Mouafo, prenant la parole
Le président de l’Association de défense des étudiants du Cameroun (Addec), a été l’un des principaux meneurs des revendications estudiantines. Il a été arrêté, le 30 novembre 2005, au cours d’une réunion d’évaluation des accords de mai 2005 entre le mouvement estudiantin et le ministre de l’Enseignement supérieur. Après une semaine de détention, alors que certains membres de l’Addec sont encore en cellule, Mouafo Djontu et d’autres étudiants sont passés devant le procureur de la République, pendant que le paiement des droits universitaires était reporté à la fin du mois. Dans l’attente d’une peine, qui pourrait être connue le 12 janvier2006, et dont personne actuellement ne saurait déterminer, le président de l’Addec s’est confié à cœur ouvert au Messager.
Après avoir fait grève en avril et mai 2005, vous revenez à la charge en novembre et décembre de la même année. Ce qui veut peut-être dire qu’il y a un malaise. Qu’est-ce qui, selon vous, pose problème à l’Université de Yaoundé I, et partant dans toutes les universités d’Etat ?
Le problème c’est qu’on ne veut pas laisser les étudiants se regrouper pour réfléchir afin de contribuer à l’amélioration de la condition de vie de l’étudiant au Cameroun. La grève qui vient d’avoir lieu à Yaoundé et Douala n’avait pas été préparée parce que la réunion du 30 novembre dernier était une réunion d’évaluation des accords du 07 mai que nous avons passés avec le ministre de l’Enseignement supérieur. Dommage que les forces de l’ordre se soient lancés sur nous, qu’un étudiant se soit blessé grièvement. Et après mon arrestation et d’autres étudiants, la solidarité agissante des étudiants de Yaoundé I et Douala s’est levée comme un seul homme pour demander notre libération.
Vous avez été arrêté et incarcéré entre le 30 novembre et le 07 décembre, période pendant laquelle vous avez fait la ronde des cellules. Pouvez-vous nous relater les conditions de détention des étudiants qui ont été arrêtés ?
Il faut déjà dire que c’est inconcevable que des hommes en tenue qui, chaque fois, passent devant les écrans de télé et parfois aussi dans les organes de presse, pour claironner les droits de l’homme et la lutte contre la torture reviennent encore devant témoin bafouer la lutte contre la torture et le respect des droits de l’homme. On a été sévèrement tabassé à l’Université de Yaoundé I par les éléments du Gmi et de la gendarmerie. Nos conditions de détention à la légion de gendarmerie n’étaient pas humaines, pourtant le Cameroun est engagé dans la lutte contre la torture et le respect scrupuleux des droits de l’Homme.
La date butoir de paiement des droits universitaires a été repoussée au 30 décembre 2005 au terme du conseil d’administration de l’Université de Yaoundé I du 07 décembre dernier. Vous devez passer encore devant le procureur de la République le 12 janvier 2006. Si, entre temps, vous payez, vous bénéficierez du statut d’étudiants. Si vous ne le faites pas, selon les textes, vous n’aurez pas ce statut. Et dans ce dernier cas de figure, il serait inopportun pour les “ non étudiants ” de mener une lutte pour le compte des “ vrais étudiants ” qui se seraient déjà acquittés de leurs droits universitaires. Qu’allez-vous faire concrètement ?
Il faut rappeler ici que l’appel au boycott des droits universitaires n’avait pas pour objectif de demander aux étudiants de passer totalement une année sans payer les droits universitaires, déjà que l’école providence dans le monde entier est finie. C’était une condition pour nous d’amener le gouvernement à intégrer les conditions de vie et formation de l’étudiant au Cameroun. Nous allons nous réunir et discuter ensemble ; nous allons arrêter une stratégie que nous allons rendre publique dans les jours à venir concernant justement le mode de paiement des droits universitaires. Nous allons comparaître le 12 janvier 2006 et la date butoir c’est le 30 décembre prochain. Nous allons l’examiner afin de dégager la ligne de conduite qui sera la nôtre pour notre défense le 12 janvier.
Mais les problèmes des étudiants camerounais ne se résument pas seulement aux droits universitaires. Il y a par exemple les mauvaises conditions d’accès et de formation dans les institutions universitaires qui sont de véritables moules de chômeurs…
Tout à fait. C’est pourquoi je me réjouis que depuis un an, l’université est au centre de tous les débats. C’est depuis la réforme de 1993 que nous sommes dans ce combat pour l’amélioration des conditions de vie à l’université. Je me réjouis déjà du communiqué que le président du conseil d’administration, M. Abouem à Tchoyi, a rendu public sur le nouveau chronogramme des réalisations qui seront faites à Yaoundé I. Et nous espérons que ces réalisations effectives seront jugées à propos. C’est pourquoi nous allons tenir une réunion certainement demain soir[ ce lundi, Ndlr] après que tous nos camarades du conseil exécutif de l’Addec soient libérés [ quelques étudiants sont encore entre les mains des forces de l’ordre, Ndlr]. Nous allons examiner ensemble et faire savoir à l’opinion nationale et internationale la nouvelle donne, la nouvelle logique des étudiants. Parce qu’il est important qu’on puisse repenser l’université, donner la place de l’étudiant afin de lui assurer un avenir meilleur qui lui permettra certainement de bâtir une société et son pays en général.
