Le Cameroun entre de plain-pied dans les pratiques relevant de la Bourse, qui conduisent les grosses entreprises à la recherche d’un nouveau moteur de croissance, à avaler les plus petites, lorsque celles-ci sont riches d’un savoir-faire propre à accélérer leur expansion.
Le secteur des télécoms mobilise des investissements financiers énormes, d’autant moins disponibles sur le territoire national que le Fonds spécial des télécommunications voulu par la loi tarde à se concrétiser. Enfin, les opérateurs camerounais de cette filière ont beaucoup de chemin à faire avant de pouvoir lutter à armes égales avec les multinationales dont les marges de manœuvre sont plus étendues.
Ce dernier argument me rend forcément sensible aux protestations émises par la communauté nationale des fournisseurs d’accès à Internet regroupés au sein du Conestel qui estime qu’en plus de violer la loi en voulant pénétrer dans le segment de marché de la fourniture des services Internet, Mtn, dont la licence est circonscrite à la téléphonie mobile, met en danger leurs entreprises et les milliers d’emplois créés en très peu de temps.
Qui peut nier en effet l’énorme succès remporté par les cybercafés dont le réseau s’est densifié et qui permettent de surfer à des tarifs inimaginables il y a encore quelques mois ? 1000 f cfa les 5 heures dans un cyber de Bonamous-sadi ! Qui dit mieux ? C’est tellement bon marché que l’on se demande comment ces structures bouclent leurs fins de mois.
Des lignes spécialisées au prix prohibitif
Ce que l’internaute final que nous sommes ignore souvent, c’est que ce cybercafé que nous fréquentons achète une connexion haut débit permanente dont le prix reste dissuasif, quand on compare avec les standards internationaux.
Exemple : la location de la ligne spécialisée de 64 Kbits/seconde se situe entre 700 et 1000 euros par mois soit jusqu’à près de 700 000 Fcfa. A titre de comparaison, en France, un abonné à l’Adsl ou au câble dispose de 512 Kbits/s pour moins de 30 euros par mois (chiffre de 2004) : c’est-à-dire que pour 30 fois moins cher, il va 8 fois plus vite soit un rapport de 240 entre les deux.
Je partage cet avis de Philippe Drouot de africacomputing.org qui estime “ que les professionnels de l’internet en Afrique payent excessivement cher des débits très faibles ”. Si on ajoute que cet argent est transféré aux opérateurs occidentaux qui louent la bande passante aux opérateurs africains, le doute commence à planer sur la validité de ce modèle économique qui au demeurant ne profite qu’aux habitants des grandes villes, Douala et Yaoundé, auxquelles s’ajoutent quelques villes de province investies par des entrepreneurs particulièrement décidés.
C’est sur ces entrefaites que Mtn prend pied sur le segment Internet en promettant qu’au lieu que le Camerounais soit obligé de se rendre au cyber pour accéder à internet, les particuliers et les petites entreprises vont d’ici peu en bénéficier “ à moindre coût et de manière plus fiable ”. Partout où le réseau mobile est présent, l’accès sera possible.
Pour réussir cet “ exploit ” technologique, il suffit à Mtn de mettre sur ces infrastructures actuelles une petite couche supplémentaire de technologie pour passer de 9,6 Kbits/seconde qui convient à la transmission de la voix à 40 Kbits/s, voire même 150 à 200 Kbits/s, vitesse qui facilite le transport des données. L’un des objets du débat des dernières semaines a consisté à vérifier si la réglementation autorisait Mtn à se positionner ainsi sur le segment de l’Internet.
Certes, la réponse est négative, mais les exemples dans le monde indiquent que les technologies convergent à tel point qu’il devient difficile d’établir une séparation étanche entre la technologie de la voix et celle des données.
Dans tous les pays, les licences Gsm sont renégociées en douceur pour prendre en compte ces évolutions technologiques. De l’avis des spécialistes, dans un environnement de pénurie en lignes téléphoniques fixes, les opérateurs de mobile sont les mieux placés pour offrir une alternative au modèle des liaisons satellitaires, beaucoup trop chères comme nous l’avons vu.
“ Après avoir investi des millions de dollars pour installer des réseaux, les opérateurs africains ne peuvent ignorer aucune opportunité leur permettant une exploitation supplémentaire de leurs équipements ”, explique Nevo Hadas, un industriel du secteur des télécoms qui ajoute : “ 10 000 clients qui passeraient 10 minutes en ligne à consulter leur mail devraient générer un trafic additionnel de 100 000 minutes par jour pour un opérateur africain de Gsm ”.
C’est cette analyse que fait Mtn qui au passage à racheter un fournisseur d’accès internet local, Globalnet et ses licences d’exploitation comme ticket d’entrée. Evoquer l’argument juridique comme l’a fait le Conestel peut sembler spécieux, s’agissant d’un secteur où la technologie va tellement vite que la loi peine à suivre.
C’est quoi le règlement au Cameroun de ce trafic téléphonique par internet qui nous permet de payer 100 Fcfa pour parler 1 minute avec Paris, au moment ou la minute entre portables au Cameroun coûte jusqu’à 250 francs ? Quel règlement encadre l’activité que vient de lancer Camtel en offrant de la téléphonie à distance sans détenir la licence d’opérateur mobile ?
Tout laisse penser que l’Art a tranquillisé Mtn en lui donnant toutes les autorisations nécessaires pour sa rentrée sur le marché de l’Internet. Obligation est faite par contre à Mtn d’autoriser tous les fournisseurs d’accès internet à exploiter ce que l’on appelle les capacités résiduelles des infrastructures de transmissions interurbaines établies par l’opérateur sud-africain.
Au total, il faut se féliciter que la même opération qui a permis aux Camerounais d’être facilement joints au téléphone se répète avec internet, même si cela demeure un “ internet de luxe ”, en attendant l’exploitation pleine de la bande passante dormante que nous offre la fibre optique d’ores et déjà installée sur notre territoire. Il faut s’assurer par ailleurs que les opérateurs économiques camerounais du secteur vivent bien de leurs initiatives en saisissant les opportunités qui s’offrent.
Cela passe par une réelle maîtrise des technologies conduisant par exemple à installer sur place des serveurs de courrier électronique qui achemineraient des données sans passer par Paris, Montréal ou New York. Qu’est ce qui les empêche de devenir Mvno, cet opérateur de téléphone de mobile virtuel qui achèterait des minutes de téléphone à Mtn et Orange pour les revendre ensuite à ses clients ? Soyez offensifs et futés !
Ne faites pas comme ces banquiers qui demain vont protester quand Mtn va conclure un accord avec un des leurs pour ouvrir des comptes bancaires virtuels à des milliers de Camerounais, en utilisant le téléphone mobile comme moyen de gestion du compte. C’est déjà une réalité en Afrique du Sud.
Source : Le Messager
|