intérêts des consommateurs et assurer la protection de leurs droits pour ce qui est du prix, de la fourniture et de la qualité de l’énergie électrique…, de veiller à l’accès des tiers aux réseaux de transports de l’électricité…, de veiller également au respect du principe d’égalité de traitement des usagers par tout exploitant ou opérateur du secteur de l’électricité…». Cf Décret présidentiel N°99/125 du 15 juin 1999 portant organisation et fonctionnement de l’Arsel.
La province de l’Est, est la plus grande et la plus riche en ressources naturelles des 10 provinces du Cameroun. Elle est déjà exsangue en infrastructures industrielles en général, mais elle est aussi particulièrement mal desservie par le réseau de distribution de l’énergie électrique. A ce propos d’ailleurs, M. Nyobe Samuel, sous directeur du suivi de la qualité de service à l’Arsel, en visite à Bertoua et Abong – Mbang aux lendemains des émeutes, reconnaissait au micro de Canal 2 International (Cf. Journal de 20h du 20 septembre 2007) : «…un travail de fond n’a jamais été fait pour sécuriser l’approvisionnement en énergie électrique dans la province de l’Est…Aes-Sonel a presque toujours procédé par la pose des générateurs pour assurer le minimum d’alimentation en électricité dans cette région…».
Qui de AES-Sonel ou des manifestants d’Abong - Mbang est hors la loi ?
Tous les arguments techniques avancés par M. Jean David Bile, directeur général de Aes-Sonel, (lors d’un point de presse tenu le 18 septembre 2007) pour justifier les délestages à l’origine des émeutes, n’ont pas convaincu les consommateurs et les familles des victimes. Rien ne peut justifier qu’un déficit énergétique estimé à seulement 3Mw, pour toute la province de l’Est ne puisse pas être résorbé dans des délais raisonnables.
Fallait – il qu’il y ait mort d’hommes pour penser à faire convoyer 19 groupes électrogènes à Abong – Mbang, pour entamer les travaux de réhabilitation de la centrale thermique de Bertoua et pour promettre la fin du calvaire des rationnements de l’énergie électrique dans cette localité au 20 octobre au plus tard ?
Les larmes de crocodile des dirigeants de AES-Sonel et toutes les promesses faites aux populations d’Abong – Mbang ne suffiront pas à effacer le traumatisme des émeutes du 17 septembre 2007 et le sentiment d’exclusion et d’injustice de nos compatriotes du Haut-Nyong et de la province de l’Est en général.
Ce n’est plus un secret pour personne, dès la reprise de la Sonel, les Américains de AES Sirocco, bénéficiaire de la concession, ont privilégié la logique du maximum de profit pour leurs actionnaires au détriment de l’investissement d’urgence et de l’investissement en général.
Au nom de la loi, il faut condamner et sanctionner AES-Sonel et l’Arsel !
La réalité socio-économique de plus en plus difficile qu’endure l’immense majorité de nos compatriotes et l’apparente insensibilité des pouvoirs publics à leur sort, vont exacerber la lutte contre la vie chère, engagée sur plusieurs fronts par les consommateurs camerounais.
Les intimidations et la violence d’Etat n’arriveront jamais à bout d’un peuple en lutte pour la survie et déterminé à satisfaire ses desideratas fondamentaux au contraire, elles aboutissent presque toujours à des révoltes populaires légitimes qui apparaissent alors comme la seule issue à l’injustice sociale.
Le sang de Charles Mvogo et Jean Shimpe Poungou Zock interpelle à la fois la conscience du mouvement consumériste national et celle de la société civile dans son ensemble. Il nous rappelle brutalement notre responsabilité individuelle de consommateur et de citoyen dans le combat âpre et harassant pour le triomphe de la liberté d’expression et de la justice au Cameroun.
L’accès à l’énergie est un droit essentiel et inaliénable !
Source: CL MEMBERS
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