Le 16/12/05, je me trouvais en compagnie d’un ami à bord de son véhicule quand nous avons été interpellés par un groupe d’individus au nombre de cinq à six, lesquels nous ont aussitôt encerclés quand nous nous sommes arrêtés. Le regard hagard et l’air patibulaire, ils nous ont demandé le dossier du véhicule. Tout apeurés, nous leur remettons le dossier. Après examen, ils nous font remarquer que le certificat de visite technique est périmé. Ce certificat devait en effet être renouvelé depuis quelques jours seulement. Nous leur disons que depuis que les bureaux de transport ont été dessaisis de cette activité au profit des entreprises privées, nous ignorons où celles-ci sont installées et que nous étions disposés à le faire de suite s’ils pouvaient nous indiquer où l’on pouvait le faire. Ils nous déclinent plutôt une offre de marchandage. J’ai eu la malencontreuse idée de m’y opposer en insistant plutôt sur notre volonté de passer le véhicule à la visite technique. C’est ainsi que nous avons accepté de les suivre à la fourrière municipale du marché Nkololoun où nous les avons volontairement et docilement transportés, fort de ce qu’ils nous avaient dit que la visite technique se faisait également là-bas. Sur place nous apprenons que notre véhicule se trouvait en fourrière. Nous nous sommes retrouvés sous une avalanche de motifs concoctés séance tenante qui portaient la mise à plus de 100.000 Fcfa à acquitter sur le champ si nous voulions repartir avec notre véhicule. Nous avons dû nous résoudre à négocier pour ne payer qu’un montant de 30.000 Fcfa contre lequel on nous a remis un reçu de 15.000 Fcfa. Nous sommes repartis non sans les avoir gratifiés d’un merci pour leur amabilité.
Le phénomène des contrôles routiers a pris une allure exacerbée depuis un certain temps avec l’arrivée sur la scène d’autres acteurs. En effet, des individus, évoluant par petits groupes de cinq à six, habillés d’une manière quelconque, errent nonchalamment dans les rues. Vous les prenez pour de simples vagabonds lorsqu’ils vous font subitement signe de vous arrêter. Leur tenue plutôt banale n’est pas pour rassurer. L’objet du contrôle est imprécis, en tout cas, manifestement pas clair dans leur esprit. Sur un ton assuré du tout, ils vous demandent d’abord le certificat de visite technique de votre véhicule. C’est dans l’air du temps. Si vous faites patte blanche sur ce point, ils enchaînent sur d’autres pièces administratives, puis après sur l’état du véhicule. Lorsqu’ils trouvent une faille, ils vous menacent de fourrière. Les choses finissent toujours par s’arranger sans effort particulier moyennant quelque marchandage. Mais le plus surprenant est que ces individus vous brandissent un sauf-conduit de leur mission signé d’une autorité administrative.
Dans notre cas, le document était signé d’un sous-préfet. Ils ne vous autorisent pas à en prendre une thermocopie pour vous en assurer de l’authenticité.
Simulacre de contrôle routier…
Sur les routes nationales, ce sont des individus d’un autre type qui avaient fait leur apparition bien avant. On les dit de la “Sécurité routière”, une création du ministère des Transport, semble-t-il. Le buste ceint dans un tablier vert réfléchissant qui leur donne plutôt l’air de garçon de ménage, ils opèrent avec des lattes munies de pointes pour dissuader ceux qui seraient tentés de ne pas obtempérer à leur signal. La raison de leur présence sur la route n’est pas claire. Au départ, ils se limitaient à vous prodiguer courtoisement quelques conseils de bonne conduite, tels que le port de la ceinture de sécurité et la modération de la vitesse. Aujourd’hui, ils ont étendu leur intervention sur l’ensemble de la police routière. Ce qui rend suspects ces contrôles c’est l’attitude sournoise, sans raison apparente, des éléments de la gendarmerie à leurs côtés. Ceux-ci prennent soin de se mettre en retrait tout en suivant avec une attention mal dissimulée les tractations que mènent ces agents de la sécurité routière. Toute opération de contrôle s’achève toujours sur un marchandage. Nous étions résignés aux frasques de la police qui font désormais partie du décor de notre quotidien depuis belle lurette. Faut-il en rajouter ?
