Quelques médias officiels tentent d’indiquer, depuis quelques jours, que l’actuelle campagne engagée à nouveau par le chef de l’Etat contre des présumés détourneurs de fonds publics n’a rien à voir avec quelques pressions venues de l’extérieur, qui auraient quelques préalables à l’atteinte du point d’achèvement de l’initiative Ppte.
Evidemment, tout le monde trouvera la coïncidence d’autant plus étrange que l’ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique à Yaoundé, celui là même qui avait enclenché le processus au cours d’une déclaration publique fort médiatisée le mois dernier, est allé, au moment où ces médias d’Etat essayaient de nier l’évidence, remercier le chef de l’Etat… d’avoir respecté sa promesse, lui assurant de son soutien pour les actions à venir et… vivement attendues.
Il est évidemment plus sain pour notre pays de savoir que certaines mesures peuvent être prises pour assurer, au moins à l’avenir, la peur du gendarme et de la loi, ce qui est un simple retour à la sagesse, gage d’un développement harmonieux et équilibré. La traduction devant les tribunaux de quelques gestionnaires de deniers publics suspectés de divers détournements de deniers publics, déjà sanctionnés au plan administratif par la perte de leur responsabilité, va dans ce sens. Et la population, écrasée par la pauvreté et la " mal-vie ", est avide de sang pour se consoler de ses malheurs. Ce qui peut lui permettre, dans cette ère d’incertitude juridique, de désigner désormais ses coupables. Car si, du jour au lendemain, des anciens pontes du régime peuvent passer d’un petit déjeuner douillet avec leur progéniture à une nuit au fond d’un cachot, sans literie pour dresser une couche sommaire, qui sera à l’abri dans cette faune de personnages plus ou moins gradés du système de Paul Biya?
Reste qu’il y a quand même comme un malaise, comme une faute de goût, à observer que, encore une fois, l’initiative de ce qui ressemble à une tempête sociale, a encore été prise par l’omnipotent et l’omniscient président de la République, homme à tout décider, à rythmer le tempo, dans un pays présenté (sans doute à tort) sous sa tradition républicaine, avec entre autres éléments constitutifs essentiels si chers à Montesquieu, la séparation des pouvoirs entre l’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire, tous consacrés par la loi fondamentale, la Constitution.
C’est le président de la République qui, un 11 novembre 2005, annonçait à des confrères de la Crtv, et pour que la nation entière puisse l’entendre, qu’il avait “donné des instructions au Premier ministre, au ministre de l’Economie et des Finances et à celui de la Fonction publique, de monter d’un cran dans la lutte contre la corruption”. Il réitéra le même message au cours de son adresse de fin d’année à la nation, martelant même que “il faut que cela cesse ". Ce n’est qu’à sa suite, et dans sa capacité de représentant des Pouvoirs publics que le vice Premier ministre, chargé de la Justice, confirma l’ouverture imminente de dossiers de quelques hauts fonctionnaires de l’Etat, déjà préparés par diverses missions du contrôle supérieur de l’Etat. L’impulsion est venue de l’Exécutif qui en assure encore, on peut le constater, tout le contrôle.
Les félicitations des Etats-Unis, dans ces conditions, peuvent apparaître comme une hypocrisie, dans la mesure où cet état de chose ne traduit pas, à vrai dire, un fonctionnement normal d’une démocratie, même encore en construction. Cette manière de faire n’est pas le meilleur reflet d’un saut qualitatif attendu de la justice camerounaise, qui vient de se doter pourtant d’une chambre des Comptes, et qui se complaît encore, probablement pour des raisons de carrière personnelle et non de défense du pouvoir d’un corps, à un rôle d’instrumentalisation par le politique.
Au-delà d’une affaire d’arrestation de quelques Dg tombés en disgrâce auprès du prince (sans doute pour avoir exagéré dans ce qui semble être un sport national), et de quelques collaborateurs qui devront répondre de ce qui leur est reproché dans les tout prochains jours, il s’agit en réalité, pour demain, d’établir les bases d’une relation plus équilibrée entre l’Exécutif et le Judiciaire, dans le pur respect de la séparation des pouvoirs.
Car on en vient à se demander si les juges, au Cameroun, souffrent d’une infirmité essentielle, ou portent une béquille congénitale qui leur impose de ne rendre la justice qu’à la demande, et donc au profit, de l’Exécutif. Ce qui permet à ce dernier de garder le timing sur l’opportunité du déclenchement de diverses affaires, en fonction de ses intérêts (politiques) du moment.
Et si le public attend aussi avidement la suite, c’est parce qu’il s’est rendu compte, hélas, de la réalité du rapport de force, et a fini par désespérer que la justice se réveille un jour. Mais pour le commun des mortels, et c’est une autre leçon qu’on peut lire de l’actualité en cours, la rapidité avec laquelle ces anciens dignitaires sont partis des honneurs et du confort à l’humiliation et à la promiscuité, indique bien qu’au Cameroun, il n’y aura plus de caste des intouchables. Dans le système Biya chacun, peut-être en dehors de son promoteur lui-même, pour l’instant, peut se retrouver à Kondengui.
Source: Quotidien Mutations
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