Les techniciens du ministère du Développement urbain et de l’Habitat dépêchés à Dogbang pour aménager les sites devant accueillir les personnes qui accompagnaient la dépouille du ministre Justin Ndioro à sa dernière demeure le 3 mars dernier ont fait étalage de leur savoir faire.
Le caveau familial, qui avait accueilli Itori et Yombo, respectivement grand père et père de Justin Ndioro, et qui s’apprêtait à recevoir le corps du ministre décédé le 28 janvier à Paris, était seul à ne pas subir des modifications majeures : les arbres de différentes essences que les tribus mbamoises ont coutume de planter autour des concessions pour matérialiser des présences humaines même après leur passage ont été épargnés pendant la construction du sépulcre de Ndioro.
Seules les dégradations nécessaires et indispensables ont été effectuées sur ces lieux devenus un symbole pour les progénitures des Itori et des Yombo.
Sorti de ce caveau quasi épargné où le ministre Ndioro reposera désormais pour l’éternité, les urbanistes du ministère du Développement urbain et de l’Habitat ont transformé un site où aucune action humaine ne s’est manifestée depuis plus de 50 ans en un centre vivant et hospitalier. Une tribune géante en bois et tôles, montée en escalier a accueilli, pleine à craquer, 2000 personnalités.
On y retrouvait une douzaine de ministres en fonction et tout autant qui ne sont plus au gouvernement. Parlementaires, directeurs généraux et autres grandes personnalités étaient là pour rendre un dernier hommage à Ndioro.
Sur les flancs est et ouest, des tribunes aussi imposantes dont l’ensemble était globalement évalué à sept mille personnes qui avaient effectué le déplacement de Dogbang. "De mémoire d’homme, commente un notable de Dogbang, ce village n’avait pas reçu autant de monde. Notre fils i nous a fait honneur". Les tribunes ouvraient sur une esplanade très spacieuse qui a permis au protocole, aux forces de l’ordre, aux hommes de culte de se mouvoir aisément.
Les techniciens de l’Urbanisme et Habitat ont tout prévu : les parkings étaient suffisamment spacieux pour accueillir de milliers de véhicules, tout comme les hommes et les femmes ne se bousculaient pas dans les mêmes toilettes. Dans ces articulations à succès, il faut relever que la sonorisation n’a présenté aucune défaillance comme cela est devenu familier dans des manifestations de grande envergure.
Témoignages
Il y a des moments où les témoignages, à l’occasion d’un enterrement, paraissent ennuyeux, tellement ils regorgent de démagogies et de flagorneries au point où l’assistance trouve les secondes interminables. Tel ne fut pas le cas samedi dernier à Dogbang. Les six interventions programmées pour la circonstance se complétaient dans leur particularité. Que Jean David Bilé, directeur général de Aes Sonel rappelle la légende de son aîné Justin Ndioro à Centrale des Arts et Manufactures de Paris, ou les marques indélébiles qu’il a posées à la Sonel du temps où il y travaillait comme directeur général adjoint, n’a rien de débridé.
Que le Rdpc, par la voix de Ndongo Essomba, président du groupe parlementaire de ce mouvement, rappelle les actions décisives menées par le défunt pour rendre le Mbam et Inoubou en bastion imprenable par l’opposition rampante aux années 1992 n’a rien de surprenant d’un militant tiède devenu convaincu.
Martin Rissouck à Moulong, au nom des élites du grand Mbam, a fait oublier à beaucoup que le lieu où il prononçait son oraison funèbre était celui du deuil. Dans un propos enlevé au sein duquel on retrouvait des intonations professorales, doctrinales, l’orateur a étalé un savoir dire qui aurait en d’autres circonstances soulevé des salves d’applaudissements. Tantôt lyrique, tantôt philosophe, tantôt patriote, Rissouck à Moulong a présenté le défunt comme un modèle qui devrait faire des émules au Cameroun, et surtout dont le Mbam est fier d’avoir engendré pour la nation.
Si Ndioro a eu des manquements et des faiblesses dans sa traversée de la terre, l’orateur justifie cela par des actes humains et des comportements qui ne sauraient paraître globalement positifs et indéfectibles. Ce qui est indéniable selon Martin Rissouck à Moulong, c’est que Justin Ndioro qui quitte tôt la scène aura été un modèle sur beaucoup de plans.
