Initialement annoncé mercredi dernier, c'est finalement hier jeudi que le chef de l'Etat, Paul Biya, et sa famille sont rentrés au pays après un séjour de 11 jours en Occident. Présents à l'aéroport international de Yaoundé N'simalen au moment de ce retour, et certainement sur ordre express de leur hiérarchie, les cameramen de la Crtv ont été particulièrement " adroits " en réussissant, contrairement à leurs habitudes, à ne montrer que des images en plans serrés d'un chef de l'Etat, le visage visiblement renfrogné, descendant de la passerelle d'un avion que l'on ne pouvait bien évidemment pas identifier. Cependant, comme nous l'annoncions déjà en exclusivité dans notre édition de mercredi dernier, ce retour s'est effectué à bord d'un Airbus affrété pour l'occasion, au lieu du tout " nouveau " Boeing 767-200, baptisé " The Albatross ", que l'on a plutôt eu la surprise de voir atterrir mardi dernier en fin d'après-midi à N'simalen sans que la personne pour laquelle il est censé avoir été acheté (ou loué selon les hypothèses) ne soit à son bord. Comme nous le rappelions déjà dans un précédent numéro, il apparaît que, depuis son incorporation dans la flotte présidentielle, et précisément lors du départ pour Paris en France avec, à son bord, le chef de l'Etat et sa délégation, le dimanche 25 avril dernier, cet aéronef a multiplié les incidents techniques au point que l'on a même craint le pire.
Suite à tout cela, le président Biya avait refusé de l'emprunter de nouveau, demandant plutôt, il y a quelques jours, que l'on affrète un nouvel appareil pour venir le récupérer en Europe. Depuis, les rumeurs vont bon train. Cette volte-face présidentielle, justifiée pour des raisons compréhensibles de sécurité, a eu pour principal effet de délier les langues. Dans le florilège de ce que l'on peut par exemple entendre en ce moment de la part de certaines personnalités ayant leurs entrées dans les hautes sphères de l'Etat, un très haut responsable de la présidence de la République et un ambassadeur en poste en Occident seraient principalement impliqués dans cette affaire au point où, sur ordre du chef de l'Etat, une commission d'enquête interne serait déjà à pied d'oeuvre afin d'en savoir un peu plus sur l'origine réelle de cet appareil. En ce qui concerne principalement ce dernier point, à en croire un commandant de bord ayant déjà eu à le pratiquer, il s'agirait d'un aéronef sorti des usines de Boeing, il y a au moins 18 ans, qui a longtemps servi sous les couleurs de la compagnie nationale aérienne malgache, Air Madagascar.
Du fait des incidents techniques à répétition rencontrés à chacun de ses vols, il aurait acquis une triste réputation au sein du personnel navigant de cette compagnie. Ces derniers lui auraient même attribué un surnom en langue malgache, dont la traduction ne serait pas très éloignée de la..." malchance ". Selon cette source, le même personnel aurait accueilli avec un véritable soulagement son retrait de la flotte par la direction générale d’Air Madagascar. Sans vouloir critiquer les capacités de la compagnie aérienne malgache, lorsque l'on imagine simplement les conditions dans lesquelles sont généralement entretenus les aéronefs en Afrique, l'on a de fortes raisons de s'inquiéter de l'état technique actuel de " The Albatross " et l’on se demande comment il a pu se retrouver au Cameroun intégré dans la flotte présidentielle.
Escroquerie
D'où les interrogations qu'il semble être légitime de soulever par rapport à cette acquisition que les médias publics se sont empressés de présenter sous les meilleurs aspects possibles, lors de son acheminement au Cameroun à la fin du mois dernier, et qu’ils tentent aujourd’hui de dissimuler. Que peut-on faire de cet appareil aujourd’hui ? Quels sont les principaux responsables qui ont été mêlés à cette transaction? Quel est le montant exact de la transaction et des commissions qui ont été versées ? Des questions auxquelles les Camerounais sont en droit d'attendre des réponses précises. Surtout que, lors de l'annonce de cette nouvelle acquisition, la grande majorité d'entre eux n'avait pas compris que l'on puisse y consacrer des milliards de Francs alors que le pays est en proie à de graves difficultés financières. En attendant la réponse à toutes les questions sur ce qu'il est désormais convenu d'appeler " l'affaire Albatros ", il apparaît évident que l'impunité totale, qui est devenue une règle dans la société camerounaise, est la cause principale d'une situation qu'il ne serait d'ailleurs pas exagéré de présenter comme une atteinte à la sécurité de l'Etat.
Ce cas n’est malheureusement pas unique dans l’histoire. La mésaventure survenue au président Biya n’est pas sans rappeler celle qu’avait connue le chef de l’Etat béninois, Mathieu Kerekou, vers la fin des années 80. A l’époque, des hauts responsables de cet Etat et un certain Cissé, marabout du président de la République à l'époque, étaient allés acheter, à coup de milliards de F.Cfa dévalués, un vieux et croulant Boeing 707 chez le " révérend pasteur " Moon, prophète sud-coréen, gourou d'une obscure secte portant son nom. Entièrement repeint, pour son premier vol inaugural, l'avion s'était envolé quelque temps plus tard pour Montréal au Canada où le chef de l'Etat béninois devait assister à un sommet de la Francophonie. Seulement, ce Boeing 707 n'est jamais arrivé à destination. Effrayés, le président Kerekou et sa délégation avaient dû l'abandonner en Belgique, après que l'équipage eut réussi le miracle d'atterrir précipitamment sur le tarmac de l'aéroport de Bruxelles, après plusieurs incidents techniques en vol. Aux dernières nouvelles, " l’avion présidentiel " béninois s'y trouverait même peut être encore.
Source : Quotidien Mutations
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