C’est en effet ce livre publié à la fin de la décennie 90 qui a largement inspiré “ Le livre blanc du groupe pour la modernisation du Rdpc, évaluations et propositions : pour un Rdpc New look, au service du peuple et du développement du Cameroun ”, publié en janvier 2003.
Dans l’entretien exclusif qui suit, l’ancien directeur des études et projets de la Société nationale d’investissements (Sni) – il en avait démissionné – analyse succinctement les rapports entre les autorités camerounaises et leurs partenaires financiers internationaux dont une énième délégation, dite “ en mission d’évaluation ”, séjourne dans la capitale politique depuis une semaine.
Dès la première entrevue des missionnaires du Fmi/Banque Mondiale avec le ministre de l'Economie et des finances lundi dernier, la presse a annoncé que les efforts du gouvernement pour améliorer la vie des Camerounais butent sur les exigences de ses partenaires qui demandent davantage de discipline dans la gestion budgétaire. Comment appréciez-vous cette position?
Il n’y a pas de contradiction entre l’amélioration de la vie des Camerounais et la discipline budgétaire. Vous vous référez probablement à la question de la hausse des salaires des fonctionnaires. D’après Cameroon tribune, le chef de la délégation du Fmi entend s’inspirer du discours du chef de l’Etat à l’issue du point d’achèvement. Très bien, mais ce discours a parlé, à juste titre, de la nécessité de renforcer la discipline budgétaire et de poursuivre les réformes structurelles et la lutte contre la corruption. En quoi cela voudrait dire de ne pas augmenter les salaires des fonctionnaires si cela doit répondre à des objectifs sociaux (réduction de la pauvreté et équité) et économiques (amélioration du pouvoir d’achat, relance de la croissance par la consommation), qui sont des choix d’un gouvernement ? Il est même possible qu’une plus grande maîtrise du processus budgétaire favorise cela.
Le renvoi systématique au vocable discipline budgétaire n’est-il donc pas finalement une stratégie de défaussement de nos autorités ?
Le renforcement de la discipline budgétaire renvoie davantage à la nécessaire maîtrise des activités du cycle budgétaire : fixation des priorités, préparation, programmation, exécution, contrôle d’exécution. La maîtrise du processus budgétaire intègre les notions d’amélioration de l’efficience dans l’utilisation des ressources (rendement des fonds publics dépensés) et leur efficacité (l’aptitude à réaliser les objectifs visés), de traçabilité des dépenses, de renforcement du contrôle d’exécution budgétaire par les institutions (e.g. Parlement) ou d’autres organes ad hoc (Contrôle supérieur de l’Etat, Chambre des comptes, etc.). Par exemple, par une mauvaise maîtrise des délais d’exécution de certains projets inscrits dans le budget, on aboutit à inscrire dans le budget annuel une dépense d’investissement de 30 milliards de Fcfa qui devraient être exécutés selon toute vraisemblance sur plusieurs exercices. A la fin de l’exercice, on parle de sous-utilisation du budget d’investissement, alors qu’il s’agit en réalité d’une mauvaise programmation, dont l’effet réel est un gel de ressources.
Ainsi par une meilleure maîtrise du cycle budgétaire, on pourrait même dégager des ressources à allouer à l’augmentation des salaires des fonctionnaires. Dans la même optique, on peut réduire la part des dépenses consacrées aux missions à l’extérieur, très coûteuses et généralement non productives, et qui ne profitent qu’à une infime poignée de mêmes individus. Qu’est-ce qu’on y a dépensé pour atteindre le point d’achèvement en six ans ! Des installations sophistiquées et partagées par les différentes institutions publiques pour permettre des vidéo-conférences constitueraient un investissement bien plus productif. Par conséquent, les points condensés dans le discours du chef de l’Etat ne doivent donner lieu ni à amalgame ni à alibi.
Et la poursuite des réformes structurelles ou la lutte contre la corruption ?
Ces réformes concernent une transformation qualitative profonde de l’organisation de l’Etat pour le rendre apte à fournir efficacement aux populations les prestations attendues des institutions publiques. Parmi ces réformes, on peut citer: la décentralisation pour transférer les moyens et les compétences aux collectivités locales mieux à même de détecter et de résoudre certains types de problèmes; la simplification des processus décisionnels pour accélérer les décisions publiques ; l’allègement et la professionnalisation de l’administration publique ; le renforcement des capacités et de l’indépendance du système judiciaire; le renforcement de la défense et de la sécurité du territoire, des biens et des personnes par l’introduction des moyens technologiques modernes à travers la maîtrise des progrès des télécommunications, de la micro-électronique et de l’informatique.
