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Face à Face : Cheikh Anta Diop vs Senghor
(09/04/2006)
"Duel" entre deux géants de l'histoire africaine, tous deux sont sénégalais, ils auront œuvré pour la reconnaissance de l’homme noir.
Par Paul Yange
Léopold Sédar Senghor
Léopold Sédar Senghor
La mort en décembre 2001 de Léopold Sedar Senghor, premier président de la république du Sénégal a donné lieu a des articles élogieux dans la presse française, soulignant notamment le rayonnement international du grand homme. Vu d’Afrique cependant, l’aura de Senghor n’est pas supérieure à celle d’un autre de ses compatriotes moins connu du grand public français, Cheikh Anta Diop.

Tous deux sont sénégalais et ont connu l’époque coloniale en Afrique. Cheikh Anta Diop est né en 1923, Senghor en 1906. Tous deux sont "occidentalisés" puisqu’ils poursuivent leurs études en France. Tous deux sont de brillants intellectuels. Senghor est le premier africain agrégé de l’université, Cheikh Anta Diop mène en parallèle des études scientifiques et des études littéraires. Il est titulaire de deux doctorats (lettres / physique nucléaire). Tous deux ont une épouse française et tous deux auront œuvré pour la reconnaissance de l’homme noir, prônant la fin de la barbarie, du racisme, appelant l’avènement d’une civilisation universelle, mais leurs méthodes divergent radicalement.

Senghor est un littéraire, un poète, un "magicien du verbe" féru de français et de civilisation grecque. Diop a une approche pluridisciplinaire, et considère que l’avènement d’une civilisation universelle est indissociable d’une réintégration de l’Afrique dans le champ de l’histoire dont elle a été exclue (notamment par les grands esprits européens victimes des préjugés racistes de leur époque). Il veut que soit reconnu officiellement la négritude des anciens égyptiens (et montrer par la même que les européens lui sont redevables puisqu’il considère les grands esprits grecs comme des plagiaires).




C.A Diop
C.A Diop
Senghor ne veut pas couper le "cordon ombilical " avec la France qui est son pays d’adoption, Cheikh Anta Diop est prêt au choc frontal. Senghor publie ses premiers recueils de poèmes dans "chants d’ombre" en 1945. Cheikh Anta Diop émet la thèse qui guidera son œuvre dans Nations nègres et culture en 1954, en affirmant que les anciens égyptiens étaient des "nègres" (terme utilisé afin qu’aucune confusion ne soit possible). La démarche de Senghor, moins "radicale", reçoit le soutien de nombre d’intellectuels français. Les travaux de Cheikh Anta Diop suscitent la perplexité, voire le dédain. On s’étonne de son audace. Aimé Césaire, visionnaire, et accessoirement condisciple de Senghor au lycée Louis le Grand est l’un des premiers à écrire que "Nations nègres et culture" comptera dans le réveil de l’Afrique.

Senghor met en place le concept de négritude sans remettre en questions les fondements de la civilisation occidentale. Cheikh Anta Diop écrit et affirme qu’il fut une époque où les européens étaient des "barbares", que Pythagore de Samos a étudié 20 ans en Egypte, que les grecs doivent tout aux égyptiens (ce qui signifie pour lui que l’occident doit tout à l’Afrique). Senghor connaît une brillante carrière politique et est le premier président de la république du Sénégal en 1960. Cheikh Anta Diop poursuit ses recherches pluridisciplinaires (histoire, linguistique, paléontologie...) et travaille à l’IFAN, le premier laboratoire de physique nucléaire (et le seul à l’époque) d’Afrique. Il n’est pas autorisé à enseigner à la faculté de Dakar (Senghor s’y oppose).



La reconnaissance arrive progressivement pour Cheikh Anta Diop (il partage en 1966 avec WEB Du Bois le prix de l’écrivain ayant le plus influencé la pensée nègre au 20è siècle). La rencontre avec le linguiste Théophile Obenga et le congrès du Caire en 1974 (au cours duquel il aura l’occasion de confronter ses thèses face à des spécialistes mondiaux de l’Egyptologie) donnent aux thèses de Cheikh Anta Diop un retentissement international. Le compte rendu du congrès est inclus dans le tome II de l’histoire générale de l’Afrique préparé par l’Unesco.

Senghor a pendant ce temps reçu de nombreuses récompenses internationales (prix littéraires, doctorats honorifiques) et reste 20 ans à la tête de la république du Sénégal avant de démissionner en décembre 1980. Il prend sa retraite en Normandie, et entre aux sein des "immortels", à l’académie française. Cheikh Anta Diop est enfin autorisé à enseigner au Sénégal (27 ans après la parution de "Nations Nègres et Culture"). Ses écrits sont reconnus aux Etats-Unis dans les années 80. Il est invité par la célèbre université noire de Morehouse (où étudia notamment Martin Luther King) afin de recevoir un Doctorat Honoris Causa.




Cheikh Anta Diop décède en février 1986, Senghor en décembre 2001. Côté africain, Cheikh Anta Diop est rangé aux côtés des grandes figures de l’histoire noire comme Malcolm X, ou Mohammed Ali. Senghor est perçu (peut-être injustement) comme un simple Oncle Tom.

Côté occidental, Senghor est apprécié pour l’exemple du métissage des cultures et des civilisations qu’il constitue. Cheikh Anta Diop dérange, plus pour la forme qu’il a donné à ses idées que pour le fond : affirmation "obsessionnelle" du caractère nègre des égyptiens, vision raciale de l’histoire (il écrit dans Civilisation ou barbarie qu’en – 5000 les sémites (les "blancs") n’existent pas encore et que la période de –4236 à –750 est marquée par la "suprématie des Noirs"), ce qui fait dire à l’historienne Sophie Bessis qu’il est bien loin de Frantz Fanon (et donc de Senghor) qui affirmait en 1955 "qu’il n’avait pas le droit en tant qu’homme de couleur de chercher en quoi sa race était supérieure à une autre, et qu’il n’y avait ni mission nègre, ni fardeau blanc".

Hasard ou coincidence, dans la sélection des 12 meilleurs livres africains du 20è siècle, parue en février 2002 lors de la foire internationale du livre du Zimbabwé, figuraient trois livres écrits par des sénégalais, dont "Antériorité des civilisations nègres"de Cheikh Anta Diop, et le recueil des "œuvres poétiques" de Léopold Sedar Senghor.

Les deux sénégalais les plus célèbres de l’histoire demeurent immortels à travers leur œuvre, même s’il ne fait aucun doute que la popularité de Cheikh Anta Diop, considéré comme le restaurateur des "civilisations nègres" par le grand public africain, est supérieure à celle de Léopold Sedar Senghor, vu comme simple président poète.










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