Sevré des ressources des entreprises d’Etat et miné par des querelles de plus en plus ouverte, le parti célèbre son 21e anniversaire en rangs divisés.
Joseph Charles Doumba refait surface. Le Secrétaire général du Rassemblement démocratique du peuple camerounais, tombé dans l’oubli après l’humiliation subie au cours de l’élection présidentielle du 11 octobre 2004,vient de donner signe de vie à travers deux textes signés dans l’intervalle d’une semaine, tous relatifs à la célébration demain, sur toute l’étendue du territoire, du 21e anniversaire du parti des flammes. Le tout récent, publié mardi soir et lu sur les ondes de la radio nationale, complète la liste des "personnalités ressources d’accompagnement" chargées, selon le terme consacré au comité central du Rdpc, "de contribuer de façon décisive à la pleine réussite des festivités au niveau des sections".
Le second texte signé le 16 mars, s’intitule "Des racines vers l’avenir". Il s’agit d’une circulaire adressée aux présidents des sections et de sous commission du Rdpc. "A l’heure de cet historique anniversaire du Rdpc, écrit Joseph Charles Doumba, le corps social camerounais est affronté à de tels ébranlements qu’il devient impératif de concevoir et de mettre en œuvre les solutions de sortie qui s’imposent (…) Aussi, poursuit le Secrétaire général du parti au pouvoir, plus que jamais, les enjeux du moment commandent un retour à des sources, un retour aux racines mêmes du renouveau national. D’où l’opportune nécessité de raviver l’inlassable lutte à mener contre nos mauvaises passions, la transformation de notre pays dépendant fortement de nos propres mutations mentales. Et s’il était encore besoin de le répéter, nous rappellerions que les clés de l’avenir du Cameroun sont dans les racines conceptuelles que sont : la rigueur dans la gestion et la moralisation des comportements".
Anciens contre modernes
Les mots rigueur et moralisation, en gras dans la circulaire, situent le contexte dans lequel se déroule la 21è anniversaire du Rdpc. Le 21 février dernier, les ex directeurs généraux de la Sic, Gilles Roger Belinga, du Feicom, Emmanuel Gérard Ondo Ndong, et du Crédit foncier, Joseph Edou, ont été interpellés et internés au Sed, dans le cadre de la campagne dite d’assainissement des mœurs de gestion des finances publiques. Trois jours après, le 24 février, le ministre de l’Eau et des Mines, ancien Dg du Port autonome de Douala, Alphonse Siyam Siwé, a subi le même sort, et se trouve maintenant en cellule dans une compagnie de gendarmerie à Douala.
Trois mots décrivent l’ambiance au sein du Rdpc suite à ces interpellations. Morosité, malaise et tension. Morosité d’abord. Ce 21è anniversaire est marqué par la rareté de la ressource financière. En décrétant la mise au vert des ex-Dg, Paul Biya a renversé un des principaux piliers qui soutenait l’édifice Rdpc, à savoir le financement indirect, via les caisses des entreprises publiques. On devra moins compter sur les autres ministres et dirigeants de sociétés publiques. Certains, transis de peur à l’idée de se retrouver dans les mêmes draps que ceux qui sot maintenant enfermés en détention préventive, jurent de regarder désormais la dépense quand il faudra se cotiser pour arroser le parti et ses hiérarques, offrir tee-shirts, casquettes, pagnes, boissons et poissons à la base.
Malaise est le second trait caractéristique du climat au sein du Rdpc en cette veille de festivités. La campagne dite de lutte anti-corruption a mis à nu la drôle de "querelle des anciens et des modernes" qui divise le Rdpc. Au cœur du différend, la confiscation du parti par les élites, l’inertie de l’appareil dirigeant, le règne de la feymania, la marginalisation des jeunes….