La mère du défunt, malgré son âge très avancé, malgré sa fatigue physique, a été concise : " Remerciez le président Paul Biya d’avoir gardé mon fils. Remerciez le d’avoir autorisé qu’on l’enterre aux côtés de son père. Je remercie Wos (le sobriquet de l’épouse du défunt) d’avoir veillé pendant longtemps sur mon fils malade ", conclura t elle. Cette intervention profonde et sincère a provoqué une onde de choc dans l’assistance.
Boycotte
Pierre Coula est l’oncle maternel de Virginie Ndioro. Dans la tradition bafiaise en particulier et mbamoise en général, en pareilles circonstances, les oncles maternels ont soit un témoignage à faire, soit un questionnement orienté à poser. Pierre Coula, du timbre vocal qu’on lui connaît, retracera, comme cela est de tradition, ce qui le lie à la famille Yombo. Tantôt menaçant et rassurant, il rappellera ce que Justin Ndioro fut pour la famille tikar : "un ministre tikar", un fils accepté par toute une communauté, conclura Pierre Coula dans un propos dont de nombreux observateurs diront qu’un bon pan n’était pas l’œuvre de l’orateur, mais celle de Mamoun, le fils aîné à Justin Ndioro.
Dans les faits, on constate à l’étonnement général que, ni Mamoun, ni ses sœurs, Claudia et Louisa n’étaient aux côtés de leur mère au cours des obsèques. Le fils aîné ayant constaté que la décision finale consistait à enterrer leur père à Dogbang et non à Rimis comme ils l’avaient préconisé, ils avaient décidé de boycotter cette cérémonie pleine de significations pour un enfant face à son parent.
Le fils aîné dont le propos était attendu pour rappeler bien des choses que lui seul était en mesure de dire, préféra se rabattre sur son grand père, Pierre Coula, qui était à son tour obligé de circonscrire le propos à ce qui relevait de son ressort. Il serait difficile dans de telles circonstances de ressortir la plénitude du message à livrer. Tel fut le cas de Pierre Coula.
L’incident fut suffisamment relevé par l’assistance pour provoquer un commentaire de la famille Yombo à Itori où un membre suffisamment influent a eu ces propos "Les Tikars ne sont pas les beaux frères des Kiiki. Le professeur Gandji qui fut le père de Virginie n’était pas un Tikar, il fut un Vouté de Yoko. C’est lui qui maria sa fille à Kiiki. Les Tikars sont les beaux frères des Vouté. Nous reconnaissons Soulé, oncle paternel de Virginie comme notre beau frère. Il nous a assistés durant la dure épreuve. Il a longuement pleuré avec nous sur la tombe de Justin"
L’incident résultant de l’absence des enfants Ndioro aux obsèques finales n’est pas clos selon un autre membre de la famille. Les jours qui suivent permettraient certainement aux deux familles de se retrouver et de faire la paix pour l’intérêt des enfants.
Le Premier ministre Ephraim Inoni qui représentait le chef de l’Etat aura été l’une des personnalités les plus écoutées. Son propos mesuré pour la circonstance, était politique, pédagogique, amical et familial.
Le mot juste qu’il trouvait au bout de chaque paragraphe n’aura laissé personne indifférent, tout comme son geste poignant lorsqu’il se lève précipitamment de son fauteuil pour aller vers la mère de Justin Ndioro, au moment où celle ci engageait des pas pénibles vers lui. Cette attitude fut très appréciée par l’assistance, reconnaissante au Pm.
Au vu de l’organisation réussie de cette phase finale des obsèques de Ndioro, au vu de la qualité et de la tenue de ceux qui ont effectué le déplacement de Dogbang, Justin Ndioro a eu de la nation ce qu’elle lui devait. Cette restitution des services rendus était à la hauteur de l’homme : dignité, propreté, probité, intelligence et élégance. Aurait-on réussi pareille organisation si ces obsèques s’étaient tenues ailleurs qu’à Dogbang ? Dong à Biketi, ancien maire de Bafia rural et natif de Kiiki, dont on connaît le franc parler, révèle : "Paul Biya, en ordonnant l’inhumation de Ndioro à Dogbang, avait pris une décision juste et bien conseillée…
Sinon, ses militaires allaient faire beaucoup de morts, car, aucun Bafiais n’était prêt à voir Justin enterré ailleurs qu’ici… Il suffit seulement d’aller voir le début des travaux à Rimis, ce que ces lieux étaient devenus…"
Tout est bien qui finit bien. Justin Ndioro, ce Camerounais paisible ne méritait pas du bruit au terme de sa vie.
Source: Quotidien Mutations
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