Note de Bonaberi.com : Ce point de vue n'est pas réellement un article. C'est une réponse à un particulier, écrite dans le contexte d'une discussion sur un forum, relative à l'importance pour l'Afrique d'aller à la conquête de l'espace alors qu'au même moment, le continent est décimé par la famine et les maladies. Ce qui en explique un peu la structure, inhabituelle, pour ce genre d'analyse.
Il y a une ceinture de fibre optique qui entoure l'Afrique depuis peu (SAT3), et qui nous permet, sur le continent, de communiquer sans passer par le satellite (telephone, internet,..)
Malheureusement, seuls les pays qui ont une côte peuvent se connecter directement. Pour les pays "intérieurs", il faut négocier un droit de passage avec un pays côtier, et de plus, l'installation de cette infrastructure coûte très cher. Le Tchad fait partie de ces pays intérieurs. Alors, ils ont voulu profiter du creusement du pipeline de pétrole qui traverse le Cameroun pour faire passer dans la même tranchée la fameuse connection de fibre optique.
Idée géniale, grande économie d'argent, et même nous, Camerounais, en profiterons.
A titre personnel, j'ai travaillé pendant 1 an comme ingénieur télécom au ministère des télécoms au Cameroun. Donc, au nom du gouvernement, nous devions superviser les travaux, contrôler le matériel, etc...
Mais, bizarrement, personne dans l'équipe (ni dans tout le Cameroun) n'était capable de savoir si cette fibre etait tropicalisée, ou si le vendeur ne nous refourguait pas n'importe quel matériel. C'était de la tres haute technologie, ce qu'on enseigne évidemment pas dans les écoles d'ingénieurs en Afrique (tous les 5 ans, on change de génération en télécoms,...). Même pour un européen, il lui faudrait un stage, une formation, ou quelque chose comme ça pour être opérationnel dans ce domaine précis. Par exemple, les émetteurs d'un réseau de fibre optique sont des lasers a semiconducteurs émettant dans les infrarouges. Ils fonctionnent avec une température stabilisée avec une précision de 1/100e de degré (sinon, le laser émet a une autre longueur d'onde et tout est foutu). Ces trucs, c'est l'ultime pointe de la technologie, on ne les fabrique pas en Afrique. Alors, une petite question: Ce materiel est-il fait pour supporter les températures tchadiennes, ou celles du nord-Cameroun? Personne dans l'équipe n'etait capable de le dire. Aussi bête que cela.
Si le matériel est pourri, inadapté ou de mauvaise qualité, dans 2 ans, on devra le changer. On fera venir un Américain (voyage+frais de mission+main d'oeuvre) avec nos impôts, avec l'argent du contribuable et cela, indéfiniment.
Mais là n'est pas le plus marrant de l'histoire. Car, pendant ce temps, ironie du sort, je commençais une thèse sur ces lasers a semiconducteurs a l'Universite de Yaoundé I. Thème nouveau, tout était a défricher, il fallait prendre contact avec des chercheurs étrangers pour se mettre à niveau, etc, très difficile. Et voila qu'une connaissance me dit un jour :
« Qu'est-ce que tu fous avec des lasers, mec? On meurt de faim ici et tu te consacres a des trucs de blancs!!!!!!! ».
Que lui répondre? Rien. J'ai juste souri et j'ai changé de sujet. Même si j'avais pris la peine de lui expliquer, il n'aurait pas compris.
Je donnerai juste cette citation de celui qui est pour moi le plus grand scientifique africain du 20ème siècle (je la cite de mémoire, elle est donc approximative, mais on peut la trouver dans la préface d'un des livres de Théophile Obenga) :
« Les jeunes scientifiques africains doivent participer a TOUS les debats les plus eleves de notre temps, ou se forgent l'avenir culturel et economique de leurs pays. AUCUN raisonnement, AUCUN gauchisme pseudo-revolutionnaire, RIEN ne doit les dispenser de cet effort.