La vénalité de ces simulacres de contrôles routiers est pourtant avérée et d’ailleurs connue de tout le monde. Ces contrôles routiers masquent une activité criminelle aux mains des commanditaires qui contrôleraient les fruits. Déjà on observe que les différents commissariats, les groupements mobiles d’intervention qui sont pourtant des unités spéciales et les brigades de gendarmerie de la ville de Douala se partagent le marché des contrôles routiers par zones de territoire. Ainsi, un automobiliste peut être contrôlé sur un tronçon de cinq cents mètres deux fois, voire trois fois, par des groupes différents. Qui a cure de savoir ce que pourraient rapporter au trésor public les contraventions de police routière qui sont systématiquement détournées à longueur des journées et des nuits ? Présentez-vous au bureau des contraventions dans un poste de police pour vous acquitter de l’amende consécutive à une contravention routière. Vous serez édifiés. La multiplicité des acteurs qui se livrent à cette entreprise criminelle avec une frénésie à peine dissimulée permet de soupçonner l’existence de clans qui se disputent ce secteur d’activité de l’Etat.
Effondrement de l’Etat et dérèglement social…
La vertu faisant défaut, la course au lucre a pris définitivement le dessus sur l’Etat. D’aucuns qualifient ce phénomène des contrôles routiers de petite corruption qui serait sans conséquence. Il ne resterait plus qu’à la dépénaliser. Il n’en demeure pas moins que le spectacle de ces contrôles dont nos rues sont le théâtre donne à vivre une des manifestations les plus emphatiques de l’effondrement de l’Etat et du dérèglement social t moral qui en résultent. Sous le couvert de l’Etat et en son nom, des activités criminelles se développent et prospèrent en toute impunité.
La signalisation routière a disparu dans la grande métropole de Douala depuis plusieurs années déjà et personne ne s’en émeut. L’on a trouvé plutôt opportun de prioriser la création d’une entreprise chargée de veiller au respect des aires de stationnement et d’arrêt dans la ville, alors qu’aucun panneau indiquant ces aires ou les interdisant n’existe. Allez-y comprendre quelque chose si vous pouvez. Cette entreprise s’acquitte de cette mission avec une désinvolture défiant toutes règles. Quel autre commanditaire serait tapi derrière ?
Les automobilistes ont été naguère harcelés pour les nouvelles plaques d’immatriculation. L’on avait alors constaté qu’on faisait patte blanche simplement en présentant un reçu d’acquittement des frais prévus à cet effet, la fixation desdites plaques laissant complètement indifférent. Lorsqu’on sait que cette opération est concédée à des entreprises privées, l’on peut se poser la même question. La visite technique est actuellement dans l’air du temps, avec un regain d’intérêt dans les contrôles routiers qui ne manque pas de susciter des interrogations. Ce maquis des contrôles donne du paysage routier au Cameroun les allures d’une véritable caverne d’Ali Baba. Un écrivain français voyait dans la rue une école de la vie qu’il suffisait de contempler pour apprendre. En fait, il voulait dire que la rue est un excellent miroir de la société.
Relève d’un autre registre le cas de ce groupement d’initiative commune dont les représentants sillonnent les rues de Douala ces derniers temps, pour recouvrer, pour le compte de la Commune urbaine d’arrondissement de Douala IIIe, les taxes dites de divertissement. Ils opèrent en compagnie des cabinets d’huissiers de justice sous le couvet d’une décision de justice qui autorise ledit groupement “ à faire notifier des sommations ou pratiquer des saisies conservatoires des biens meubles corporels par voie d’huissier de justice, à toutes heures de jour comme de nuit, même les dimanches et les jours fériés, au préjudice des contribuables récalcitrants sur toute l’étendue de l’arrondissement de Douala IIIe … pour sûreté et avoir paiement des taxes sur le divertissement dont le taux varie en fonction du type d’activités… ”
Cette réflexion faite, il y a plus de deux siècles, par Montesquieu, un écrivain français, sur le rôle de la vertu dans le fonctionnement des institutions républicaines, pourrait servir de paradigme à notre propos. Définissant la vertu comme étant l’attachement au bien général, ce que nous pourrions qualifier aujourd’hui de vertu civique, Montesquieu affirmait alors qu’elle était le ressort de l’Etat républicain. “ Lorsque cette vertu cesse, disait-il, le trésor public devient le patrimoine des particuliers. La République est une dépouille, et sa force n’est plus que le pouvoir de quelques citoyens et la licence de tous. ” Cette réflexion faire au XVIIIe siècle, est, au regard de ce qui se passe sous nos yeux aujourd’hui, d’une pertinence éblouissante.
* Les intertitres sont de la rédaction
Source: Le Messager
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