Celui serait visiblement peu soucieux de l’épanouissement de sa diplomatie que le nouveau ministre des Relations extérieures souhaite cependant relancer à travers, entre autres, l’annonce
de l’institution d’une conférence des ambassadeurs.
La scène se passe au ministère de l’Économie et des Finances. Un fonctionnaire de cette administration reconnaît dans un couloir, un de ses amis, diplomate, qu’il croyait en Europe depuis avril 2006. A son exclamation d’étonnement, le diplomate lui répond : " Je suis à Yaoundé, mon frère, j’ai des problèmes ".
En fait, le diplomate supposé être en poste à Paris depuis le vaste mouvement de nominations survenues au mois d’avril, tourne en rond à Yaoundé, sortant de chez lui le matin, pour aller "suivre" ses dossiers de prise en charge au ministère des Finances. Il a à peine pris ses fonctions à Paris, qu’il est revenu. Comme la plupart de ses collègues, il n’a pas eu le salaire correspondant à son nouveau statut de diplomate à l’étranger et s’est retrouvé avec celui qu’il gagnait alors qu’il était en poste à Yaoundé. "Je suis donc revenu au pays, je ne peux pas repartir sans avoir arrangé ce problème", martèle-t-il, ferme.
En dehors de la régularisation de la nouvelle prise en charge financière et d’autres effets logistiques, certains parmi eux avaient un autre problème plus ridicule encore: ils n’ont pas de passeport… diplomatique. Notre diplomate en errance à Yaoundé croit connaître la raison de ce dysfonctionnement: "les passeports diplomatiques sont distribués aux députés, aux maires et même aux hommes d’affaires, alors que les diplomates n’en ont pas. Il y a quelques semaines, j’ai vu comment on établissait celui d’un maire de Yaoundé avant le mien".
La plupart des ambassades camerounaises souffrent du manque de moyens de fonctionnement. Les bâtiments des chancelleries, acquis pour la plupart à l’époque d’Ahidjo, ne connaissent pas de maintenance adéquate. L’exemple le plus patent est celui de l’ambassade du Cameroun à Paris, qui s’est vu sommé par la mairie de Paris de libérer l’immeuble qui, disait la correspondance adressée à l’ambassadeur, posait des problèmes d’hygiène ses voisins.
Les travaux de maintenance qui y ont été engagés se sont arrêtés depuis octobre 2006, faute d’argent, nous indique une source au Minrex. Les services de notre représentation à Paris sont provisoirement logés au rez-de-chaussée d’un immeuble partagé, à Pont de Sèvre, dans le 16e arrondissement.
Difficultés
Les diplomates déplorent aussi la précarité qu’ils vivent de plus en plus et qui les rend inefficaces, même lorsqu’ils doivent intervenir au profit des compatriotes en difficulté à l’étranger. Car eux-mêmes connaissent parfois les difficultés que vivent leurs compatriotes.
En principe, un diplomate en séjour à l’étranger bénéficie, selon le manuel de procédures administratives consacré à la gestion des ressources humaines du Minrex, édité en juin 2002, "des frais de scolarité (pour ses enfants, Ndlr), des frais médicaux et pharmaceutiques, du remboursement des pertes de change", entre autre.
Mais, nous indique un diplomate en service au Minrex, "soit l’argent fait défaut, ce qui est souvent rare, soit les frais arrivent effectivement à l’ambassade, mais l’ordonnateur des dépenses (le chef de mission, Ndlr), ne les libère pas effectivement au profit des bénéficiaires.
