Diplomate, musicien, requérant d’asile ou dealer de drogue ? En Europe, les immigrés africains sont trop souvent placés dans des cases. Certes, le racisme en Suisse, comparé à certaines situations françaises ou belges, paraîtra sans doute plus retenu. Mais il rampe…
La Télévision suisse romande a demandé à un journaliste sénégalais de jouer avec une caméra cachée le rôle du demandeur de logement et d’emploi, sollicitant (en vain) l’entrée dans une discothèque, se faisant accoster dans une gare par des acheteurs en quête de cocaïne… À côté de réactions odieuses classiques (“ Je ne peux pas employer ce genre de gens dans ma boutique, ça ferait fuir la clientèle ! ”), il récolte aussi des marques de sympathie. Le reportage de Temps présent intitulé Dans la peau d’un Noir sera diffusé par TV5 à la mi-décembre (1).
Gorgui Ndoye, 34 ans, est l’un des rares journalistes africains accrédités au siège de l’Onu à Genève. Correspondant du quotidien Le Soleil de Dakar, il dirige aussi le mensuel en ligne www.continentpremier.info. Signe particulier : se jette dans les griffes de l’intolérance pour mieux la combattre. Tout commence il y a deux ans par une interpellation arbitraire et brutale d’un policier genevois, assortie du "sale nègre" qui fait si mal. Au lieu de déposer plainte, Gorgui s’adresse au commandant de la police et demande à dialoguer avec son agresseur et à régler l’affaire sous l’arbre à palabre.
Résultat : un long article dans la presse suisse et un début de médiation intercommunautaire. Le Sénégalais est invité à intervenir dans la formation des policiers à la gestion des rapports interculturels.
Des policiers médiateurs
“ Par exemple, déclare-t-il, beaucoup d’agents sont exaspérés par le regard fuyant' des blacks qu’ils interrogent. J’essaie de leur expliquer que chez nous, au Sénégal, on est éduqué à ne pas fixer les yeux des aînés ou des représentants de l’autorité. ” Gorgui est appuyé dans ses efforts par un inspecteur, Yves Delachaux, à la fois psychologue et auteur de romans… policiers. Et par le sous-brigadier Alain Devegney, en poste à la gare de Genève, truffée de dealers : au contact de migrants africains, cet ancien militant d’extrême droite a changé radicalement sa vision et s’est mué en médiateur interculturel.
Gorgui et ses nouveaux potes de la police (encore très minoritaires dans leur corporation) ont trouvé un langage commun : “ Nous devons chacun nous poser des questions. Les immigrés doivent déceler ce qui, dans leurs comportements, peut être mal compris et les mettre en situation de rejet. Les Africains doivent aussi réaliser que l’Europe n’est pas l’eldorado que certains imaginent. Le chômage et le sentiment d’insécurité provoquent chez les gens des attitudes défensives. Quant aux Suisses, ils doivent comprendre que le monde a changé : l’immigration est une réalité et on a tous intérêt à trouver un modus vivendi. ”
Bien sûr, le journaliste a l’avantage de savoir mettre des mots sur la violence que représente pour un étranger le fait d’être rejeté à cause de son faciès ou de sa culture : “ Quand j’ai vu que mes paroles étaient écoutées par des policiers, j’ai compris que je pouvais changer quelque chose. Et que si chacun essaie de rester calme, on peut s’apporter les uns aux autres. ”
Pas facile pourtant, et les dérapages ne manquent pas. Mais Gorgui ne se décourage pas : “ C’est vrai que l’Occident nous a toujours fait rêver parce qu’il promet l’égalité et le respect de la personne – et c’est dur de voir que dans la réalité, il ne les applique souvent pas pour nous. En même temps, les Africains peuvent quand même bénéficier de la protection qu’offrent les pays démocratiques, qui me permet par exemple de mener ce combat ”.
(1) Le reportage sera diffusé :
- en Afrique, le jeudi 15 décembre à 11 h
et le dimanche 18 à 03 h 30 (heure Gmt)
- en France, Belgique et Suisse,
le mercredi 14 décembre à 20h gmt.
Source: Le Messager
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