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Chronique : Allah n'est pas obligé, de Ahmadou Kourouma
(11/03/2006)
Reconnu aujourd’hui, notamment grâce à ses écrits, son engagement et son militantisme comme l’un des écrivains africains les plus importants, Ahmadou Kourouma a publié Allah n'est pas obligé, en 2000.
Par Albertine M.
Ahmadou Kourouma
Ahmadou Kourouma
Reconnu aujourd’hui, notamment grâce à ses écrits, son engagement et son militantisme, comme l’un des écrivains les plus importants du continent noir, Ahmadou Kourouma a publié son roman, Allah n’est pas obligé, en 2000. Titulaire de trois prix pour le moins non négligeables, le Prix Renaudot 2000 (un des prix les plus importants en France), le Prix Goncourt des lycéens 2000 et le Prix Amerigo Vespucci 2000, ce roman, véritable allégorie guerrière et historique, dépeint, à travers le regard « innocent » et le triste vécu d’un jeune enfant, les réalités socio-économiques de l’Afrique contemporaine. Une Afrique profondément meurtrie, imméritée et sans pitié, sans cesse ravagée par des guerres fratricides. Dans cette véritable « jungle humaine » où tous les moyens sont bons pour parvenir à ses fins, où « l’homme est un loup pour l’homme », de nombreux enfants, à l’instar du jeune Birahima, sont amenés à vivre ou plutôt à survivre.

C’est dans un style d’écriture particulier et assez personnel, où se mélangent à la langue française de nombreux africanismes, que Birahima nous relate sa triste enfance aux côtés de sa mère et de sa grand-mère, puis les différentes étapes, toutes semées d’obstacles et d’embûches, de sa vie d’enfant-soldat entre le Libéria et la Sierra Léone en passant par la Côte-d’Ivoire. Muni du dictionnaire Larousse, du petit Robert, de l’Inventaire des particularités lexicales du français Afrique noire et du Harrap’s, le jeune garçon retrace avec acuité, lucidité, perspicacité mais aussi avec dureté et sans sentiment aucun, son parcours et celui de ses compagnons, eux aussi « small-soldiers », enrôlés de gré ou de force dans des factions tribalo-politiques.



Né en Guinée, Birahima est issu de la tribu des Malinkés. Enfant de la rue, il n’est âgé que d’une dizaine d’années lorsqu’il devient orphelin. Ayant perdu son père dès le bas âge, il a été élevé en Côte d’Ivoire par sa grand-mère et une mère infirme qui succomba des suites d’un mauvais sort, d’un ulcère à la jambe droite. Dès lors, sa vie bascule. Accompagné et encouragé par Yacouba le féticheur roublard, le marabout et « multiplicateur de billets », Birahima arpente les routes du Libéria puis celles des principales villes d’Afrique de l’Ouest à la recherche de sa tante Mahan, résidant au Libéria et qui, à la mort de sa mère, est devenue sa tutrice, sa « seconde maman ». Sans ressource aucune, le jeune garçon n’aura pas d’autre solution pour gagner sa vie que de devenir, comme de nombreux orphelins de son âge, un enfant-soldat au service des nombreuses factions régnant sur le pays. A cette occasion, Birahima y fera la douloureuse expérience de la vie dure et impardonnable de small-solider, une vie faite de souffrances et de violence, dans laquelle le mot « sentiment » n’existe vraisemblablement pas. Cette situation le contraint dès lors, faute de choix, à participer aux pires atrocités et injustices et à travailler très dur en échange d’un « maigre » salaire, d’un piètre logement et d’une ration alimentaire quelque peu dérisoire et insignifiante. En effet, la vie des enfants-soldats est loin d’être aisée. Drogués au hasch et à l’alcool, ces enfants demeurent sous joug d’une autorité suprême à laquelle ils doivent respect et obéissance.

De ce fait, devenu une sorte de mercenaire dans les guerres tribales qui déchirent le pays, Birahima vagabonde et erre d’un camp politique à l’autre dans l’espoir de retrouver sa tante, avec à sa suite ses amis, Yacouba le féticheur et Sékou. Ce dernier leur sera d’une aide très précieuse. En effet, rencontré à plusieurs reprises au fil de l’aventure, aux différentes étapes de leur voyage, Sékou leur donnera des informations sur l’endroit où se trouve la tante. Ainsi, c’est d’indice en indice, de ville en ville, de camp en camp et de contact en contact avec les grands chefs de guerre que sont le Colonel Papa le bon, le Lieutenant Charles Taylor, Doe, le Prince Johnson et El Hadji Koroma, tous dirigeants des factions politiques au Libéria ou en Sierra Léone, que Birahima découvrira les tristes réalités du pays qu’il a tant désiré découvrir. Conscient, qu’il n’est qu’un pion au service des intérêts d’une toute petite élite dont la devise est de « diviser pour mieux régner », ce small-soldier « sans peur et sans reproche » a appris l’art du métier. A l’aide de sa kalachnikov, arme essentielle pour tout enfant-soldat pendant la guerre tribale, le jeune garçon deviendra très vite polyvalent. De gardien de postes de combat dans les camps, à protecteur des chefs en passant par coupeur de route, Birahima a tué beaucoup de villageois et pillé leurs maisons. Ne se séparant jamais de leurs kalaches, ces enfants, devenus des criminels sans foi ni loi, ne savent que tirer. Les drogues qui leur sont administrées inhilent leurs sens et leurs sentiments d’hommes, de créatures de Dieu. De ce fait, dépourvus de compassion, de tendresse, de sensibilité et d’humanité, ces enfants-soldats, à l’image du jeune Birahima, n’éprouvent aucun remord à abandonner leurs camarades blessés ou morts sur le champ de bataille. Les plus chanceux, c'est-à-dire les plus connus et les plus appréciés, ont droit à une oraison funèbre ; les autres non. Dans ce monde d’atrocités et d’injustices, les faibles n’ont pas leur place, la solidarité et la fraternité non plus.

Plus qu’une simple histoire, ce roman est un véritable réquisitoire à l’égard de ceux qui exploitent la misère matérielle et morale de jeunes esprits crédules qui, conscients de l’état de détresse dans lequel ils se trouvent, n’ont pas d’autre choix que de devenir les « sous-fifres » des « puissants » de ce monde. Sans sentiment aucun et avec la neutralité la plus totale, le jeune Birahima se pose comme le porte-parole d’une jeunesse africaine déshéritée et exploitée. Cette histoire relate et décrit l’insoutenable souffrance que vivent au quotidien de nombreuses populations africaines subissant depuis quelques années déjà, les vices et les effets pervers engendrés par les guerres tribales.

Par ailleurs, Ahmadou Kourouma tente de dénoncer de manière plus ou moins subtile, une pratique bien souvent oubliée voire occultée volontairement ou non, qu’est l’exploitation des enfants. C’est avec souvent beaucoup de tact et d’euphémismes, qu’il essaie à travers la voix d’un être innocent, de rendre justice et de jeter l’opprobre sur nos dirigeants qui, corrompus jusqu’aux os, demeurent de simples pions au service des intérêts propres et égoïstes des puissances occidentales. Face une telle situation, il nous incombe à tous la lourde tâche d’aider nos pays à s’affranchir du joug colonial, frein à notre développement, afin d’œuvrer pour la création non seulement d’Etats forts et démocratiques mais également d’un monde où chacun aura sa place et une chance de se réaliser.





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