(...) Tout le reste n'est que paresse, faiblesse, incapacite. »
Cet homme, c'est Cheikh Anta Diop, mon modèle scientifique. Cet homme a fait des études de physique nucléaire en 1955. Quelqu'un aurait pu lui dire :
« Idiot! Ton pays n'est même pas indépendant et tu vas chercher a comprendre ce qui se passe dans les noyaux des atomes? Cherche nous d'abord à manger ! ».
Des gens le lui ont dit. Mais, grâce a ses connaissances, il a créé le 1er laboratoire de physique nucléaire d'Afrique Noire, et surtout, il a utilisé ses connaissances de physique nucléaire pour développer une méthode ORIGINALE de dosage de la mélanine (grace a la radioactivité), et pour demontrer ce qu'on voulait nous cacher: les pharaons etaient Noirs. Voila ce que je veux dire : L'Afrique n'est pas en arrière parce qu'on a faim. Elle est en arrière parce que nous avons perdu le combat technologique. Parce que nous ne nous préoccupons que de nourriture. Elle est en arrière parce que nous devons PAYER la technologie produite ailleurs. La famine et la misère en Afrique ne sont pas un problème en soi, ce sont les CONSEQUENCES du vrai problème que représente notre faiblesse technologique. Nous crevons aujourd'hui de sida et de paludisme parce qu'il y a 20 ans, on disait aux virologues et biologistes africains :
« Qu'allez vous foutre avec les virus et les bacteries? Developpez de nouveaux plants de manioc et d'ignames pour qu'on mange à notre faim!!!! ».
Aujourd'hui, nous devons mendier les molécules d'antiretroviraux. On nous les refuse. Et on crève comme des chiens.
Isaac Newton, génie des temps modernes
L' espace, est paradoxalement ce qui nous permet de mieux comprendre ce qui se passe sur la Terre. Imhotep, Newton et Einstein (les 3 plus grands génies de tous les temps) avaient le regard tourné vers les étoiles, et c'est pour cela qu'ils ont surpassé leurs contemporains par la puissance de leur pensée.
Les américains ne sont pas cons, ils ne depensent pas des milliards de dollars par an pour le prestige. Qu'est ce qu'ils vont faire la-bas? Et bien c'est simple. Ils échappent a la gravité pour étudier de nouveaux matériaux, de nouveaux composants électroniques tout à fait révolutionnaires qui vont pédaler à des vitesses de modulation de l'ordre de plusieurs Terabits par seconde; Ils vont dans l'espace pour mieux comprendre le fonctionnement du corps humain et pour fabriquer les médicaments et molécules appropriés. Ils vont dans l'espace pour étudier des mémoires d'ordinateurs qui fonctionneront avec des jonctions supraconductrices, et qui permettront une densité de stockage au delà de ce que tu peux imaginer. Ils étudient les mutations génétiques qui décideront de la vie et de la mort des espèces sur cette planète. Et certainement aussi, ils étudient des choses beaucoup moins avouables. Oui, ils vont là-bas créer la technologie qu'on vendra à prix d'or à tes fils et aux miens dans 30 ans. Et malheureusement, il n'y aura pas d'africains a des milliers de kilomètres au dessus de nos têtes pour être ACTEUR, et pour garantir notre part de ce gâteau futur. Des gens comme le Docteur Simo auront au moins essayé.
Nous sommes en retard. C'est comme une course de Formule 1, tout va très vite. Si le dernier de la course fait moins ou autant que le premier, il est sûr de rester dernier éternellement. Pour rattraper son retard, il doit faire PLUS. Nous devons faire PLUS que les autres, alors que nous sommes plus faibles. Cela est à la fois un paradoxe et un défi que nous devons relever.
Le problème d'infrastructures, d'agriculture et d'industrie ne sont que des problèmes financiers. Nous aurions des dirigeants honnêtes (sans etre des génies, juste des gens honnêtes), on y penserait même pas. Mais, construire par exemple une voiture tropicalisée 100% africaine qui soit 2 fois plus solide qu'une caisse européenne (route non-bitumées en Afrique), dont la peinture est 2 fois plus résistante (poussière+chaleur+humidité), et qui malgré tout ça coûte 2 fois moins cher (populations pauvres), demande que nous ayons des ingénieurs, des chimistes et des mathématiciens et des physiciens 8 fois plus compétents que leurs homologues européens, et non des zouaves 8 fois moins compétents qui attendent la fin du mois pour s'aligner derrière les guichets de banque, et toucher ce qui leur faut POUR MANGER.
