“Je vais chez le Dr Tagne à 150 Fcfa ”. Au lieu dit Carrefour Madélon à Bafoussam, ce bout de phrase est constamment ressassé par les moto-taximen en attente à cet endroit. C’est la preuve que cette destination est particulièrement prisée, surtout par des femmes enceintes désireuses de suivre des consultations prénatales. Ainsi, au cas où ces dernières ne sont pas remorquées derrière une moto, elles traînent habituellement leur ventre sur les 300 mètres qui séparent ledit carrefour de la résidence du Dr Jean Tagne, gynécologue en service à l’hôpital provincial de l’Ouest à Bafoussam.
Situé à un jet de pierre du centre technique de la Crtv-Ouest au quartier Banengo-Antenne télé à Bafoussam, le domicile de ce médecin affiche une physionomie particulière. Cette concession a la singularité d’abriter en son sein des bâtiments qui rappellent bien le décor et l’ambiance des cliniques et autres centres hospitaliers. La présence des personnes en blouses blanches toujours affairées ou prêtes à le faire, la numérotation inscrite sur des salles, tout comme la mine généralement grave des personnes présentes dans ces locaux sont autant d’indices qui illustrent cette situation. Tout comme les sachets de Glucosé, des tubes, pistons et piqûres pour injection et autres accessoires de pansements largués dans les champs qui entourent cette concession. Par contre de l’extérieur, aucune plaque n’indique aux visiteurs l’existence de cette “clinique”. Une façon de dire qu’ici, tout se passe à la sauvette. Un camouflage difficile à entretenir, car dans une métropole de moins de 500.000 habitants comme Bafoussam, le téléphone-arabe – la communication de bouche à oreille – fonctionne à merveille. D’où la forte réputation des prouesses que le Dr Jean Tagne réalise dans sa clinique clandestine en matière d’accouchement par césarienne et de traitement des grossesses extra-utérines.
Une réputation suffisamment forte qui amène de nombreux patients à délaisser l’hôpital provincial pour foncer directement au domicile de Dr Jean Tagne exerçant en clientèle privée. Même s’il faut y aller pour débourser au moins une somme 5000 Fcfa de frais de consultation au lieu des 3000 milles francs exigés (illégalement) dans les hôpitaux publics.
Bien qu’étant le plus célèbre, ce gynécologue est loin d’être le seul médecin impliqué dans cette pratique. Le Dr Kana, chirurgien dentiste en service au dispensaire urbain de Famla à Bafoussam, est un autre champion des consultations en clientèle privée. En témoigne le nombre, non moins important, des malades de dents qu’il consulte et soigne dans son cabinet dentaire situé en face du collège privé de la Réunification à Bafoussam. Cette clientèle est considérable non seulement grâce à sa disponibilité en plus de sa proximité sociologique avec les habitants des quartiers Tyo et Gouaché, mais du fait qu’il y a quelques années, le Dr Nguétchop, aujourd’hui hors du triangle national, tenait un cabinet dentaire privé presque au même endroit. Le phénomène est quasi officiel au point où le Dr Hubert Silé, chef du district de santé de la Mifi à Bafoussam, et son épouse, Henriette Silé Méfo, pédiatre à l’hôpital provincial de l’Ouest à Bafoussam, ne semblent ne pas être en marge de cette pratique peu orthodoxe. D’ailleurs, les vestiges des contrevents qui barrent la véranda de son ancienne résidence à la première rue Djeleng IV à Bafoussam, juste à quelques mètres du lieu dit carrefour Feu rouge, renseignent bien qu’à cet endroit s’asseyaient régulièrement des patients en attente de leur tour de consultation. A-t-il transporté cette pratique dans son nouveau domicile sis à une centaine de mètres de l’hôpital chinois à Kouogouo ?
On n’en doute pas, étant donné qu’au fil des temps il se développe entre les malades et leur consultant une complicité, voire une affinité pas facile à briser. D’où l’extension et la prolifération des cliniques clandestines au domicile de presque tous les médecins en service dans les structures sanitaires publiques de la ville.
“ Je ne consulte pas à domicile. Aller dans les résidences des médecins pour voir ceux qui se livrent à cette pratique ”, a répondu un médecin de l’hôpital provincial de Bafoussam. Une rengaine que pourrait bien reprendre ses confrères, même ceux dont la réputation s’est forgée et consolidée grâce à leurs consultations et soins à domicile.
Source >font color=blue>Le Messager
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