Des mères dissuadent désormais leurs fils de partir et la surveillance des côtes s`est renforcée.
‘Je ne veux plus partir. Grâce au collectif des femmes’, lâche Sambaye Cissé, assis sous l`auvent d`une cour de Thiaroye-sur-mer, dans la banlieue maritime de Dakar. Ce père de quatre enfants a tenté deux fois la traversée vers l`Europe. Boubou gris, barbe poivre et sel, pêcheur, 46 ans, raconte : ‘J`ai fait une première tentative le 4 mars 2006. Le sixième jour il y a eu une tempête, à hauteur du Sahara marocain. La pirogue commençait à se démembrer. Un bateau de pêche a donné l`alerte.’ Les quelques 80 candidats au rêve européen ont été rapatriés.
Pas découragés, ils sont repartis en août, sur une pirogue artisanale de 22 mètres. Interceptés à leur arrivée sur l`île espagnole Tenerife, ils ont été rapatriés en septembre. ‘Certains ont voulu récidiver, mais entre-temps, le collectif de femmes s`était créé. Grâce à elles, les gens ont pris conscience que la traversée était un danger.’ Sambaye est retourné à ses filets, mais les prix du poisson ne cessent de baisser.
D`autres ont eu moins de chance. Le fils unique de Yayi Bayam Diouf y a laissé sa vie. C`est ce qui a poussé l`énergique commerçante à fonder le Collectif des femmes pour la lutte contre l`émigration clandestine. ‘Je suis allée voir les mères pour les convaincre de ne pas financer le départ de leurs enfants. Au début, on me prenait pour une folle’, raconte-t-elle, majestueuse dans son ample robe bleu azur, le téléphone portable vissé à l`oreille. ‘Les gens disaient que je faisais cela parce que mon fils avait échoué.’ Puis d`autres sont morts. Beaucoup.
‘Alors, la communauté est venue me trouver, on s`est dit qu`il fallait faire quelque chose’. En quelques mois, le village s`était vidé de ses jeunes gens. ‘Il n`y avait même plus assez de jeunes pour organiser un match de foot !’, s`exclame Yayi Bayam. Maintenant, ‘plus personne ne part’, assure la présidente du groupement de femmes. Ces dernières ont multiplié les réunions de sensibilisation et convaincu le chef du village et l`imam. ‘Notre société est très hiérarchisée. Si les autorités disent de ne pas partir, les gens obéissent.’ Quiconque déroge à la règle se voit mis au ban de la société. Impossible, par exemple, d`acheter quoi que ce soit au marché.
Sensibilisation
L`entreprise est aussi devenue plus difficile. Depuis septembre 2006, le Sénégal fait partie du dispositif de surveillance coordonné par Frontex, l`agence de contrôle des frontières extérieures de l`Union européenne.
L`accord qui le lie à l`Ue, en particulier à l`Espagne, a d`ailleurs été reconduit pour une année, le 22 juin. Les 700 km de côtes sénégalaises sont scrutées par l`armée, la police et la gendarmerie, avec l`appui matériel de l`Italie et de l`Espagne, explique le colonel Alioune Ndiaye, responsable de la communication de la police. ‘L`Europe a compris que si elle nous laissait seuls face à ce problème, rien ne serait résolu’, relève-t-il. Vedettes, avions, hélicoptères, véhicules terrestres, matériel informatique, de communication et de surveillance sont ainsi mis à disposition.
‘Quand on a parlé de vedettes espagnoles, les gens ont cru que les Européens venaient faire la loi chez nous. Il n`en est rien, ce sont des Sénégalais qui patrouillent’, précise M. Ndiaye. Depuis, ‘on enregistre une baisse de 90 % des départs’, constate le colonel. Mais les passeurs inventent de nouvelles ruses. ‘Il y a beaucoup d`argent en jeu’. Des bateaux plus rapides ont ainsi fait leur apparition, remplaçant les pirogues ‘faciles à arrêter’. ‘La lutte se durcit’, observe M. Ndiaye. Et les passeurs ont trouvé d`autres points de départ, comme la Gambie, la Guinée-Bissau ou même l`archipel du Cap-Vert.
Pour Sambaye Cissé, il faut s`attaquer à la cause des départs : ‘Pour que les jeunes aient un avenir chez eux et ne rêvent plus d`exil, l`Europe doit investir ici’.
Source: Quotidien Mutations
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