Peut-on s’attendre à ce que l’augmentation des salaires contribue à atténuer le phénomène de la corruption ?
Si la pauvreté et la faiblesse des salaires, au regard de l’absence de couvertures sociales, ont constitué une des explications de la corruption, l’augmentation des salaires ne constituera pas, pour autant, une solution viable si en même temps les mentalités ne sont pas changées. Il est même édifiant de constater que les auteurs de la grande corruption sont ceux qui disposent très souvent d’importants moyens, qui ne justifient nullement leur comportement. La persistance des comportements décrits ci-dessus dans des environnements de tolérance à la corruption dans l’impunité totale, finit par enchâsser la corruption dans les mentalités, forgeant ainsi une culture permissive à la corruption.
L’un des aspects remarquables dans les expériences à succès de lutte contre la corruption est l’existence d’agence indépendante de lutte contre la corruption disposant de l’indépendance des moyens, des pouvoirs de sanction et des compétences appropriées. L’efficacité et la crédibilité sont à ce prix. Il faudra conférer ces caractéristiques à la Commission nationale anti corruption, créée en mars dernier par le président de la République.
En rapport avec le pouvoir d'achat de plus en plus déclinant des Camerounais et qui favoriserait, selon le patron du Png, la petite corruption, une pause sur la hausse du prix du carburant à la pompe n'est-elle pas envisageable?
Certaines études distinguent une petite et une grande corruption en utilisant comme critères les bénéficiaires : la petite corruption renvoyant aux actes quotidiens de bakchich enchâssés dans les pratiques courantes de la vie sociale, tandis que la grande corruption est celle qui toucherait les classes dirigeantes et les cercles de pouvoirs économiques et politiques.
Il faut tout de suite dire que les deux formes de corruption s’entretiennent mutuellement, et qu’elles sont nuisibles à l’Etat dans l’accomplissement de ses missions, notamment la recherche de l’intérêt public et du droit.
La corruption est-elle un phénomène culturel, dans le sens où certaines cultures seraient plus favorables à la corruption que d’autres ?
Bien que l’on retrouve le phénomène de la corruption dans la plupart des pays, ce qui semble distinguer les pays développés des pays en développement, c’est le seuil de tolérance relativement élevé que ce phénomène connaît dans les pays en développement à la base.
Dans les pays en développement, la corruption semble affecter les actes quotidiens de l’administration, à tous les niveaux du plus petit acte (e.g. commission versée par un usager à un agent public) au plus grand contrat de marchés publics. Ainsi, une étude sur la corruption souligne que “ C’est dans la systématisation de la petite corruption que réside la différence entre les pays développés qui connaissent largement la grande corruption mais subissent peu la petite corruption et les pays africains dont la petite corruption rend inopérants les services publics ”.
En ce qui concerne la hausse des prix du carburant, une bonne partie des sommes provenant de la hausse du carburant est destinée à subventionner la Sonara. A mon avis, il faut trouver une solution définitive à cette raffinerie dont la technologie n’est plus adaptée aux exigences d’efficience économique, et la capacité aux besoins du marché national et de la sous-région. On peut permettre à la Sonara d’importer les produits pétroliers pendant deux à trois ans. Pendant ce temps, on définirait un plan de restructuration de cette entreprise ; les économies dégagées de la vente des produits pétroliers contribueraient en partie à financer l’investissement de restructuration.
Le président de la République, président national de votre parti, le Rdpc, a tenu un discours musclé contre la corruption et le banditisme à col blanc pendant le congrès extraordinaire le 21 juillet dernier. Il a même indiqué sa détermination à poursuivre la lutte contre la corruption. S’agit-il d’après vous d’une nouvelle démagogie ou d’une volonté ferme de transformer un pays corrompu à un niveau aussi inquiétant ?
