Mais pour le commandant du Breguet Atlantic des forces armées italiennes qui a pris la photo, elle faisait surtout partie des procédures de routine pour ce genre de situation. Une fois sur place, dans nos opérations de sauvetage, nous transmettons immédiatement les images à la base, afin d'activer au mieux les secours", explique le lieutenant de vaisseau Flavio Pasquini.
Les naufragés s'étaient hissés sur la passerelle qui court autour de ces cages métalliques utilisées pour l'élevage de thons. Quelque 35 cm de largeur qui leur ont permis de prendre appui et leur ont sauvé la vie. "Je n'avais jamais vu cela, reconnaît ce militaire, pourtant rompu aux missions de recherche d'embarcations d'immigrants en Méditerranée. Nous nous sommes approchés jusqu'à 40-50 mètres au-dessus du niveau de la mer et avons pu nous rendre compte de la situation. Certains d'entre eux agitaient les bras pour appeler au secours. J'ai su après qu'ils étaient là, dans l'eau, depuis 36 heures."
Tenter de larguer les deux canots pneumatiques gonflables que l'appareil possède aurait été trop dangereux. Mieux valait faire intervenir le patrouilleur Orione de la marine militaire qui était déjà dans les parages, entre les côtes maltaises et libyennes. Avion et navire étaient, en effet, à la recherche d'une autre embarcation d'immigrants en détresse dont on n'a plus de nouvelles depuis lundi 21 mai. Ce jour-là, une autre photo avait été prise, celle d'un rafiot plein à craquer, après un coup de fil parti de l'embarcation pour Bergame, en Italie. Depuis, elle a disparu avec ses 57 pauvres passagers à bord, des Erythréens.
Appel au secours
Les 27 hommes agrippés aux cages à poissons ont, eux, eu plus de chance. Ils étaient partis, selon les témoignages, dix jours auparavant du port libyen de Zawarah. Le moteur de leur embarcation était tombé en panne peu après leur départ. La veille de leur sauvetage, vendredi 25 mai, ils avaient pu s'agripper aux cages à poissons, plutôt nombreux en cette période de l'année en Méditerranée.
Mais ce que l'on ne voit pas sur la photo et qui rend l'aventure encore plus emblématique, c'est que les cages étaient rattachées à un remorqueur maltais, le Budafel, qui tractait le tout vers l'Espagne. Mais l'appel au secours des naufragés a été vain. Le capitaine du remorqueur a refusé de les prendre à bord. L'armateur s'y serait opposé. Le chargement de thons était trop précieux pour courir des risques. "On n'échange pas 1 million de dollars contre un million de problèmes", aurait-il déclaré, selon un quotidien britannique.
Les autorités maltaises et libyennes se sont renvoyé mutuellement la responsabilité d'intervenir pour sauver ces hommes tout au long de la journée du vendredi 25 mai.
Pour Malte, ces naufragés étaient dans la zone de compétence des Libyens. Ces derniers ne voulaient rien savoir. Les Maltais se sont finalement décidés à avertir les Italiens, samedi. Le Breguet Atlantic a repéré sans difficulté les hommes accrochés aux cages, en début d'après-midi. "Quand je les ai vus, je ne pouvais y croire", insiste le lieutenant Pasquini.
Un hélicoptère envoyé par l'Orione a alors acheminé auprès de ces hommes extrêmement affaiblis par leur séjour dans l'eau, un médecin et les premiers secours d'urgence. Puis l'Orione les a accueillis à son bord. Robert, l'un des naufragés, a confié que, lorsqu'il a aperçu le navire battant drapeau italien, il a compris qu'au moins "les Italiens n'allaient pas (les) laisser mourir".
Dimanche matin, les naufragés, en provenance du Niger, du Nigeria, du Ghana, du Cameroun, du Soudan et du Togo, ont été conduits dans un centre d'accueil sur l'île de Lampedusa, au sud de la Sicile. Vendredi 1er juin, ils se trouvaient dans un autre centre, à Crotone, en Calabre, où sont en cours les procédures d'identification pour les éventuelles demandes d'asile ou les ordres d'expulsion.
Source: Le Monde
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