Biya et Obiang Nguema lors de sa dernière visite
Officiellement, c'est en leurs qualités respectives de présidents en exercice de la Communauté économique et monétaire d'Afrique centrale (Cemac), et de la Communauté économique des Etats d'Afrique centrale (Ceeac), que le Gabonais Omar Bongo Ondimba et le Congolais Denis Sassou Nguesso se sont rendus mardi dernier à Malabo en Guinée Equatoriale pour y effectuer une visite de 24 heures. Arrivés séparément à bord de deux vols d'une société gabonaise privée, ils ont été accueillis, selon l'Agence France presse (Afp), à l'aéroport de Malabo, par leur homologue équato-guinéen, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo. MM. Sassou Nguesso et Bongo (qui font par ailleurs partie de la même famille, le second ayant épousé la fille du premier) n'ont, dans un premier temps, fait aucune déclaration à la presse à propos de leur visite, dont la durée et l'objet n'ont pas été officiellement annoncés.
Le lendemain, au moment de quitter la Guinée Equatoriale, ils se sont montré beaucoup plus loquaces. Le président Bongo a déclaré sur les antennes de la radio nationale qu'ils étaient venus apporter leur "soutien" à leur homologue équato-guinéen qui s'est dit visé au début du mois de mars par une tentative de coup d'Etat. "Ce sont des mercenaires, des terroristes étrangers qui sont venus pour déstabiliser le pays. Après la Guinée Equatoriale, le Gabon est à côté, après le Gabon, le Congo est à côté, c'est pourquoi (...) nous nous sommes fait inviter pour (...) apporter notre soutien, au président Obiang ", a-t-il déclaré à l'aéroport de Malabo en présence du président Obiang Nguema, Son beau père Denis Sassou Nguesso a aussitôt renchéri : "Nous ne pouvons pas laisser le mercenariat perturber le mouvement de démocratie et de développement qui est engagé dans ce pays et en Afrique centrale".
Le leader gabonais ayant l’habitude d’intervenir intempestivement, avec des fortunes diverses, dans tous les contentieux diplomatiques qui se déroulent à travers le continent et même ailleurs (Côte d’Ivoire, Tchad, Rca, Congo, Angola, Haïti, et autres), l’on a pas été surpris d’apprendre de sources crédibles que le point essentiel de ces visites présidentielles consistaient aussi à réchauffer les relations entre la Guinée Equatoriale et le Cameroun, refroidies par la vaste opération de "contrôle d'immigrés illégaux" à relents xénophobes engagée à Malabo et Bata par les autorités équato-guinéennes le 06 mars dernier en représailles de la prétendue tentative de coup d'Etat.
Médiation
Non content d’accuser le Cameroun d’abriter sur son sol des camps de mercenaires, les responsables du petit émirat pétrolier d'Afrique centrale ont déclenché cette opération afin d'expulser, dans des conditions sauvages, prés de 1.500 de nos compatriotes. Nonobstant la visite éclair effectuée le 26 mars dernier par Teodoro Obiang Nguema au Cameroun, les relations entre les deux pays semblent toujours tendues. Les autorités camerounaises conservent toujours un étrange mutisme sur le sujet, même si l’on apprend par ailleurs grâce aux sources proches de la présidence équato-guinéenne, que le locataire du palais d’Etoudi aurait demandé aux autorités de Malabo d'indemniser les expulsés.
Depuis la fin de leur visite de " soutien " à Malabo, force est de constater que Denis Sassou Nguesso et son beau fils sont en train d'inaugurer un genre nouveau dans l’univers des relations diplomatiques : la médiation unilatérale. En effet, non seulement, les résultats de cette concertation restent encore attendus, mais en plus, il est tout à fait curieux de constater que les chefs d'Etat Gabonais et Congolais se sont rendus à Malabo sans prendre la peine de passer par Yaoundé entendre la version de la partie lésée.
Et pourtant, quelques jours avant le raid sur Malabo, des communiqués de la présidence gabonaise, relayés par l'Agence panafricaine de presse (Pana), faisaient état de ce que Omar Bongo Ondimba devait effectuer une escale à Yaoundé dans le prolongement de sa " médiation " pour y rencontrer le président Paul Biya. Le report de l’escale du président gabonais (et accessoirement celle de Denis Sassou Nguesso) à Yaoundé laisse donc libre cours à toutes sortes de conjectures. A-t-il été découragé par le palais d'Etoudi? Ou a-t-il décidé d'apporter son soutien unilatéral à Obiang Nguema Mbasogo dans cette affaire? Au vu des indicateurs antérieurs, cette dernière hypothèse ne doit pas être prise à la légère. D’une part, parce que son pays et la Guinée Equatoriale se disputent depuis quelques temps l'île de Mbagnié, dont on dit que le périmètre maritime est riche en matières minérales, sa simple présence à Malabo, et à ce moment précis, s’avère pour le moins suspecte.
Isolement
En raison justement de ce contentieux et en dépit des visites effectuées par les émissaires de part et d'autres, il est de notoriété publique que les relations entre le doyen Omar Bongo Ondimba et Obiang Nguema Mbasogo se sont sensiblement détériorées. D'autre part, dans la série d'expulsions organisées par les autorités équato-guinéennes, le Gabon a aussi reçu son lot. Au moment où le président Bongo atterrissait à Malabo, 70 de ses compatriotes étaient réfugiés dans les locaux du consulat gabonais. En dépit des déclarations diplomatiques de façade, les relations entre le président Biya et ses pairs de l'Afrique centrale n'ont jamais été au beau fixe. A plusieurs reprises, le " médiateur " Omar Bongo Ondimba s'est ému, dans les colonnes des journaux panafricains basés à Paris, de la condescendance affichée à son égard par son homologue camerounais. Dans l'une de ces interviews, il avait même déclaré en substance : " Je me suis déjà rendu à plusieurs reprises à Yaoundé, Paul Biya ne vient jamais chez moi. Je n'irai plus chez lui... ".
Quelques mois plus tard, en janvier 2001, on l'avait aperçu tout sourire à Yaoundé, à la faveur d'un sommet international, sans que l'on ne se fasse véritablement d’illusion sur la nature de ses relations avec son " frère " camerounais. A l'instar du détournement, sur ses conseils, de l'avion transportant le président déchu centrafricain Ange-Félix Patassé sur l'aéroport de Yaoundé N'simalen l'année dernière, à chaque fois qu'il le peut, Omar Bongo Ondimba ne se prive d'ailleurs pas d'embarrasser Paul Biya. Décomplexée par son statut de nouveau riche, la Guinée Equatoriale, autrefois humble et courtoise, s'est totalement décomplexée. Elle l'a montrée, en prenant fait et cause pour le Nigeria, dans le conflit de Bakassi ; elle vient encore de franchir un nouveau pas psychologique, en expulsant méchamment 1.500 camerounais. Rien que parce qu'il ne se rend jamais dans leurs pays (les cas de l'inauguration du pipeline Tchad-Cameroun à Komé au Tchad le 10 octobre dernier ou le dernier sommet sur la Ceeac qui s'est tenu au mois de janvier à Brazzaville sont à ce titre évocateur), Paul Biya ne compte pas que des amis au Tchad, au Congo-Brazzaville ou en Rca. En fait, le constat est froid: Le chef de l'Etat camerounais est actuellement cerné par des voisins qui ne le portent pas du tout en estime.
Source : Quotidien Mutations
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