Sous divers angles d'observation, l'affaire rappelle le différend frontalier camerouno-nigérian de Bakassi. D'abord par la nature du territoire au coeur du conflit. De sources diplomatiques, il s'agit d'une presqu'île située sur le fleuve Logone, lorsqu'on se place du côté camerounais de la frontière entre le Cameroun et le Tchad, à deux kilomètres du centre de la ville de Kousseri, chef-lieu du Logone-et-Chari. " Ngargouso est un village physiquement rattaché à la terre camerounaise, puisqu'on n'y accède pas autrement, lorsqu'on choisit la voie terrestre, qu'en empruntant les routes de Kousseri ", explique un diplomate qui vient d'achever une tournée à travers le Cameroun.
Ensuite, les populations de Ngargouso, comme celles de Bakassi, sont originaires dans une proportion majoritaire du Tchad voisin. Mais dans les milieux de l'administration territoriale où personne ne veut parler à visage découvert de ce " dossier délicat ", il s'agit d' " une situation commune à nombre de zones frontalières camerounaises ". La communauté tchadienne de Ngargouso qui s'y est installée depuis longtemps a en effet bénéficié de l'hospitalité camerounaise, souligne notre diplomate. " Le problème est survenu quand les autorités de N'Djamena ont promis de construire une école si les habitants de ce village votaient pour le président Deby, lors de la présidentielle de mai 2006. C'est ce qui s'est passé et lors de mon passage j'ai été intrigué par la nouvelle d'une expulsion manu militari d'une mission d'information camerounaise ", ajoute-t-il.
C'est que, à l'image de Bakassi par ailleurs, l'administration camerounaise n'a pas d'emprise sur le terrain. D'ailleurs, à la requête du préfet du Logone-et-Chari, les travaux se sont momentanément arrêtés. Et, la lettre que l'administrateur a ensuite envoyé à son homologue du Baguirmi à N'Djamena a reçu une réponse verbale rassurante de ce dernier. " Etonnamment, les travaux ont repris et l'administrateur délégué du 1er arrondissement de N'Djamena s'est fendu en explications écrites au préfet, lui expliquant que le territoire en question est tchadien et qu'il s'appelerait plutôt Gore ", explique une source au ministère de l'Administration territoriale qui prend régulièrement part aux réunions de la Commission mixte Tchad-Cameroun.
Belliciste
Si l'administrateur d'arrondissement tchadien se dit prêt à se rendre sur le territoire litigieux, les visites des autorités tchadiennes sont par contre aussi fréquentes qu'elles sont effectuées par des personnalités d'un rang élevé dans l'appareil de l'Etat tchadien. De là à soupçonner le Tchad de préparer la prise de possession dans les faits et par la force d'un territoire camerounais potentiellement riche en ressources pétrolières, il n'y a qu'un pas qu'un ancien sous-préfet de la région n'hésite pas à franchir. Dernier élément d'un puzzle semblable à l'affaire Bakassi, pour l'instant imaginaire, mais qui pourrait bien se matérialiser, le sud pétrolier du Tchad se trouve en effet dans une zone géographique proche des champs pétroliers de Doba et Komé où N'Djamena tire l'essentiel de ses revenus depuis trois ans.
Le Logone oriental du Tchad et sa région soeur du Logone-et-Chari vont-elles donc être bientôt le théâtre d'opérations militaires ? " Il faut le craindre ", estime notre diplomate. Mais à Yaoundé, les administrateurs du territoire, comme les officiers des forces armées qui ont eu vent de ce conflit en gestation soulignent volontiers la lenteur de réaction des autorités camerounaises. " A la frontière avec la Rca, l'on a vu des militaires centrafricains déplacer le poste-frontière. Le long de cette région, les milices armées ne se gênent pas pour enlever des enfants camerounais et se faire payer des rançons. Sur le front congolais, c'est plus calme, mais parfois il y a des traversées du même type. Les Equato-guinéens ne sont pas en reste", s'emporte un haut-fonctionnaire de l'administration territoriale.
" Ce n'est pas être belliciste que de demander une réaction à la mesure du problème, aussi bien sur le plan diplomatique qui est l'option du gouvernement, que sur le plan militaire. En plus de la présence des autorités administratives et militaires, il ne faut pas hésiter à faire respecter la délimitation frontalière qui est un élément du territoire et donc de l'existence et de la souveraineté de tout Etat. Sinon, nous allons bientôt nous retrouver attaqués de toute part et incapable du moindre geste ", conclut-il.
Source : Quotidien Mutations
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