Nicolas Sarkozy, chantre de l' "immigration choisie"
Consulat général de France à Douala (Bonanjo), jeudi 11 novembre 2005. Il est huit heures trente. Le petit portail qui mène “ au visa ” est hermétiquement fermé. Même au téléphone, on vous raccroche au nez en grondant : “ Ici on travaille !” A l’extérieur, un policier semble tenir en respect une file dépaysée. Le rang serpente jusqu’à la fin du virage qui mène vers les services du gouverneur du Littoral. Ici, le “ gender equity ” semble respecté : 56 personnes sur la centaine alignée ce matin sont des femmes. Il s’agit, pour l’essentiel, de jeunes bacheliers en quête de visa d’entrée en France pour la poursuite des études. Les classes ont commencé il y a environ deux mois dans les universités occidentales, mais certains espèrent toujours “ une dernière chance ”.
“ J’ai choisi une filière de formation qu’il n’y a pas sur place. Sachant que je devais partir, j’ai tout laissé tomber ; je me suis pas inscrit à l’université ici. Comment veut-on que je rentre rester comme ça au quartier. Venir ici tous les jours, c’est ce qui me reste à faire là maintenant. ” La mort dans l’âme, Yannick, la vingtaine, est désemparé. Il voit s’estomper le rêve du “ paradis ” français. Comme lui, ses compagnons avec qui il rase les murs du consulat depuis plus de trois mois regardent désormais la porte par laquelle on entre dans ce lieu tant convoité comme une “ porte de l’enfer. ”
Payer pour entrer au consulat
Ainsi, l’enfer ce n’est pas seulement, comme le pensent les Occidentaux, la peur dans laquelle les terroristes plongent le monde aujourd’hui. Ceux qui demandent des visas d’entrée en France la côtoient aussi dans ses représentations diplomatiques à travers l’Afrique. Douala est un cas assez illustratif. “ Le nombre que vous voyez ici aujourd’hui est quatre fois moins que ce qu’il y avait pendant les vacances. Cette route était constamment coupée ”, indique un vigile non loin du consulat. Et de poursuivre : “ Des gens arrivaient à minuit pour réserver des places et d’autres y passaient la nuit, pour ne même pas être reçus le matin ; j’en connais qui ont fait cela pendant plus d’un mois avant de consentir à faire comme les enfants des riches. ”
Faire comme les enfants des riches signifie ici payer de gros sous pour obtenir le visa ou, du moins, entrer dans la barrière. Gervais Tekam, français d’origine camerounaise, a presque connu une humiliation, lui qui voulait faire venir sa belle-sœur chez “ nos ancêtres les Gaulois ”. Celle-ci a en effet obtenu une inscription pour des études de logistique. “ C’est après qu’on m’a renseigné qu’il faut payer 150.000 Fcfa chez le responsable de la police du consulat pour avoir une chance d’être reçu. Quand l’argent est perçu, la police s’arrange à vous placer devant. Si bien qu’après la lecture des recommandés, les quatre ou cinq personnes qu’on choisit dans les rangs c’est ceux qui ont ‘vu’ la police ; et tant pis pour les autres qui ont passé leur nuit devant le consulat. ” En dehors de la police, il y a le réseau des recommandations. On y “ banque ” environ 250.000 Fcfa et on se fait recommander par une personnalité publique influente. Enfin, les “ frustrés ” parlent d’une troisième voie, celle du consulat dont les agents se feraient “ du beurre ” eux-mêmes ou alors recevraient des recommandations directement de la France.
Quand se ferme la porte de l’enfer !
Certains ont déboursé ces sommes plusieurs fois et ont autant de fois déposé les frais de visa (65.000 Fcfa non remboursables) sans jamais l’obtenir. Le passeport revient toujours avec la mention refusé. Pas moyen de demander une explication. “ Même les simples secrétaires qui sont là dedans répugnent à nous parler ”, indique Christelle à qui le sésame a déjà été refusé deux fois. Elle affirme qu’elle a d’ailleurs fait écrire au ministre français de l’Intérieur ainsi qu’au Premier ministre et au ministre de la Coopération. Si les deux premiers ont reconnu qu’elle était théoriquement autorisée à venir poursuivre ses études en France, le ministre en charge des Affaires étrangères et son consul, eux, n’ont même pas daigné répondre. En conséquence, malgré “ ses côtes ”, elle ne bouge pas.
Ainsi, avec des preuves irréfutables d’une inscription dans une université française, de nombreux Camerounais se retrouvent dans cette situation. Même ceux qui, à partir du Cameroun, ont passé avec succès le concours d’entrée dans une grande école, ne doivent leur départ qu’à des interventions “ musclées ”. C’est le cas d’une journaliste, Prix Rfi Reporter sans Frontière, qui a dû “ ramper ” pour aller poursuivre ses études à Lille. Plus récemment, c’est un prêtre, rédacteur-en-chef de L’Effort Camerounais et collaborateur de l’unique cardinal camerounais, qui s’est vu refuser un visa de transit. La porte du paradis qui se referme ainsi au nez de nombreux jeunes qui, malgré la fureur des rapatriements, veulent toujours partir. Mais beaucoup ont compris le message et le retournent à leur avantage. A côté des scènes de misère que subissent les jeunes sous la pluie et le soleil, le vigile de faction témoigne : “ J’ai moi-même tenté de partir après mon baccalauréat avant de me résoudre à me débrouiller sur place à Douala. ” Et, conclut-il : “ Je gagne modestement ma vie et ne me sens pas si mal ”.