Les marches et motions adressées ces derniers jours au chef de l’Etat sont révélatrices de la profondeur de la crise entre la jeunesse et les élites. La Presby, de la Jachabi et le Club éthique, pour ne citer que trois organisations plus ou mois affiliés au Rdpc, ont jugé et traité leurs aînés d’hypocrites, et les soupçonnent de manœuvrer pour briser l’élan répressif du chef de l’Etat. Le succès de "La vraie marche de soutien", organisée le 18 mars à Yaoundé en réplique à celles des élites, a surpris par la foule des manifestants. La bénédiction que le cabinet civil de la présidence de la République aurait donnée à cette "vraie marche de soutien" vient en rajouter au malaise dans les rangs.
Motions de soutien
Tension enfin. Dans la vallée du Ntem, et principalement à Ambam dans le fief de Emmanuel Gérard Ondo Ndong, des rumeurs de "rébellion" ont circulé jusque dans la capitale. Des militants de base, très remontés (contre qui?) depuis l’interpellation de l’ancien Dg du Feicom, laissent planer une menace de boycott du 21è anniversaire, semant la panique dans les rangs de certaines élites résidant à Yaoundé. Sous la houlette de Emmanuel Edou, le secrétaire d’Etat au Minatd, ils se sont réunis précipitamment lundi à l’école des Travaux publics, pour réfléchir au moyen de d’étouffer la grogne.
Toujours dans le sud du pays, bastion imprenable de Paul Biya, le département de la Mvila a perdu sa sérénité, particulièrement Mengong, l’arrondissement d’origine de Gilles Roger Belinga.
Le climat n’est pas aussi explosif qu’à Ambam, mais des cadres locaux du parti veulent profiter du vent d’assainissement qui souffle pour se défaire du joug de certaines élites dont la tutelle leur est imposée par le Comité central. Une réunion, convoquée par Eugène Blaise Nsom, directeur général du Trésor au Minefi, mardi le 21 mars, à l’effet de préparer l’anniversaire, s’est terminée sur un air de discorde. Contrairement aux instructions données par Ferdinand Oyono, chacune des trois sections de la Mvila a décidé d’organiser sa célébration à part. La tradition ainsi rompue était à l’organisation d’une fête unique et tournante dans l’un des trois chef-lieu d’arrondissement (Mengong, Ebolowa et Ngoulemakong), généralement sous le patronage de Ferdinand Léopold Oyono et de Jacques Fame Ndongo, deux membres du gouvernement réputés par ailleurs proches, à des degrés différents, du chef de l’Etat.
Chiens de faïence
"Confisquées par des personnages n’ayant généralement aucune légitimité, les fêtes du parti, aux yeux des militants de la base, apparaissent désormais comme des shows au cours desquels, après le spectacle, les élites se livrent à des agapes desquelles sont exclus, et la base, et les responsables locaux", peut-on lire dans une correspondance datée du 21 mars, signé de Raymond Mbita Mvaebeme, le président de la section de Mvila-Centre, et adressée au Secrétaire général du comité central.
La situation n’est guère meilleure dans les autres localités. Dans le Haut-Nkam par exemple (province de l’Ouest), des fans de Siyam Siwe sont au bord de la fronde contre on ne sait qui. Dès l’annonce de l’interpellation de l’ancien ministre de l’Eau et de l’Energie, une rumeur de boycott de la Journée internationale de la femme a parcouru le département. La menace était sérieuse, au point de provoquer une descente du gouverneur de l’Ouest à Bafang.
La colère des partisans de Siyam Siwe n’est pas prête de tomber. Au contraire: une motion de soutien à l’action du chef de l’Etat, rédigée par un groupe d’élites de Yaoundé et publiée dans Cameroon-Tribune a même plutôt ravivé leur tension. Et rallumé une sourde querelle qui divisait déjà le rang des militants entre partisans d’un éclatement de la section en trois et les partisans du statu quo, c’est-à-dire une section constituée de 120 comités de base. Demain, sur la place de fête de Bafang, les deux camps se regarderont en chien de faïence.
Sacrée ambiance, pour une fête où, de toutes façons, on voit rarement le président du parti pointer le bout de son nez, en ville comme au village.
Source : Mutations
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