Le pire, c’est qu’elle ne passait plus inaperçue à New-Bell, un des quartiers populeux de Douala. Voilà dix-sept bonnes années que Antoinette M. vit en permanence un calvaire morale. Née des parents non mariés, la jeune fille est contrainte d’aller habiter chez son oncle maternel, homme d’affaires à Bonamoussadi ; parce que sa mère, “ très occupée ”, a décidé de rester à Yaoundé. Elle n’a que huit ans et fréquente, comme tous les enfants du quartier, l’Ecole publique du coin. A cet âge, son oncle la lavait encore à son retour de l’école. Quoi de normal pour un “ parent ” attentionné ! Mais cette trop grande attention commence à inquiéter la petite Antoinette, lorsque ce grand frère de sa mère excelle dans des attouchements au-delà de la norme. La naïveté de sa victime a poussé cet oncle incestueux à très souvent s’introduire nuitamment dans la chambre de Antoinette et obligeait celle-ci à avoir des rapports sexuels avec lui. Stoïquement, Antoinette supporte. Pendant des années, elle ne dit mot ni aux nièces et neveux de son bourreau qui habitent aussi la maison, ni à ses camarades d’école, ni à ses amies du quartier, ni à sa mère qui leur rend visite tous les week-ends.
Le silence de la petite Antoinette n’est pas gratuit. “ Mon oncle me menaçait beaucoup. Il me disait que si je me confie à quelqu’un, il va me tuer ”, a confessé Antoinette plus tard à l’une de ses amies en lui demandant de l’expliquer à son petit ami. Car “ entre-temps, j’étais retissante au moment des rapports sexuels avec mon petit ami. Je ne parvenais plus à supporter ce calvaire. Je ne voulais pas non plus lui en parler. Je préférais m’évader dans des expériences sans lendemains ”, confie Antoinette âgée aujourd’hui de 25 ans et livrée à la débauche. Mais de fil à aiguille, le scandale est parvenu à sa mère. Curieusement, elle est restée sans réaction. L’oncle libidineux qui a continué sa sale besogne après avoir été dénoncé, n’a jamais été inquiété.
Pratique honteuse
Antoinette M. n’est pas seule dans ce cas. Sandra Leonie B. a confié à son copain un “ secret ” qu’elle cachait depuis sept ans. “ J’avais sept ans lorsqu’une nuit, mon père m’attira dans sa chambre, me déshabilla et se mit à me faire ce qu’il fait avec maman ”, raconte Sandra L. B. Après son forfait, le père violeur a interdit à sa fille de souffler mot à qui que ce soit au risque de mourir. Sept années durant, la petite Sandra sera ainsi l’une des maîtresses de son père.
Dans la famille de Abdon T., les assauts sexuels du père prennent des proportions inquiétantes. Abdon T. couche avec ses quatre filles. Et le scandale, bien que connu par l’épouse, la mère des quatre filles, est gardé comme un secret de confessionnal. Jusqu’au jour où la plus jeune d’entre elles, s’est ouverte à une amie. Cette dernière a confié à son tour ce “ secret ” à sa propre mère qui en parlera à son tour à une amie de la famille. Celle-ci aura le courage d’inviter la mère des victimes pour savoir ce qui se passait dans sa famille. “ La mère des victimes était folle de rage. Elle s’est répandue en menaces de malédiction contre sa fille qui a divulgué le secret, parce que, disait-elle, elle veut ternir l’image de la famille ”, explique celle qui a voulu percer le mystère.
Tabou banalisé
Selon certaines organisations de défense de droits de femmes au Cameroun, les filles souffrent de l’inceste plus que les garçons. Elles constituent une proie facile pour parents, frères et cousins. Jadis, commettre un inceste était un sacrilège. Les auteurs se cachaient pour éviter les foudres de la tradition. Dans certaines régions l’amour incestueux convoyait des maladies mystiques. Les “ Bihut ” sont l’une de ces maladies en pays Bassa. “ Chez les Bassas, lorsque deux membres d’une même famille se rendaient coupables d’inceste, l’on les soumettait à certains rites mystico-traditionnels. Ils devaient refaire l’amour dans la cour sous les regards de la communauté et sous les directives d’un guérisseur traditionnel. Celui-ci leur administrait en même temps des décoctions et leur aspergeait des potions afin de leur éviter maladies et malédictions ”, affirme Athanase Bikoi bi Ngombi, patriarche à New-Bell. Il révèle d’ailleurs que, couverts de honte, certains accusés d’inceste refusaient de se soumettre au cérémonial. Les conséquences de ce refus étaient parfois imparables. “ Certains voyaient leur corps se fendiller laissant suinter sans cesse un liquide jaunâtre. D’autres ne pouvaient plus faire d’enfant. Bref, les conséquences étaient énormes. Mais aujourd’hui avec votre modernité, je vois souvent des frères et sœurs se permettre certains plaisirs sans sourciller. ”
“ Avant, l’on se moquait même de quelqu’un qui faisait l’amour avec sa parenté ”, raconte ce patriarche. Cette conception ancestrale de l’inceste est corroborée par l’écrivain français Maurois. “ Byron, baptisant inceste un amour assez naturel pour une demie-sœur inconnue, transforma la faute en crime. ” Plus qu’un crime, ces relations traumatisaient les victimes et brisaient les ménages. De plus en plus, les relations sexuelles entre les personnes de la même famille apparaissent comme normales. Même si un voile épais continue de masquer les multiples actes incestueux vécus dans les familles. Le fruit défendu a des délices qui dépassent les seules limites du vulgaire tabou.
Actes démoniaques
Il n’est plus rare de voir dans un coin de la maison des frères et sœurs, des cousins et cousines, des parents et enfants se croquer des langues comme des pommes de France. Nombre poussent la bêtise plus loin dans le lit, avec ou sans condom. Qu’est-ce qui peut bien expliquer de telles pratiques ? Difficile de le savoir. Tant les auteurs ou présumés se barricadent dans un mutisme suicidaire. Quelques prétendants s’amusent à professer que “ la femme c’est la femme. Pourquoi aller chercher loin ce qu’on a à ses côtés. Les maladies dues à l’inceste n’existent que pour ceux qui y croient. ” Les tenants de cette thèse s’appuient sur la modernité avec l’influence des médias occidentaux qui reformatent les esprits. Le lavage des cerveaux est parfait. “ On fait comme les Blancs ”, entend-on dire ça et là.
Malgré le mystère qui semble envelopper l’amour incestueux dans la société camerounaise aujourd’hui, quelques pistes restent ouvertes. Les incestueux pour la plupart font preuve d’un déficit d’éducation. Il y a en eux une non assimilation des règles de l’interdit. Comme des ninfomanes, ils vivent dans un monde dépouillé de toutes les barrières philosophiques, sociologiques, anthropologiques, culturelles. Ils sont hors d’eux-mêmes, parce leur sur-moi est trop faible pour jouer son rôle d’arbitre et de la mesure qui habite tout être humain.
Au-delà de ces raisons biologiques, il y a en chaque incestueux un élan d’égoïsme. Le désir du partage est refoulé. L’on veut tout pour soi, même sa fille, sa sœur, sa cousine ; ou vice versa. La pauvreté et la misère ambiante, la recherche du matériel à tout prix et à tous les prix pourraient aussi expliquer l’attachement des uns et des autres à l’inceste. Certaines sectes pernicieuses recommanderaient l’inceste parmi tant d’actes démoniaques pour atteindre, disent leurs gourous, des buts escomptés.
Source : Le Messager
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