Le 12 janvier 2006, vous aller passer encore devant le procureur de la République. N’avez-vous pas peur d’un emprisonnement ou d’une autre peine ?
Je n’ai peur de rien. Nous défendons la vérité. Mandela a fait 27 ans de prison. Le président nigérian a fait aussi la prison. Il serait inconcevable pour ces gens[ les autorités de l’Université et la justice, Ndlr] d’aller jusqu’à nous emprisonner. En considérant les chefs d’accusation [ incitation à la violence, voie de fait sur les gendarmes, destruction d’un véhicules de la gendarmerie, Ndlr] retenus contre nous en principe nous devrions être en ce moment à la prison centrale de Yaoundé. Mais vu les pressions des médias, des amis… qui ont compris le bien fondé des revendications que nous avons posées, le gouvernement n’a pas jugé opportun de nous déférer à Kondengui. Ce que nous faisons aujourd’hui ce n’est pas la grève pour la grève ; nous voulons créer un cadre où l’étudiant est partie prenante dans toutes les décisions qui seront prises pour sa formation. Il est important pour nous étudiants aussi de faire des concessions pour que le dialogue soit toujours respecté pour que tout le monde comprenne que si le gouvernement ne veut pas aller dans le sens du dialogue, c’est un refus de sa part. Nous allons toujours nous ranger dans l’amélioration de la condition de formation de l’étudiant. En tant qu’étudiants, nous ne devons pas être totalement radicaux, des jusqu’au-boutistes, comprendre qu’être étudiant, est un statut provisoire. Mais il faudrait qu’après nous les germes de la contestation restent à l’université.
Si la décision de justice vous met dans une posture où vous ne pouvez plus faire des revendications estudiantines, que deviendrait cette lutte que vous menez ?
Vous avez eu la preuve de la continuité du combat avec cette dernière revendication. J’ai été arrêté le 30 novembre, mais Yaoundé I et Douala ont poursuivi la grève. Nous n’étions pas là, nous les leaders de l’Addec. Ça veut dire que les germes de la contestations sont déjà effectifs. Il faut rappeler qu’on ne peut pas bâtir un pays avec la peur et la lâcheté. Dans le courage, la foi et la détermination, on peut arrêter les maux tels que : la corruption, l’inertie. C’est justement à l’université qu’on apprend ces valeurs. Alors il ne faut pas faire une fixation sur les leaders de l’Addec. Il faut plutôt faire une fixation sur les revendications que nous soulevons. Toux ceux qui se reconnaissent étudiants doivent les partager afin que les germes de la contestation soient en eux, pour qu’après nous la contestation demeure à l’université. Il faut que l’amélioration des conditions de vie et de formation de l’étudiant soit toujours au centre du débat dans notre pays.
Quels messages pouvez-vous lancer à l’endroit de l’étudiant de Yaoundé I , Yaoundé II, Douala, Dschang, Buea et Ngaoundéré ?
C’est d’abord un message d’apaisement. Je voudrais aussi lui faire comprendre qu’il est important que l’étudiant dans son univers puisse promouvoir la pensée qui pourra certainement nous amener un jour à développer notre université. Et qu’ensuite, chaque étudiant, où qu’il se trouve, doit promouvoir le syndicalisme. Car tant qu’il n’y a pas de syndicalisme à l’université, on ne pourra jamais comprendre que nous souffrons. Depuis octobre 2004, nous sommes en train de vouloir promouvoir le syndicalisme estudiantin. C’est grâce à cela que les décisions du chef de l’Etat sont porteuses, avec la nomination des présidents de conseil d’administration. Que serait-il arrivé aujourd’hui s’il n’y avait de Pca à l’université ? C’est grâce à Abouem à Tchoyi [ Pca de Yaoundé I, Ndlr] que la date butoir de paiement des droits universitaires a été repoussé au 30 décembre. Les recteurs ne sont plus tout-puissant. Il est important que chaque étudiant, où qu’il se trouve, ait les germes du syndicalisme constructif et non destructif pour que la pensée et la formation qu’il reçoit à l’université soient mises à contribution pour améliorer son cadre, sa société et bien évidemment bâtir son pays.
Source : Le Messager
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