La distinction entre l’administration et le parti n’est pas évidente pour tous.
Dois-je rappeler que nous ne sommes plus à l’ère du parti unique?" Dans l’enceinte du Palais des congrès ces passages de son discours de politique générale ont provoqué la moue des participants et déclenché le sourire amusé des observateurs. A raison. A l’occasion de son congrès, le Rdpc a fait justement étalage de son inaptitude à distinguer entre ce qui appartient à l’administration et ce qui relève de l’Etat.
Annoncé dans la précipitation, le congrès du parti au pouvoir doit, en partie, le succès de son organisation à la mobilisation des ressources publiques à tous les échelons de l’administration. Dans l’arrière-pays, gouverneurs et préfets se sont personnellement impliqués dans les préparatifs. Dans l’Adamaoua, pour ne prendre que le cas d’une province, les services du gouverneur à Ngaoundéré, a servi d’antenne régionale à la Commission des transports que présidait le député Assene Nkou.
Les délégués de cette localité et ceux de la province de l’Est y ont pris leur quartier, avant leur embarquement jeudi, à bord des wagons de la Camrail, à destination de Yaoundé. Dans la capitale, les commissions et sous-commissions tenaient leurs réunions, au vu et au su de tous, dans les bâtiments publics et les cabinets de ministre.
Le travail quotidien de ces diverses structures administratives était fatalement perturbé. Soit parce que les infrastructures (ordinateur, fax, téléphone, véhicule) étaient confisquées, soit parce qu’une partie du personnel (chauffeurs, secrétaires et autres) se trouvait d’office embarquée dans les préparatifs du congrès.
En réalité, c’est toute l’administration camerounaise qui s’est retrouvée prisonnière du congrès du Rdpc. A Yaoundé. Comme en province où, le jour dit, et d’après l’écho reçu de nos sources dans l’arrière pays, des bureaux sont restés fermés, beaucoup de fonctionnaires tenant à vivre l’évènement à travers la télévision nationale.
Au niveau des médias officiels, la mobilisation a atteint son zénith. Evènement de grand intérêt médiatique, parce qu’il s’agit d’un congrès du parti au pouvoir, les assises du Rdpc ont figuré à la une de Cameroon-Tribune, le quotidien gouvernemental dès le lendemain de l’annonce de la convocation du congrès. Son édition du 13 juillet comportant la liste des membres du Comité d’organisation était introuvable dans les principaux kiosques de la Yaoundé.
Son compère de la Cameroon Radio and television (Crtv), un organisme qui vit, grassement, de la redevance audiovisuelle payée par les Camerounais de toutes les chapelles politiques, a sorti sa grande armada (grands reporters, éditorialistes) pour annoncer, couvrir en direct et commenter l‘évènement, privant les auditeurs et les téléspectateurs de leurs émissions habituelles.
La sous-commission de sécurité, quant à elle, comportait en son sein de hauts cadres de la police nationale, le commissaire principal Bienvenu Moutassie, chargé d’étude à l’Agence d’investigation financière (Anif) et les commissaires divisionnaires Antoine Bagnalen et Agathe Lélé. En violation des prescriptions du statut particulier de ce corps par excellence apolitique. Selon nos sources, les concernés ont été surpris de voir leur nom sur la liste.
Comparaison
En guise de comparaison, lors du (double ?) congrès du Sdf tenue le 26 mai dernier, la "contribution" de l’administration à la réussite des assises avait consistée en la mobilisation des forces de maintien de l’ordre. Elles s’étaient déployées autour du Palais des congrès le 26 mai au petit matin pour empêcher l’accès des lieux aux partisans de Bernard Muna.
A Bamenda, qui tenait ce même jour des assises au nom du Sdf, la marque d’attention de l’administration avait été la présence à l’ouverture du congrès au Mankon Stadium, du chef de cabinet du gouverneur du Nord-ouest, Gilbert Acha.
Cette confusion entre biens publics et patrimoine du Rdpc, ainsi que le recours gratuit et fréquent aux compétences des agents de l’administration publique, sont un legs du parti unique. Le symbole criard de l’annexion de l’Etat par le Rdpc est la confiscation du Palais des congrès, siège du Rdpc, d’où Paul Biya appelait ses camarades à cesser de confondre l’administration et le parti. Sans parler du protocole d’Etat, fortement impliqué dans l’organisation du congrès.
Dans une récente interview, le politologue Eric Mathias Owona Nguini tentait une explication de l’emprise du Rdpc sur les structures et les ressources de l’Etat. " On peut distinguer deux dimensions. Une formelle et normative qui veut que les ressources de l’Etat soient différentes de celles des partis politiques, donc du Rdpc.
Et il y a une dimension pragmatique qui veut que le Rdpc, exerçant une grande influence dans le circuit de l’Etat, puisse mobiliser les connexions liées à une influence pour disposer de ressources de financement. Concrètement, cela fait partie de la prime politique d’occupation du pouvoir. Mais on ne peut pas dire que le rapprochement qu’on peut remarquer entre les caisses de l’Etat et celle du Rdpc soient une réalité intangible ", estimait-il dans le colonnes de Mutations [N° 1701ndu 21 juillet 206]. "Les choses sont en train d’évoluer, poursuivait-il.
Il y a un certain nombre de dynamiques qui vont créer une plus grande différentiation entre les caisses de l’Etat et celles du parti dominant. Il s’agit de dynamique relatives à la bonne gouvernance et à la lutte contre la corruption "
En prélude à ces "dynamiques", le courant dit des " Modernistes " du Rdpc avait, dans son livre blanc publié en janvier 2003, déploré "le mauvais usage des biens meubles et immeubles de l’Etat" par des responsables du parti. S’adressaient-il à Paul Biya qui convoque régulièrement les réunions du Rdpc au Palais de l’unité.
Source: Quotidien Mutations
|