Dans un container installé à l'arrière de la poste centrale de Yaoundé, un ventilateur vrombit. La salle, étroite et mal éclairée, est prise d'assaut par une dizaine de personnes assises, chacune plongée dans ses pensées. Quelques unes ont le regard fixé sur une affiche du site du département d'Etat américain et s'imaginent, probablement, le bonheur qui sera le leur si elles en venaient à être sélectionnées pour la "Dv lottery 2007". Le programme mis sur pied par le gouvernement américain pour permettre la création d’une nouvelle catégorie d’immigrants, appelés " Diversity immigrants " (Dv immigrants). Cette loi permet la mise à disposition annuelle de 50.000 visas de résidents permanents à des personnes nées dans des pays à faible taux d’immigration aux Etats-Unis. Ce programme annuel de Dv permet la délivrance de visas de résident permanent aux personnes sélectionnées.
Cependant, il leur faudra encore attendre le mois de mai prochain pour savoir si oui ou non, ils ont été reçus. Toutefois, dans ce réduit qui sert de quartier général des "démarcheurs", l'air est lourd et trois employés ont le regard fixé sur les écrans de leurs ordinateurs, concentrés qu'ils sont à traiter et à enregistrer les formulaires que leur remettent les demandeurs. "Je suis à ma 10ème demande depuis ce matin. Pour le moment, il n'y a pas encore de bousculade et le travail se fait plutôt bien. C'est à partir du mois de décembre que les gens vont commencer à accourir pour s'inscrire", confie Elodie Etam, employée chez les "démarcheurs" de la poste centrale de Yaoundé, qui avoue elle-même "Tenter [sa] chance chaque année. Je sais qu'un jour, tout va bien se passer."
Ici, tout est organisé pour donner un service rapide aux usagers. Trois machines connectées à Internet et, en permanence, ouvertes sur le site du département d'Etat américain. Des appareils photos numériques et des formulaires imprimés qui n'attendent que l'arrivée de clients. Lesquels n'auront qu'à débourser 2.000 Fcfa pour l'inscription. Selon Christopher Njiemen, gérant de cet espace, "Cela fait de longues années que nous sommes installés ici mais, le service que nous pratiquons le plus est le téléphone international. Nous avons ouvert à la "carte verte" parce que nous nous sommes rendus compte que c'est un créneau qui rapporte. Les gens sont en quelque sorte obligés de recourir à nos services parce que, dans la plupart des cas, ils n'ont pas d'appareils photos. Ce que nous faisons alors, et si le client le souhaite, nous le photographions à 1.000 F cfa.
Une image numérique qu'il peut alors enregistrer dans une disquette qu'il aura achetée et l'exploiter dans un cyber-café. Cela revient au même si non, plus cher même. C'est à chacun de voir." Aux côtés de ces personnes qui agissent localement, d'autres, basées aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde, appâtent les demandeurs par courriers électroniques, en promettant de s'occuper du dossier après qu'ils aient reçu U$10 (environ 5.000Fcfa). Toutes conditions auxquelles les futurs immigrants se plient avec plus ou moins de bonheur. "Il y a deux ans, j'ai essayé de jouer à la loterie américaine par le biais du site usgreencardlottery. Ça n'a pas marché et j'ai décidé de le faire ici. Que ce soit ici à la poste, dans un cybercafé ou par les adresses Internet ailleurs, il vaut toujours mieux tenter sa chance", affirme Lucille Atangana, postulante à la Dv-2007.
Serges Ngueffang, infirmier à l'hôpital de district de la Cité Verte, partage cet avis. Cette année, il a pris la résolution de postuler avec toute sa famille. "On a plus de chance ainsi. Les Européens nous ferment déjà leurs portes. Avec cette carte, nous ne sommes pas dans l'illégalité. C'est plus simple comme cela. On ne rêve pas en se disant que tout sera bien. Mais c'est déjà un pas. Si notre dossier est reçu, je vais faire de la prospective et voir comment m'organiser pour que ma femme et mes deux enfants me suivent sans que cela nous pose un problème. Au moins, nous garderons une certaine dignité." Toutefois, l'engouement que suscite la loterie américaine auprès du public camerounais n'est pas apprécié de la même façon par tous. Pour certains, la prolifération des banderoles incitant les populations à devenir "citoyens américains en jouant à la Dv Lottery 2007" est une sorte de "reniement de notre pays. Il est hors de question que dans une nation qui se respecte, ce genre de banderoles soient affichées partout, au centre ville et ailleurs. Il est inadmissible que l'on laisse de pareilles affiches dans toute la ville.
Il y a quand même une fierté à être camerounais!", s'est insurgé le père Cesbrond, lors de son homélie sur la Toussaint dimanche dernier à la paroisse Saint Laurent de Mvolyé à Yaoundé. Institué depuis 1990, le programme de visa " diversity immigrant " adopté par le congrès américain, ne connaît une réelle expansion au Cameroun, que depuis deux ans. Selon Bouba Monglo du service d'information de l'ambassade des Etats-Unis à Yaoundé, "Avant ces deux dernières années, c'était davantage les gens de la zone anglophone du pays qui postulaient. En plus, c'était plus difficile à gérer parce qu'il fallait le faire par la poste. L'avènement de l'Internet a facilité la découverte de ce moyen par les camerounais francophones." Certaines sources affirment d'ailleurs qu'au Cameroun, le nombre de bénéficiaires est celui de 1.500 personnes il y a quelques années.
Source : Mutations
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