Elle s’appelle W..., étudiante, à peine plus de 20 ans. Elle porte un blue-jean taille basse de rigueur, un sac sur l’épaule et une chemise de documents sous l’aisselle.
Les derniers rayons de soleil cru du mois d’août dévorent violemment sa figure, à l’une des entrées de la Délégation générale à la sûreté nationale à Yaoundé, comme plusieurs autres jeunes filles et femmes agglutinées à cette entrée du pâté de bâtiment débouchant sur un carrefour, et qui espèrent encore avoir un passeport ce 17 août 2006. Mais sans doute plus pour longtemps, car la jeune femme a décidé d’abandonner les procédures d’obtention d’un passeport informatisé qui devait la permettre de quitter le Cameroun...
« Je préfère laisser tomber, trop de longues procédures » lance-t-elle stoïque. Elle a laissé dans l’affaire 150 000 F CFA données à un commissaire en service à la délégation générale à la sûreté nationale pour obtenir le document de voyage, en vain. Après plusieurs semaines d’attente, et de « procédures », toujours rien...le voyage pour la France, ce sera pour une autre fois pour W... Le commissaire qui a encaissé illégalement 150 000 F CFA ne réagit toujours pas favorablement. Et pourtant, selon la loi en vigueur depuis le 17 juillet, il faut payer 50 000 F CFA et attendre juste « une dizaine de jours » pour retirer le document.
L’affaire de la pénurie des passeports au Cameroun elle remonte à plusieurs mois plus tôt. Décembre 2005, la pénurie des passeports à la direction de la police des frontières à Yaoundé s’installe, après avoir pointée le bout de son nez quelques mois auparavant. Au grand désespoir de dizaines de milliers de jeunes diplômés ou étudiants et chômeurs de luxe, que l’envie de partir du Cameroun pour un eldorado européen, est une véritable obsession. Dès janvier 2006, la pénurie s’accentue et le peu de passeports disponibles se transforment en véritable trésor de guerre qui va faire l’objet d’un formidable marchandage.
L’obtention du titre de voyage va se négocier à la tête du client et au plus offrant. Située dans l’enceinte de la Délégation générale à la sûreté nationale, la direction de la police des frontières, n’est plus alors qu’une simple porte de sortie du passeport, au terme d’un parcours qui commence souvent bien loin, par un coup de fil adressé à une autorité policière, politique ou administrative, qui à son tour, aura usé de ses relations au sein de la direction de la police des frontières, pour se voir délivrer le précieux document de voyage.
A moins d’avoir de solides relations au sein de la police ou aux alentours, il faut être disposé à payer des centaines de mille de F CFA. Selon un usager, Tagne Dieudonné, au mois d’avril, il fallait payer 150 000 F CFA (3 fois le prix normal), et en juin, 250 000 F CFA, « prix non négociable, à prendre ou à laisser ! ». « A ce qu’il parait, poursuivait-il, la pénurie s’est étendue dans nos représentations diplomatiques ».
Il citait alors le cas de l’ambassade du Cameroun à Rome en Italie. En fait, les enchères allaient plus loin encore selon le circuit que l’on empruntait, circuit où on retrouvait des policiers qui en avaient fait une providentielle source de revenus.
Passeports Cemac : des fuites avant le décret présidentiel ?
En juin 2006, sans grand bruit, la Délégation générale à la sûreté nationale reçoit les premiers stocks de nouveaux passeports Cemac (Communauté économique et monétaire des Etats de l’Afrique centrale). Le 17 juillet, le président de la République signe le décret n° 2006/230 instituant un nouveau passeport ordinaire.
Comme pour le précédent passeport, il coûte 50 000 F CFA, mais l’une des innovations est que les photos se font désormais à la direction de la police des frontières et dans les commissariats de l’Emi-Immigration contre 2 000 F CFA de frais supplémentaires pour les photos. Cette dernière innovation va remonter les photographes des environs de la Délégation générale à la sûreté nationale qui habituellement établissaient les cartes photos de meilleure qualité selon des usagers, et à moitié prix.
Mais entre le mois de juin, date de l’arrivée de nouveaux passeports et la publication le 17 juillet du décret présidentiel instituant ces nouveaux passeports, certains fonctionnaires de police se seraient lancés dans leur trafic en les établissant contre de fortes sommes d’argent, en usant de leur position pour obtenir des faveurs. Une véritable aubaine pour certains policiers en cette période de rentrée scolaire et universitaire dans les pays européens, dont la France, faisant ainsi de l’obtention d’un passeport, une absolue nécessité pour ces dizaines de milliers de jeunes élèves et étudiants camerounais habités par l’expatriation.
Selon une source policière, c’est l’inspecteur général des services à la Délégation générale à la sûreté nationale, le commissaire divisionnaire Mbarga Victor Hugo qui aurait, après une descente sur le terrain, parmi les centaines de candidats au passeports agglutinés tous les jours à la DGSN, identifié des fonctionnaires de la sûreté nationale impliqués dans ce trafic. Le 21 août, sans grande surprise le délégué général à la sûreté nationale, Edgard Alain Mebe Ngo’o, sur délégation de signature du chef de l’Etat, suspendait huit policiers pour « indélicatesse et compromission grave portant atteinte à la considération de la Sûreté nationale dans le processus d’établissement de passeports ordinaires ».
La suspension de trois mois pendant lesquels les mis en cause ne percevront pas leurs salaires touche dans le détail 4 gardiens de la paix, 3 officiers de police et 1 inspecteur de police.
La décision de M. Mebe Ngo’o n’es pas la première. Il a en effet, en l’espace de quelques mois, suspendus une vingtaine de policiers pour bavures diverses.
Source : Cameroun-online
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