(Alexandre T Djimeli)
Vexations autour du visa Schengen : Les Camerounais se détournent de la France
Dégoûtée par les humiliations subies auprès des services français d’immigration, l’élite camerounaise se détourne de plus en plus de ce pays qui ne semble pas percevoir cette tendance lourde.
Les vexations subies par les Camerounais à l’occasion de la demande des visas dans les services consulaires français finissent par les dessiller. C’est ainsi que nombre d’entre eux, notamment les plus fortunés, choisissent de plus en plus, pour leur voyage à l’étranger, que ce soit pour les raisons d’affaires, de tourisme ou de santé, des destinations non européennes. L’Afrique du Sud, le Moyen-Orient et l’Asie sont ainsi en train de devenir les principaux points de chute pour ces personnalités à la réputation sociale établie. Récemment le patriarche de Bana, Joseph Kadji Defosso, patron du groupe d’affaires du même nom a dû changer le lieu privilégié de ses contrôles médicaux qu’était jusque-là l’Europe, pour le pays de Mandela par exemple. Motif : le personnel du consulat de France qui ne sait décidément pas faire dans la nuance, obnubilé qu’il est par la frilosité des autorités policières françaises, qui frise de plus en plus le mépris de l’Africain en général et du Camerounais en particulier, à la limite de l’humiliation permanente, lui aurait demandé, tout patron d’un puissant groupe de plusieurs sociétés, employant plusieurs milliers de personnes dont plusieurs responsables de voyages, de subir personnellement ces formalités tatillonnes d’obtention de visas. Certes, dans la famille Kadji, on refuse de confirmer le refus de visa français au patriarche de Bana. Mais l’on ne se montre pas moins amusé par la frilosité des autorités françaises. “Depuis longtemps nous avons compris qu’il y a un ailleurs autre que la France où l’on peut tout autant mieux se sentir, en dehors de chez soi au Cameroun ” dit au Messager une des filles Kadji. C’est le même sentiment d’amusement qu’a le fils Baba Ahmadou qui, comme d’ailleurs son père, Alhadji Baba Ahmadou Danpullo a depuis choisi la destination sud-africaine. Aussi bien pour les affaires que le tourisme. Il a d’ailleurs emprunté en début novembre 2005 le même vol que M. Kadji Defosso qui revenait de son séjour sud-africain.
Afrique du Sud, Moyen-Orient, Asie, etc. sur la piste
Les manœuvres d’humiliation de personnalités camerounaises sont suffisamment récurrentes pour ne pas être soulignées. Avant le patriarche Kadji récemment, c’est John Fru Ndi, le leader du Sdf, principal parti de l’opposition pourtant bien connu des “ services ” (police et immigration) français qui se vit exiger en juillet dernier de venir à l’ambassade de France à Yaoundé remplir lui-même les formalités de demande de visa. Alors qu’il demandait juste un visa de transit pour ses vacances en Europe et aux Etats-Unis, après deux mois de deuil de son épouse survenue en avril. Il dut alors aller se sécher devant ladite ambassade, en compagnie de son ex-Sg, comme un vulgaire aventurier en partance pour l’Europe. Plus récemment encore, c’est l’abbé Antoine De Padoue Chonang le rédacteur en chef de l’Effort Camerounais, une publication séculaire de l’église catholique, pourtant bien connu dans les chancelleries occidentales installées à Yaoundé qui subit les vexations des agents consulaires français à Douala. Il dut alors emprunter d’autres voies pour se rendre au Brésil où il était invité pour une conférence sur …la Francophonie. Le cas du prêtre journaliste de l’Eglise catholique n’est, dans le monde de la presse, malheureusement pas isolé. Loin s’en faut. Là où les Canadiens par exemple qui manifestent des égards à l’endroit de ces faiseurs d’opinions accordent systématiquement un visa de six mois au journaliste qui entre chez eux pour la première fois, dès qu’il apporte la preuve de retour après une sortie du territoire camerounais, les services français les ont systématiquement envoyés promener. Surtout s’ils ne sont pas parrainés par une institution gouvernementale ou invités par les officiels français.
C’est ainsi qu’on ne compte plus les journalistes, à la notoriété pourtant établie, avec plusieurs visas retour sur leurs passeports qui se voient humiliés lors des procédures d’obtention de visas réputées tatillonnes dans les services consulaires français. Il n’y a pas jusqu’au personnel navigant (technique et commercial) de la Camair qui ne soit soumis à de telles manœuvres vexatoires.
Se libérer de la pression européenne
En tout cas, les fonctionnaires français, même s’ils sont instruits depuis Paris, se trompent en persistant dans leur bulle croyant que leur pays, de plus en plus en difficultés, est toujours le centre du monde pour les Camerounais. Ils se rendront compte bien tard que même les moins fortunés se détournent de leur pays. N’a-t-on pas ainsi assisté à Douala et Yaoundé, la semaine dernière, à une série de conférences publiques de deux émissaires du Cornhill Collègue, une école privée anglaise de formation en expertise comptable qui battu un record de présence de jeunes étudiants?
Ce qui est intéressant est que malgré le coût final de la formation proposée, de jeunes diplômés francophones (en finances et comptabilité) des universités et grandes écoles camerounaises se sont plutôt pressés pour obtenir les renseignements nécessaires à une inscription dans cette école londonienne. C’est une indication que même pour les plus jeunes donc moins riches, le modèle français n’exerce désormais que peu d’attraction même pour les plus paresseux en langue. Le spectacle de jeunes bacheliers encore amassés aujourd’hui devant les consulats français de Douala et Yaoundé ressemble bien aux pluies abondantes qui annoncent le début de la saison sèche.
(Alex Gustave AZEBAZE)
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