A force de se contenter d’une “ diplomatie de présence ” ou de “ principe ” selon les circonstances, donc de banaliser la réputation et le poids diplomatique du Cameroun à travers les instances internationales, voilà que, le président de la République, garant de l’intégrité territoriale, est sur le point de trahir son serment. Va-t-il, comme le suggère l’accord entre le Cameroun et le Nigeria du 12 juin, mettre le Cameroun sous administration étrangère ? il semble bien que oui, puisqu’il s’engage à répétition, depuis la signature de l’accord, à en appliquer rigoureusement les termes. Et c’est une restitution fidèle du poids diplomatique résiduel du Cameroun sur la scène internationale (Lire l’enquête de Valentin Zinga), car même les prétendus “ pays amis ” s’y sont mis en paraphant à leur tour le document pour contraindre Paul Biya à accepter de mettre le Cameroun sous administration étrangère
Paul Biya, qui a toujours clamé que Bakassi est non négociable, et jusqu’ici, avait fait preuve d’une clairvoyance impressionnante dans la conduite du dossier, vient ainsi de ruiner des années de patience et de débauche d’énergie et d’argent. Car, personne n’est suffisamment naïf pour croire que le Nigeria qui a multiplié diversions, provocations, tentatives de corruption et propositions indécentes pendant des années pour s’accaparer de Bakassi va brutalement en partir, après avoir eu deux années pour installer, avec la caution du Cameroun, sa souveraineté totale (y compris militaire, à travers la police) sur le territoire. Tout laisse d’ailleurs penser que Paul Biya lui-même n’est pas le plus optimiste quant à la volonté du Nigeria de respecter sa parole. Le chef de l’Etat n’a-t-il pas, à plusieurs reprises, depuis la signature de cet arrangement, exhorté à la prudence ?
Certes, entend-on, le fait que le Nigeria se soit engagé à retirer ses troupes de la péninsule querellée de Bakassi est une avancée notable. Mais, à l’examen, il s’agit davantage d’une opération d’intox, qui permet au Cameroun d’entrer dans le processus de cession définitive de la souveraineté sur Bakassi au Nigeria, sans perdre la face. De fait, si les troupes nigérianes se retirent de Bakassi, c’est pour laisser place à une administration en bonne et due forme, qui comprend naturellement la police et la justice. Qui s’en irait à rêver que le Nigeria va administrer le territoire en admettant les troupes camerounaises sur le sol ? En clair, Il n’y a point de victoire pour le Cameroun, puisque ses troupes seront tenues de se retirer aussi vite que celles du Nigeria. Et que ce pays aura donc toute latitude pour implanter ses symboles de souveraineté, mais aussi pour monter les populations locales contre l’hypothèse même d’une future et probable administration camerounaise.
Présence massive
Le prétexte excipé par l’entourage du chef de l’Etat est celui de la pression des “ pays amis ”. Ceux-ci, qui ont abondamment investi au Nigeria ne souhaitent prendre aucun risque avec ce géant de l’Afrique, terre fertile de la corruption, où on peut faire des affaires juteuses. On évoque, par exemple, que les investissements français au Nigeria ses supérieurs aux investissements effectués par la même France dans les 14 pays de la zone franc réunis. Soit, mais rien ni personne ne pouvait obliger Paul Biya à signer un document qui est manifestement en contradiction avec ses obligations constitutionnelles (préserver, notamment, l’intégrité du territoire). D’autant que plusieurs firmes de ces “ pays amis ” opèrent déjà dans le secteur pétrolier dans des zones contiguës à Bakassi, signe de leur parti pris évident pour le Nigeria. Mieux, au Nigeria, à la veille de chaque grande rencontre sur l’affaire Bakassi, l’opinion est suffisamment chauffée pour que les délégués nigérians se disent sous pression. Au Cameroun, c’est pendant que Paul Biya est déjà à New York que l’on apprend qu’il s’agit de mener des discussions sur l’affaire Bakassi. Ce qui prive naturellement le président Cameroun du soutien de ses compatriotes, et même de l’argument d’une pression locale qu’il pourrait invoquer pour éviter le ridicule.
Autre prétexte, la présence massive des Nigérians sur cette portion du territoire camerounais. Une aberration dans la mesure où il y a près de 3 millions de Nigérians au Cameroun, et que, selon cette logique, le Camp Yabassi, à Douala, et le quartier Mvog Ada, à Yaoundé, devraient rapidement être mis sous administration nigériane.
Le plus curieux dans l’affaire est bien le rôle de Kofi Annan, le secrétaire général des Nations unies. Alors que son second mandat tire à sa fin, on ne retiendra de ses deux mandats que son aptitude à consacrer les rapports de force, même dans la plus parfaite injustice. On l’a vu en Côte d’Ivoire où, en bon disciple du colon, il fait perdurer inutilement la crise en prenant fait et cause pour une rébellion foireuse et affairiste, simplement parce que celle-ci a le soutien non dissimulé de la France. L’affaire Bakassi en donne un autre exemple. Là où l’affaire aurait pu être portée au Conseil de sécurité, ne serait-ce que pour embarrasser ces “ pays amis ” qui se disent favorables à l’application du droit international tout en faisant le contraire. Le mandat du secrétaire général de l’Onu s’achève dans quelques mois, comme celui d’Obasanjo au Nigeria. Ces jolies promesses de libération totale de Bakassi dans sept ans survivront elles à ces deux acteurs principaux de la forfaiture ?
Source : La Nouvelle Expression
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