Biloa Ayissi écope ainsi de la plus lourde sanction pénale, depuis l'ouverture, en février dernier, de la saga des procès contre certains journaux camerounais. Sa condamnation survient à la suite d'une plainte pour diffamation par voie de presse initiée par Grégoire Owona, ministre délégué à la présidence de la République chargé des Relations avec les assemblées.
Il reproche au directeur de publication de Nouvelle Afrique de l'avoir " mis en cause de façon injurieuse et diffamatoire " Dans la publication du 26 janvier 2006 de la Nouvelle Afrique, sous le titre " Homosexualité- Voici les pédés de chez nous ", le ministre estime avoir été "mis en cause de façon injurieuse et diffamatoire".
©Grégoire Owona blanchi par la justice
En particulier, le journal est accusé d'avoir fait figurer son nom sur la " Liste des Homosexuels connus ". Présent devant la barre au cours des débats, Grégoire Owona a défendu son hétérosexualité. Ses avocats ont demandé à Biloa Ayissi d'apporter les preuves des informations publiées dans son journal.
Une demande restée sans suite jusqu'au terme du procès. De l'aveu de l'accusé, ses seules sources avait pour nom : Internet, une copie de l'homélie de l'archevêque de Yaoundé Mgr Tonye Bakot le 25 décembre dernier et des articles publiés avant lui sur le même sujet par les journaux La Météo et L'Anecdote. Bien peu de chose eu égard à la gravité des accusations.
Il a d'ailleurs reconnu avoir simplement relayé des informations déjà publiées. Le tribunal a établi la culpabilité du journal et celle de son directeur par rapport aux charges de diffamation retenues contre lui. La plainte de Jean Pierre Mayo, pour les mêmes faits, a connu un sort identique, avec la condamnation de Biloa Ayissi à six mois de prison.
Pris lui aussi dans l'étau de la justice, le directeur de L'anecdote, Jean Pierre Amougou Belinga avait déjà été condamné. Reconnu coupable de diffamation sur la personne de Grégoire Owona, le Pdg du groupe L'anecdocte s'était ainsi vu infliger une peine de quatre mois de prison le 3 mars dernier par le Tpi de Yaoundé centre administratif.
Le juge a en effet constaté que le journal n'avait présenté aucun élément de preuve pour soutenir l'inscription du nom de Grégoire Owona sur une liste qualifiée de "Top 50 des homosexuels présumés". Pour se défendre, le journal avait en effet produit l'enregistrement, à peine audible, d'une conversation téléphonique avec un correspondant anonyme. Vendredi dernier, Jean Pierre Amougou Belinga était en outre interpellé par trois autres citations directes pour les mêmes faits.
Autre moment fort de l'avalanche de procès contre la presse, celui de Pierre Moukoko Mbonjo contre Dieudonné Mveng, directeur du journal La météo. L'audience est prévue pour ce jour. Le ministre de la Communication estime avoir été mis en cause de façon diffamatoire dans l'édition n° 99 du journal La Météo ayant en titre "Moeurs - Homosexualité au sommet de l'Etat ". En page 7, dans un encadré intitulé "Galaxie du Cameroun", le nom et la fonction du plaignant apparaissent en première position.
Traité d'homosexuel, Pierre Moukoko Mbonjo considère, dans la citation servie à Dieudonné Mveng, les faits rapportés comme étant "complètement mensongers", dans le dessein de porter atteinte à son honneur et à sa considération. Comme un repentir, Dieudonné Mveng a ultérieurement reconnu dans un éditorial publié le 23 mars dernier dans La météo, qu'aucune oeuvre humaine n'est parfaite, et a fait un mea culpa : "nous faisons amende honorable au professeur Pierre Moukoko Mbonjo", a-t-il écrit.
Mea culpa
A côté des listes d'homosexuels présumés qui ont fait les choux gras de la presse ces derniers mois, les kiosques à journaux, presque simultanément, ont été inondés par la publication d'autres listes : celles des milliardaires. Dans sa parution du 09 février 2006, le journal Le front publie "en exclusivité" le "Hit parade des fonctionnaires milliardaires".
Dans un texte d'appui, Peter William Mandio semble prendre la mesure des risques encourus par son journal : "les éléments que nous publions sont d'une gravité exceptionnelle. Mais nous irons jusqu'au bout", écrit-il. Le nom de Polycarpe Abah Abah, ministre de l'Economie et des Finances apparaît en bonne place dans la liste Il est dit dans les colonnes du Front que ce ministre avait suffisamment d'argent pour entretenir une rébellion armée pendant 20 ans.
D'autres journaux se sont engoufrés dans la brèche ouverte en publiant un état de la prétendue fortune de l'ancien directeur des Impôts : Aurore Plus dont le directeur est Michel Michaut Moussala, Le constat de Socrate E. Dipanda et Le démenti de Georges Gilbert Baongla.
Considérant ces parutions comme "une campagne de presse outrageusement diffamatoire et injurieuse à l'endroit de [sa] personne autant que de [sa] famille", ainsi qu'il le confie dans une correspondance adressée le 21 mars dernier au secrétaire général de Reporters sans frontières, Robert Menard, une serie de procédures judiciaires est engagée par ses soins à l'encontre des directeurs de tous ces journaux. Des plaintes ont été déposées contre ces quatre journaux dans les villes de Yaoundé, Douala, Ebolowa, Sangmelima, Kribi, Akonolinga et Bafia.
Dès demain mercredi, le procès de Polycarpe Abah Abah contre Georges Gilbert Baongla est au programme des audiences du tribunal de première instance de Yaoundé centre administratif. Il faut dire qu'aux deux audiences précédentes, le Dp du journal Le démenti a brillé par son absence.
Face à l'avalanche des procès enclenchés, les responsables poursuivis peuvent être classés en trois catégories. Ceux qui ne viennent pas à l'audience, ceux qui font un mea culpa après coup, notamment les multiples rectificatifs apportés et, enfin, ceux qui se font tout petits devant la barre après avoir été péremptoires dans leurs articles. Déjà, on s'interroge sur l'extension d'éventuelles poursuites pénales aux radios où certaines dérives sont observées ces derniers temps.
Source: Quotidien Mutations
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