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Opinion : Je suis Bams et je n'aime pas le Taro
(26/03/2006)
Point de vue d'un membre de la rédaction sur la question des préjugés à caractère tribal qui contribuent à la montée du tribalisme ordinaire chez les jeunes.
Par Yann Yange
Les particularismes tribaux, sources de richesses et non d'antagonismes (Ngondo 2004)
Les particularismes tribaux, sources de richesses et non d'antagonismes (Ngondo 2004)
Je suis Bams et je n'aime pas le Taro. Ou du moins : pas plus qu’un autre. Pas plus qu’un Haoussa ou qu’un Douala. Pas plus qu’un Chinois ou qu’un Norvégien. Et contrairement à ce qui se dit ça et là, je ne thésaurise pas des milliers de francs sous mon oreiller en dormant. Je ne construis pas de maison dans mon village en pleurnichant à cor et à cri que je n’ai pas un sou. Je n’ai aucune femme que l’on m’a « gardée » au village pour un providentiel mariage. Bien au contraire, je côtoie intimement et de manière inconditionnelle filles Bétis, Bassas, Doualas ou Bamilékés.

Gastronomiquement parlant, pas plus que chez d’autres personnes, mes papilles n’ont de commodités particulières avec les mets de chez moi. Pis. J’éprouve une aversion profonde pour certaines spécialités de ma région. Et bien paradoxalement, mes goûts culinaires dépassent largement le cadre de la province de l’Ouest pour arpenter les saveurs d’autres régions : Mbongo Tchopi, Ndolè, Miondos, Nnam Ngon et j’en passe. Oui. Il faut bien s’en convaincre : je suis bel et bien Bams mais je ne suis ni avare ni fourbe ni conservateur. Et je n’aime ni particulièrement les dos, ni spécialement le Taro.

Et si cette rhétorique, qui veut que préjugés et clichés massivement admis ne fassent office ni de réalité ni de vérité scientifique, est valable pour moi en tant que Bamiléké, elle l’est tout autant pour d’autres individus originaires de n’importe quelle autre tribu du Cameroun. En effet, l’image que nous renvoie le miroir tribal à travers lequel on se cantonne à percevoir nos compatriotes ne reflète malheureusement, en rien, les réalités individuelles ni les aspirations de chaque Camerounais. Encore moins celles des jeunes d’aujourd’hui. Mais malheureusement, le fort climat de paranoïa politique qui prévaut au Cameroun, la descente aux abysses économiques de notre pays, en plus du poids de l’histoire coloniale, ont contribué à exacerber des tensions ethniques et à « clichéiser » encore plus les différents groupes qui composent notre société. Et aujourd’hui plus que jamais, la peur et la méfiance de l’Autre, Celui d’une ethnie différente, sont devenus les principaux mots d’ordre.

Et pire encore, c'est tout le paradoxe, ces clivages tribaux semblent croître proportionnellement avec la distance qui nous sépare du Cameroun. Et on peut ainsi noter, la montée en force d’un tout nouveau genre de tribalisme au sein des jeunes de la diaspora. Pourtant, on aurait cru que le fait de l'éloignement aurait permis d'exalter notre sentiment d'appartenance nationale, mais, malheureusement, si ce n'est le football et les lions indomptables, on assiste plutôt à une sorte de crépuscule des néo tribalistes. Ses premières manifestations sont d’ailleurs d’une grande simplicité : lorsque vous rencontrez un compatriote, il ne se contente plus de s’extasier sur le fait que vous soyez camerounais comme lui, mais, il vous renvoie inévitablement et naturellement, à la question de savoir d’où vous êtes, avant de pouvoir communier avec vous. Et cette montée de ce qu'on pourrait qualifier de tribalisme ordinaire se manifeste aussi dans les cercles d’amis ou les associations Camerounaises qui ressemblent plus à des conglomérats constitués uniquement sur des bases tribales, portant ainsi les stigmates de cet ethnocentrage particulièrement nocif à la construction d’un Cameroun combatif et compétitif dans le concert des nations.

De plus, ce qu’il y’a toujours eu de plus simple, à savoir le copinage post-adolescence filles/garçons, semble ne pas échapper à cette triste logique. Les enfants s’accrochant naïvement, la plupart du temps, sur les expériences de leurs parents pour se forger une idée de tel ou tel autre Camerounais, suivant son appartenance ethnique. Quoi de plus inquiétant dès lors.

