Ainsi, lorsqu'un citoyen de la dimension de David Ndatchi Tagne s'éteint avec une telle brutalité, nous commençons par douter de la mort, par la condamner, en nous plaçant dans l'inconfortable situation de ceux qui cultivent le mythe des immortels. Ce n'est pas vraiment de notre faute, c'est le statut pluriel de certains individus comme lui, qui cause le tort de la recherche d'une certaine condescendance par rapport aux réalités trop courantes.
Et justement parce que ce genre de monsieur avec un grand M, constitue en lui seul, quelque chose comme un symbole des multiples visages et des nombreux personnages de la société, sa mort provoque chez d'autres personnes, l'envie d'aller chercher dans les profondeurs de l'oubli, les éléments qui semblent devenus banaux. Nous nous situons dans cette logique du chercher et du parler vrai, qui n'hésite pas de revêtir le caractère de dénonciation.
Celui de qui on parle, est un citoyen camerounais de mère et de père, intellectuel, accompli, journaliste, écrivain, et toutes ces qualités et titres qui font dire que l'on a la grosse tête. Certes, rien ne permet d'en faire un être exceptionnel, dans un pays où les universitaires talentueux sont légion. Notre sens de la polarisation du commentaire sur cette mort, voudrait en fait, rappeler que nous nous trouvons au Cameroun, et que c'est sans aucun doute à partir de ce que nous connaissons de ce pays, de son équilibre social et politique, de la forme de son gouvernement, de la nature de son régime et de la moralité de ses dirigeants, qu'il importe de bien comprendre la vie de David.
C'est avec la plus grande des douleurs, accompagnée certainement d'une révolte d'une égale hauteur, que nous avons écouté ces multiples louanges sur la personne de David. On aura tout dit, sans mentionner qu'il s'est agi de toute évidence, d'une vie de luttes, de souffrances infinies, d'interrogations permanentes, et de troubles. C'était un homme constamment épié, oui épié.
Parler tous les matins sur les antennes d'une radio internationale très écoutée, n'est ni une gageure, ni une garantie de stabilité, encore moins, la preuve d'une existence menée dans un environnement propice. Ce que l'on a pas compris ou ce que l'on savait peu, c'est que David aura lutté toute sa vie pour s'affirmer, pour s'imposer, pour triompher des injustices, des discriminations et des blocages.
Celui que nous pleurons à si chaudes larmes, était le prototype de l'homme des lettres en perpétuel sursis, à tel point que la diversité de ses activités, était le plus sûr moyen de briser des pièges chaque jour plus durs. Imaginez donc un homme de cette dimension et de cette volupté, condamné à vivre une sorte de considération minimale dans son pays, mis sous tutelle pour des raisons ethniques, brimé en silence selon la logique d'une gouvernance locale qui pratique un apartheid artistique et cynique.
Victime des subjectivismes
Au fait, que nous a-t-on dit de ses fonctions chez cet employeur officiel où il a passé plus de vingt années de sa vie ? Il faut nous sortir les raisons, les fautes, les imparités, qui justifient son confinement au bas de l'échelle. Personne ne voudra, nous l'espérons, nous en vouloir de révéler cette petite vérité embêtante. David n'appartenait pas à ces groupes ethniques dont les compétences et les mérites servent plutôt à les crucifier. A son employeur de Paris, je voudrais révéler que David Ndatchi Tagne avait le plus grand mal à faire des reportages sur tout ce qui pouvait mettre en exergue un bamiléké. Il était tétanisé chaque fois que je l'approchais avec un papier et j'avais fini par comprendre. La même phrase revenait : Dis donc, tu sais toi-même, que si je passe un papier venant de toi, je me mets dans des problèmes. RFI n'avait donc pas toute l'information, toute l'actualité. David se censurait, et même plus souvent qu'(il ne donnait que l'information.)
Parfois, en lieu et place d'une information politique d'importance, David se réfugiait dans un fait divers classique du genre justice populaire dans les rues de Douala ou de Yaoundé. Pure échappatoire calculée, dans un pays où la moindre alerte de RFI, vaut une parole de la bible politique : As-tu suivi RFI ce matin ?
Mais il serait dangereux de s'arrêter en si bon chemin, de se cantonner à David. Comme nous l'avons annoncé, nous sommes des adeptes de l'autre idéologie, celle qui ne veut plus rien cacher ni retenir, parce que l'Afrique des intellectuels et des journalistes qui ont peur, doit cesser. Nous devons payer le prix comme nous le disions ici même, de la liberté, de la dignité et de la démocratie. Et ce prix, se paye en parlant vrai, en dénonçant, en revendiquant, et en proposant.
Source: Le Messager
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