C’est ainsi que les écoles françaises par exemple qui sont chères en Amérique ou ailleurs en Afrique, en arrivent à expulser les enfants de nos collègues "
Les crédits alloués au chef de mission, en dehors des frais spéciaux, sont destinés à l’entretien des bâtiments, au carburant, aux charges patronales (gestion du personnel local), au logement des personnalités habilitées (chef de mission, le premier conseiller, le premier secrétaire, généralement), aux frais de représentation, etc. Dans les années 90, les chiffres concernant ces crédits pour les ambassades en Europe, témoigne un ancien ambassadeur aujourd’hui à la retraite, étaient de l’ordre de 400.000 Fcfa à 2000 000 F cfa (cas de l’entretien des véhicules. "Les frais de représentation, par exemple, tournaient autour de 200 000 F cfa), lorsque j’étais en fonction ", s’étend-il.
Ceci explique peut-être que la diplomatie camerounaise soit comme frappée de mutité. En effet, certains diplomates avouent qu’ils n’ont pas grand-chose à faire à leur poste car, "la diplomatie camerounaise ne se fait pas entendre. Même lorsque nous montons des dossiers à notre hiérarchie, nous avons difficilement une réaction. Vous verrez qu’il est rare qu’un diplomate camerounais donne une interview à la presse; il faut toujours attendre l’aval de la hiérarchie qui, généralement, ne vient pas", nous confie un diplomate au Minrex. Or, cette hiérarchie n’est autre que le président Biya. "Dans ces conditions, comment pouvait-on valablement défendre une candidature à la présidence de la Bad ?", s’interroge un diplomate
Déshérence
Il y a aussi l’absence d’un statut adéquat. Il en existe un, qui date du décret de 1977, soit une trentaine d’années. Des actions pour le renouveler ont été menées, mais ces travaux n’ont jamais connu de suite auprès de la hiérarchie. En 1993, un comité spécial a élaboré un nouveau statut, sous la présidence de Jean Baptiste Baskouda, alors conseiller à la présidence.
Ce statut prévoiyait la modernisation tant réclamée par les diplomates : la rotation dans les diverses zones du monde (zone difficile : Asie, Amérique latine et Afrique ; zone facile : Europe et Amérique du nord) ; la limitation du nombre des années à un poste (3 ans) et à l’étranger (6 ans, pour deux postes) et trois ans à l’administration centrale, avant un autre déploiement, sauf cas exceptionnel.
Ce statut prévoit aussi la retraite à 65 ans. Le texte insiste sur le respect de la grille hiérarchique, qui protège les plus gradés des frustrations. Ainsi, un ministre plénipotentiaire ne pouvait pas occuper moins que le poste de 1er conseiller ou de conseiller technique. D’autre part, le statut indique que le chef de l’État n’intervient obligatoirement que dans les nominations des chefs de mission et leur numéros deux, le reste des cadres étant géré par un comité des carrières, car la nomination des ces derniers n’a rien de politique.
Au moment de l’entériner, un comité interministériel comprenant le Secrétaire général de la présidence, le Minrex, le ministre de la Fonction publique et le secrétaire général des services du Premier ministre, ne s’est pas tenu, faute de la présence du ministre des Relations extérieures, à l’époque Ferdinand Oyono. La conséquence est que de nombreux postes restent vacants pendant longtemps et des ambassadeurs s’éternisent à des missions pendant des décennies.
Muette, on pouvait au moins la créditer d’une efficacité dans l’action souterraine.
Mais là encore, il est loin l’époque où le Cameroun plaçait deux secrétaires généraux successifs à la tête de l’Oua. En 1986, William Eteki Mboumou déclarait que "la diplomatie camerounaise n’est pas une diplomatie tapageuse ; elle est une diplomatie de présence et de participation". Or, aujourd’hui, tout porte à croire que la diplomatie n’est pas une priorité pour le chef de l’Etat. On aurait pleuré sur son sort, si les autres secteurs de la vie du Cameroun étaient pris au sérieux par le gouvernement. Et c’est ce qui "réconforte" certains diplomates. "L’enseignement a les mêmes problèmes, la santé, le sport, la culture, etc. Alors, il arrive que je me dise que c’est une faiblesse généralisée de notre gouvernement", soupire l’un d’eux.
Source: Quotidien Mutations
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