Je ne pense pas que Paul Biya puisse venir devant le monde entier (…) pour tenir des propos démagogiques et irresponsables. Je pense que sa volonté transparaît dans son discours (…) En revanche, je crois que les Camerounais attendent trop de ce seul homme. Ma conviction profonde est que un seul individu, fût-il chef d’Etat, ne peut tout faire. Dieu a donné à tout le monde 24 heures, et en cela, Il a été démocrate. Nous ne devons pas nous croiser les bras pour attendre que le décret du président de la République change notre vie et le Cameroun. Voilà pourquoi j’ai déjà eu à dire qu’il faut aider Biya dans cette entreprise d’amélioration du Cameroun (…) Il est dommage que l’élite politique, intellectuelle et administrative ait trahi dans ce sens la confiance du peuple. Alors que ce dernier attendait d’elle l’éclairage, elle est devenue courtisane, couarde, vassale et prébendière.
A votre avis quelles devraient être les priorités d’un gouvernement camerounais responsable ?
Le renforcement de la croissance, l’amélioration de la compétitivité du secteur productif ; la diversification des exportations ; le développement de l’agriculture au sens large (e.g. incluant l’élevage et la pêche), qui représente encore plus de 35% du PIB, et pourrait occuper plus de 60% de la population camerounaise, et davantage de la population active dans tous les segments d’activité : primaire, secondaire et tertiaire ; l’emploi des jeunes gens en ville et dans les campagnes
Le développement de l’entrepreneurship ; le financement des PME et des toutes petites entreprises ; la réduction de la pauvreté aussi bien dans les campagnes que dans les villes
Mais il s’agit de domaines qui demandent un travail de planification sur le long terme, alors que les programmes du Fmi sont sur le court terme, deux à trois ans. Mais ce n’est pas le Fmi qui nous empêche d’avoir des priorités, une vision et une planification sur le long terme, avec des objectifs chiffrés et l’identification des activités pour les réaliser. En observant longuement les décisions publiques, j’ai acquis la conviction que l’élite détourne constamment les délégations de pouvoir pour la résolution des problèmes d’intérêt général à des fins privées. Cela est favorisé par l’absence de débats et l’opacité des processus décisionnels (…)
Le Fmi nous a-t-il réellement apporté quelque chose ?
Les appuis du Fmi et de la Banque mondiale ne doivent pas être minorés, bien qu’ils ne puissent jamais remplacer l’action interne du pays d’accueil. Je dirai même qu’ils donnent de meilleurs résultats quand ils s’insèrent dans le cadre d’un plan gouvernemental de long terme.
Mais là où le bât blesse, c’est la nature, l’objet et le mode de nos relations avec ces institutions, et notamment le Fmi, qui me semblent préoccupants. Les représentants du gouvernement et des institutions concernées débattent de questions de niveau opérationnel et technique, en l’absence de toute orientation stratégique qui aurait défini la direction et nos priorités. Il y a là une sorte de micro-gestion dans un atelier d’usine, alors que la stratégie d’ensemble de l’entreprise est inconnue. Cela fera bientôt vingt ans que nous discutons avec ces institutions à ce niveau, c’est à dire les yeux toujours rivés sur 12, 24 ou 36 mois maximum, sans jamais les lever pour voir au loin, à un horizon de dix ou quinze ans. C’est dramatique ! Et cette situation explique en majeure partie les piètres résultats, les lenteurs et les contradictions que nous vivons.
Si ce sont les institutions de Bretton Woods ou les pays développés qui devaient définir les priorités de la Chine, de l’Inde, de la Malaisie ou de la Thaïlande, ces pays n’auraient pas accompli les percées que vous connaissez.
Peut-on conclure, au regard du défilé des délégations du Fmi dans notre pays, que nous sommes économiquement sous tutelle, d'autant que l'apparente détermination qu'ont nos autorités à appliquer les engagements pris vis-à-vis de ces partenaires financiers est inversement proportionnelle à sa résistance à mettre en oeuvre de véritables réformes politiques?
Vous ne me demanderez pas d’en vouloir aux agents du Fmi d’essayer de justifier leur existence ! Dans certains cercles à Washington, il y a quelques semaines, le débat tournait autour de la justification même de ce genre d’institutions au regard des problèmes actuels du monde. Si par nos insuffisances de gouvernance, on leur donne l’occasion de dire : “ Voyez-vous, au Cameroun, ils ont encore besoin de nous : ils ne savent ni préparer, ni exécuter ni contrôler efficacement l’exécution de leur budget ; ni assurer de manière efficiente et efficace l’utilisation des ressources publiques, etc. ”, c’est notre problème… Chacune de ces organisations essaie d’exister, tant pis pour nous si à cause de nos propres turpitudes elles réussissent à le faire sur notre dos complètement lisse.
Source: Le Messager
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