Paul Biya et Jacques Chirac il y a quelques années...
L’intéressant, si on peut dire, avec les polémiques du passé c’est qu’elles avaient au moins l’avantage de mettre un peu de piment – en mobilisant tout le monde, partisans comme adversaires – dans l’ordinaire de ces visites d’ordinaire menacées par l’imparable glissement vers la monotonie. Peu de victoires concrètes ayant été remportées par divers "empêcheurs de visiter en rond" au cours d’épisodes précédents – des "opposants" de tout poil, des étudiants en colère, des fonctionnaires déflatés – la lassitude s’est emparée de la quasi-totalité des Camerounais de l’étranger, au point que plus personne ne trouve intérêt à se bousculer sous les souliers de M. Biya pour lui souhaiter la bienvenue en France ou même pour daigner lui crier sa rage.
Accueil plus que timide donc, cette fois, dans une France caniculaire et méchante, à laquelle bien de personnes souvent d’excellente volonté rechignent à offrir le sacrifice de leur transpiration. Le président des Camerounais est donc descendu de son avion à quelque chose comme 18h 50. Il était, comme souvent, habillé d’un costume sombre qu’environnait l’habituel éclat de son épouse, Chantal Biya. La dame souriait, l’homme plus réservé. Les deux, accueillis sans triomphalisme, étant conduits sans tarder vers le lieu de résidence où l’homme a somme toute depuis des années pris quelques habitudes de confort.
Direction, l’hôtel Ritz donc, place Vendôme. Un établissement luxueusement classique, réservé à une clientèle de nababs provenant généralement de pays vivant sans économie sur les rentes pétrolières. On y croisait, hier encore, des princes venus de pays du Golfe persique, engoncés dans des Rols Royce aux allures de soucoupes volantes, qui traînaient leurs longues djellabas sur des pavées chauffés à blanc. Paul Biya y est donc arrivé, accompagné d’une escorte de policiers dont le nombre, important, a rapidement conquis l’essentiel des espaces, au point de donner de cet endroit le décor d’une manifestation anti-Cpe.
Démonstration de faiblesse
Les forces de l’ordre étaient en tout cas bien plus nombreuses que la poignée de Camerounais qui a pris place sur les lieux, personnes de tous âges et, surtout – bien entendu – militants du Rdpc. Il revient sans doute à ces derniers le mérite d’une qualité d’organisation particulièrement ratée qui, en dépit de moyens de locomotion depuis longtemps mobilisés, se ont quand même réussi à ne pas se trouver à temps sur les différents endroits même où ils étaient pourtant attendus à faire voir leur ferveur à leur "président national". Conséquence, Chantal et son mari n’ont été accueillis devant leur hôtel, que par un groupuscule de danse assiko, vêtus de maillots de Lions indomptables, dont le chef de file a tout de même réussi à stupéfier les touristes de passage, en avalant d’un trait une bouteille de bière posée sur la tête en signe de démonstration de sa classe.
Un accueil timide donc, pour dire le moins, de la part en tout cas de ses propres compatriotes. On oubliera donc que quelques dizaines d’entre eux se sont pourtant donné la peine de partir de loin. Certains, de l’Allemagne par exemple, au cas de Thomas Fomekong le président de la sous-section Rdpc du coin : l’homme et ses fidèles ont à cet effet loué un bus de 50 places et ont couru à Paris, pour dire que, dans l’accueil de leur président, "il va d’abord de l’image tout entière du pays à l’extérieur". Image que le concepteur des "grandes ambitions" a, dit-il, traduite au dernier congrès du Rdpc en affirmant que chaque Camerounais se devait d’être un "interprète de la vision politique du Renouveau".
Son équipier de ce voyage, Sona Mukete, secrétaire général de ladite sous-section, pensant de son côté que l’heure des sectarismes est largement révolue, étant donné que l’homme qui les gouverne depuis 24 ans est parfaitement dans le sens de ce qu’en attendent les Camerounais, en termes de développement économique et surtout, de promotion de la démocratie. Des termes assurément identiques à ceux qu’utilise Serge Kanga, de la sous-section de Toulouse pour qui, le fait de tenir la tête d’une délégation de cinquante personnes à l’occasion de cette visite a d’autant plus de sens à ses yeux que c’est à l’extérieur même que se vit le militantisme, en ce qu’il est franchement désintéressé, sans se poser en attente de quelque récompense ou privilège de court ou moyen terme.
La nuit tombe bien tard en ce moment à Paris, après 22h. Il est donc probable que M. Biya, en dépit d’une fatigue compréhensible de voyage, ait dormi après minuit. En bien de lieux pourtant, à Paris, ceux qui sont contents de sa visite ont organisé des manifestations attenantes, des réceptions, de soirées politico-mondaines – exemple, à l’hôtel Ibis Cambronne – un peu pour dire qu’ils communient avec lui, en dépit de son présence en tant que telle n’y ait été évoquée que sous forme de spectre. Le personnel de l’ambassade tourne aussi dans tous les sens, dans toute la ville, pour être au mérite des responsabilités importantes que quelques uns d’entre eux occupent.
Source : Quotidien Mutations
|