La création, par décret du président de la République, il y a quelques semaines d’une Commission nationale anti corruption, ajoutée au projet de loi portant déclaration de biens en application de l’article 66 de la constitution, est venue comme parachever une architecture réglementaire de lutte contre la corruption, imposée au Cameroun par les bailleurs de fonds dans l’optique de l’atteinte du point d’achèvement de l’Initiative Ppte.
Dans le même temps, ces structures viennent aussi comme semer la confusion, créer un désordre ou instaurer une inflation au tour de la bonne gouvernance, de la lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite. Entre le contrôle supérieur de l’Etat et la chambre des comptes, émanations du pouvoir post-indépendance et les organes plus récents comme l’Anif ou la Conac, qui fait quoi ? Peut-on y déceler une réelle volonté des pouvoirs publics d’assainir les règles autour de la fortune publique, alors que tous les pouvoirs restent concentrés entre les mains du président de la République et que les magistrats sont toujours aussi frileux ? L’analyse de Mutations, avec les éclairages d’un avocat et d’un expert financier.
La mise sur pied de la Commission nationale anti-corruption (Conac), il y a quelques semaines par un décret du chef de l’Etat, a fini par convaincre quelques sceptiques, de la volonté au moins apparente de Paul Biya de faire avancer les choses dans le sens de la bonne gouvernance. Même si la nouvelle structure n’aura pas, de manière autonome, tous les pouvoirs qui lui permettent d’engager et de poursuivre les actions contre ceux qui sont manifestement convaincus d’enrichissement illicite, il y a quand même comme une avancée par rapport à ce qui existait déjà.
Car les institutions qui existaient jusque-là, c’est-à-dire le comité ad hoc au premier ministère, l’observatoire lié à ce comité et les cellules dans les ministères, n’ont jamais montré à quoi elles servaient, dans un dispositif administratif manifestement inopérant. Pour preuve, ces structures n’ont produit aucun résultat ; on n’a attrapé personne, on n’a transmis aucun dossier à la justice… Ce qui a fait dire qu’il ne s’agissait, en réalité, que des institutions d’apparat.
Dans ce contexte, la première indication sur une structure un peu crédible fut la création de l’Agence nationale d’investigations financières (Anif). Mais là déjà, des voix s’élevaient pour indiquer que cette structure aurait des problèmes d’indépendance, puisqu’elle était rattachée à une autre administration, celle du ministère de l’Economie et des Finances. Car, comme le note Babissakana, expert financier, " le ministère des Finances, parce qu’il gère l’argent, a potentiellement d’importants réseaux qui concourent à la corruption. Donc, si on met une institution rattachée à ce ministère, je ne crois pas qu’elle puisse fonctionner normalement. Donc, ça c’est la limitation de base concernant l’Anif. Même si ses missions sont pertinentes, son fonctionnement sur le terrain peut ne pas être efficace par rapport à son attachement. "
Peu avant, et sur la pression des bailleurs de fonds et partenaires au développement qui en avaient fait l’un des déclencheurs du fameux point d’achèvement de l’initiative Ppte, c’est la chambre des comptes (Depuis dix ans, la constitution prévoit la création d’une Cour des comptes), qui avait été mise sur pied. Son personnel, constitué d’un président et de magistrats formés à la hâte entre Yaoundé et Douala, a même été installé dans la mouvance de la mise sur pied d’autres structures de lutte contre la corruption. Mais, ce qu’on n’a pas suffisamment dit par rapport à quelques éléments historiques, c’est que la Chambre des comptes existe au Cameroun depuis 1961, c'est-à-dire juste après l’indépendance du Cameroun. Et la loi de 1962 qui a fixé le régime financier de l’Etat du Cameroun a, elle, plutôt mis sur pied une Cour fédérale des comptes, qui, en réalité, intégrait la Chambre des comptes de la cour suprême créée en 1961 et qui fonctionnait sur la base de ce maillage-là, avec le président de la commission de la Chambre de la cour suprême comme président de la cour fédérale des comptes.
Mais, ce qui s’est passé, c’est qu’en 1969, le président Ahidjo a promulgué une loi votée à l’Assemblée, qui supprime cette Chambre des comptes et qui transmet la fonction juridictionnelle d’audition des comptes à une inspection, donc une administration simple, dirigée par un ministre. A partir de là, on a mis de côte la justice pour établir l’intégrité annuelle des finances publiques.
En 1974, le président a également signé une loi relative au contrôle des ordonnateurs, des directeurs de crédit et même des dirigeants d’entreprises publiques et parapubliques. Maintenant, cette loi a créé un conseil de discipline budgétaire et comptable, et a toujours confié ce conseil-là à l’inspection générale. " En réalité, le conseil de discipline, c’est toujours une fonction juridictionnelle. Quand on observe dans les autres pays par exemple, ce n’est pas l’administration qui gère cette fonction, mais la justice. Vous voyez donc que l’exécutif a concentré en lui tous les pouvoirs juridictionnels qui permettaient d’assainir en continu les pouvoirs publics. Et c’est à partir de là qu’on a tué la mission de contrôle", s’insurge encore Babissakana.
Et, depuis les années 74 jusqu’à la Constitution de 1996 qui a ressuscité la Chambre des comptes, on n’avait pas de contrôle à proprement parler. Parce que l’inspection générale est interne à l’exécutif. Elle ne peut donc pas dire des choses qui soient contre l’exécutif. Par définition, elle est donc inopérante. Et c’est maintenant qu’il faut bâtir de véritables institutions pour lutter contre les atteintes à la fortune publique, avec la corruption est le maillon principal. Mais peut-on s’en satisfaire et qu’elle peut être la marge de manœuvre de toutes ces structures ? Comme on le verra plus loin, les structures ont certainement créé un espoir, mais dans la pratique, le Cameroun n’est pas encore sorti de l’ornière en matière de bonne gouvernance
Source : Quotidien Mutations
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