Et si l’on veut bien admettre qu’il peut exister certains traits de caractère héréditaires qui se transmettent sur plusieurs générations et quelques spécificités ethniques qui peuvent se dégager au plan culinaire ou traditionnel, permettons néanmoins à chacun de ne pas être confiné dans l’image caricaturale tribale de ceux qui nous ont précédé.

Au Cameroun, la vision que l’on a de l’Autre frise parfois l’idéologie. La vérité n’y est plus concrète et n’a parfois aucun semblant de logique. Elle est déterminée par la loi du plus grand nombre. On se rappelle, pour exemple, de la rumeur sur la mort du président en 2004 ou de l’histoire connue de tous les Camerounais sur la fille de Kalla Raymond inscrite à l’université, tantôt à Yaoundé tantôt en Allemagne. Dans notre pays, une fausse rumeur ou un vieux cliché massivement admis devient très rapidement une vérité acquise. Et C’est ce syndrome de la réalité acquise par la loi de la masse qui a permis au fil du temps de véhiculer tout un ensemble de clichés tribalistes et mis en péril, définitivement, ce qui pouvait nous rester de cohésion nationale.

Les simples particularismes tribaux d’hier, sources à divers égards de richesse pour notre patrimoine culturel national, ont laissé place à des antagonismes accrus, aujourd’hui. L'on a vu ce qui s’est passé au Rwanda. Ce qui s’est passé dans les Balkans. Bernard Werber aimait à dire, comme en guise d'interpellation, que « le discours traduisant une expérience est souvent plus important que l’expérience elle-même ». Et pour le cas d’espèce, il n'aurait pas tort de tirer la sonnette d'alarme tribale dans notre pays. Car on n’a effectivement pas besoin de vivre la « Kigalisation » du Cameroun pour tirer des leçons durables des conflits tribaux et de leurs avatars. D’aucuns rétorqueront, peut-être, qu’on n’en est pas là, ou encore, qu'il y'a beaucoup trop d'ethnies au Cameroun pour parvenir à un résultat similaire à ce qui s'est passé au Rwanda. C’est vrai. Mais, nous, de leur répondre que la barbarie ne suit pas toujours des lois ou des théories immuables, et que le tribalisme, tout comme le racisme, n'est que rarement spontané. Il prend presque toujours racine et grandit, dans une multitude de clichés et de préjugés pour finir par porter définitivement le sceau de l’infériorisation et de la haine.

Il est urgent de sortir de cette léthargie tribale. Le Cameroun est sur une pente tribalisante relativement glissante, sa jeunesse se positionnant en acteur majeur de cette redescente aux confins de l’ignorance et de la bêtise humaine. Il est impensable qu'au XXIème siècle, il est encore des gens pour catégoriser des communautés d'invidus en quelques mots : « le Douala est vantard», « le Bamiléké est fourbe », « le Bassa est méchant », « le Béti est paresseux». Autant de visions réductrices que l'on a l'Un de l'Autre.

Et, définitivement, je ne peux pas dire que je comprends (pour paraphraser un philosophe français du nom d'Alain) comment « un homme raisonnable oserait faire ainsi le portrait moral d'un peuple. Je ne l'essaierais pas pour un individu. Il n'en est pas un, parmi ceux que je connais le mieux, dont je puisse étaler le contenu sur une table, comme on fait pour un sac de bonbons. Tel hommme, courageux un jour, est, le lendemain, poltron comme un lièvre. On peut bien dire qu'un homme ne volera pas, ou ne manquera pas à son serment, ou ne fera jamais la bassesse pour une place ou pour un avancement; on peut le dire et même le croire; mais on n'en donnera jamais de raisons solides; et personne n'oserait présenter comme une science ce qui est tout au plus l'expression d'un sentiment asssez confus. »

S'il est ainsi évident que la nature de l'être humain, en tant qu'individu, est ondoyante, versatile, complexe et diverse, comment peut-on prétendre, ériger en vérité scientifique et en réalité authentique, une prétendue psychologie des collectivités ethniques ?

La question reste posée. Et, s'il est vraisemblablement clair et tout aussi évident que je suis Bams, Bami, Bamiléké, Bosniaque ou tout ce que l'on voudra, j'aimerais néanmoins, et avant tout, pouvoir par delà tout me prévaloir du fait d'être citoyen Camerounais. A part entière. Et avant tout.



(*) Le titre « Je suis Bams et je n'aime pas le taro » a été inspiré de Skoff.















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