Il y a 500 millions de nègres sur notre continent. Il y en a assez pour que certains d'entre nous aillent dans l'espace ou pilotent des sondes spatiales comme Cheikh Modibo Diarra, que d'autres cherchent des molécules pour nous délivrer du sida et autres ébola, que d'autres comme Cheikh Anta Diop utilisent la physique nucléaire pour étudier notre histoire, que d'autres comme Emeagwali construisent des super-ordinateurs, que d'autres prennent le temps de nous informer, et enfin, que d'autres cherchent ce qu'on va bouffer (certains en développant de meilleures semences de maïs ou de riz dans des laboratoires, et d'autres allant aux champs, tout simplement).
Nous sommes assez nombreux pour être présents PARTOUT. Nous DEVONS être partout.
Ce combat est long et difficile.
Je vais neanmoins préciser deux choses : d'abord, la question alimentaire est importante (mais pas essentielle selon moi), et ensuite, à un moment ou à un autre de sa carrière, tout chercheur africain doit EFFICACEMENT mettre son savoir au service de l'Afrique. J'espère que des vocations se forgeront, et que dans 20 ans, nous puissions PRODUIRE ici en Afrique une technologie innovatrice et adaptée, et non plus seulement CONSOMMER en payant ce qui se fait ailleurs. Il faut pour cela atteindre une masse critique de chercheurs de tres haut niveau, des gens comme le Dr Simo.
Tel est le sens profond de cette citation de Cheikh Anta Diop. A relire et à méditer.
Je dirai juste a tous ceux qui s'intéressent a l'espace qu'en tant qu'africains, qu'ils peuvent réussir à accomplir des choses intéressantes s'ils ont un excellent niveau et une grande détermination. Par exemple, en Octobre de l'année passée (Octobre 2003, ndlr), les Nations Unies et la NASA ont organisé un sommet (Space Generation Summit, ou SGS). Ils ont invité 200 jeunes dans le monde à la base de la NASA à Houston (Texas), sur la base d'une sélection assez sévère. Plus de 100 thèmes ont ete traités: satellites et télécoms, lanceurs et fusées, stations orbitales, biologie et apesanteur, etc....
Malheureusement, on m'a indiqué un très faible taux de participation d'africains. Informez-vous sur le site de cette conférence et faites actes de candidature si vous etes interessés. Il y a peu de temps, ils cherchaient des jeunes correspondants permanents en Afrique. On tord le cou a nos pays pour cotiser a l'ONU, au moins qu'on en profite.
Il y a aussi la fondation Edward Bouchet, du nom du 1er noir a avoir obtenu un doctorat de Physique en 1876, (et le 6e PhD dans tous les USA). Les physiciens et mathématiciens noir-américains ont créé cette fondation pour renforcer entre autre les liens avec les physiciens africains; Faites-y un tour, et suivez les liens de toutes les associations et forums satellites interessants de ce côté-là (par exemple, le "Africa Physics Forum"). Faites aussi souvent un tour a la NSBP (National Society of Black Physicists, USA). Certaines de ces infos vous seront peut-être utiles.
Je finirai en paraphrasant notre très regretté Martin Luther King: « L'Afrique n'a besoin que des meilleurs. Quel que soit ce que vous fassiez, soyez les meilleurs. » Mathematiciens, physiciens, journalistes,ingénieurs, économistes, historiens, écrivains, balayeurs de rue, peu importe: être les meilleurs signifie d'abord aller le plus loin possible, mais surtout, faire de son mieux quel que soit le niveau auquel notre volonté, notre capacité et notre destin nous a placés. Et en cela, des gens comme le Docteur Simo sont des exemples à suivre.
La gastro viendra après.
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