Le sacre de champion d’Espagne 2005 ne lui suffit pas. Nominé dans la liste des postulants pour le cinquantième ballon d’or, Samuel Eto’o veut marquer l’histoire du foot de son empreinte. L’actuel international camerounais et meilleur buteur de la Liga (avec neuf buts) entend battre cette année tous les records avec son club, le FC Barcelone. Critiqué après la non-qualification des Lions indomptables pour le Mondial 2006, celui que l’on appelle « le petit Milla » est persuadé que le Cameroun se relèvera dès la Coupe d’Afrique des nations (CAN 2006), qui se déroulera en Égypte, en janvier. Entretien avec le serial buteur dans les salons du Nou Camp.
Avec Essien et Drogba, vous êtes le troisième Africain de la liste des cinquante joueurs présélectionnés pour le ballon d’or 2006. Quel est votre pronostic ?
Samuel Eto’o. Je lis dans la presse que Ronaldinho et Steven Gerrard sont les favoris pour succéder à Andreï Chevtchenko. Mais je n’ai pas dit mon dernier mot. Je ne crains personne, je n’ai pas d’adversaire en particulier, je me concentre sur mes performances car le vote n’est pas arrêté et qu’il reste encore des matchs jusqu’au 28 novembre. Je fais confiance au jury.
Secrètement, vous espérez quoi ? Être sur le podium, dans le cinq majeur ?
Samuel Eto’o. Je rêve du ballon d’or, tout simplement. Mais je sais qu’étant black et en plus camerounais, il me faut redoubler d’efforts pour pouvoir être en compétition avec les grands noms de la liste. Vous savez, quand on est un petit Africain, il ne faut pas seulement être fort pour être crédible et respecté. Il faut être imbattable ! Moi, par exemple, pour gagner le ballon d’or, je sais qu’il faut que je sois en tête de tous les classements, tous championnats et compétitions confondus. Cette saison, pour y arriver, je vais essayer de marquer cinquante buts, performance que personne n’a jamais réussie. Je veux marquer l’histoire du Barça. Ensuite, si j’y parviens, il n’y aura aucune discussion : les chiffres seront là pour - témoigner. J’espère juste que, cette année, c’est le terrain qui parlera et que l’on ne récompensera pas un grand nom.
En Championnat, vous êtes bien parti puisque vous êtes en tête du classement des buteurs de la Liga. Neuf buts en huit journées, c’est une bonne moyenne, non ?
Samuel Eto’o. C’est un bon rythme, c’est sûr. Mais il faut que je puisse le tenir, en sachant qu’avec la CAN je vais manquer cinq ou six journées... Je me sens capable de grandes et belles choses cette saison. Je veux pulvériser tous les records et je vais m’en donner les moyens, croyez-moi !
Cela fait plus de sept ans que vous évoluez en Liga espagnole et vous présentez un bilan honorable : 87 buts en 180 matchs. Est-ce le championnat qui vous correspond le mieux ou avez-vous d’autres aspirations ?
Samuel Eto’o. J’aime le championnat espagnol et je me sens vraiment bien à Barcelone. Au Barça, je ne suis entouré que d’internationaux, tous de très bons joueurs, avec lesquels je m’entends bien. Avant de signer à Barcelone, j’ai néanmoins eu d’autres contacts : Marseille, Lyon et Chelsea. Avant de me décider, j’ai consulté Roger Milla, qui compte beaucoup dans ma vie, et qui est comme mon père. On a pesé le pour et le contre. Marseille, ça me tentait pour le côté historique et la ferveur populaire qui entoure le club. J’adore ce public. Lyon, ça m’aurait bien plu aussi. Ça ne s’est pas fait car le président Aulas n’a pas osé faire l’effort financier. Peut-être avait-il des doutes sur moi ? Je ne sais pas. Il faudrait lui poser la question. En tout cas, je me serais bien vu à Lyon... Chelsea ? C’était flatteur, mais c’était trop tôt. Il y avait la barrière de la langue, une autre culture à découvrir et à assimiler... Je ne me sentais pas prêt. Finalement, j’ai écouté les conseils du « Vieux Lion » et j’ai opté pour un club stable et ambitieux : le Barça. Aujourd’hui, je ne regrette rien.
Vous parlez de Roger Milla. Quelles relations entretenez-vous avec lui ?
Samuel Eto’o. Il est comme mon père. Roger, c’était mon idole, mon modèle quand j’étais gamin. La première fois que je l’ai vu, c’était à la veille d’un match Cameroun-Zambie, à Douala. Je devais avoir six ou sept ans. Il m’avait donné sa paire de chaussettes à la sortie de l’entraînement. J’étais fou ! Pour moi, c’est une légende, le meilleur footballeur africain de tous les temps. Lui seul savait tout faire avec un ballon. Souvent, je l’appelle après les matchs pour un débriefing, pour avoir son analyse critique sur ma prestation. Je sais par exemple que je dois encore progresser dans les duels avec le gardien. On en parle souvent. C’est génial d’avoir un conseiller comme lui. Pour moi, Roger est toujours disponible, je peux l’appeler à n’importe quelle heure, et lui c’est pareil. Quand il voyage, il me laisse à chaque fois un message pour me dire où il se trouve, quand il rentre... Ça me fait tout drôle. Je suis fier de le connaître car mon rêve était de lui ressembler. Aujourd’hui, j’ai peut-être emprunté le bon chemin, mais j’aspire à faire au minimum la moitié de ce qu’il a accompli tout au long de sa carrière exemplaire. Le ballon d’or, j’aimerais le gagner pour lui, par exemple. Car Roger méritait de remporter le ballon d’or européen. Vraiment. Je crois que c’est ce qui lui manque dans sa carrière.
Avec les Lions, il a marqué l’histoire de la Coupe du monde. Vous, vous ne participerez pas au prochain Mondial en Allemagne. Comment le vivez-vous ?
Samuel Eto’o. J’ai pleuré après notre élimination et le match contre l’Égypte (1-1 à Yaoundé, un penalty raté à la dernière minute du match). Mais c’est fini. Maintenant il faut relever la tête et rebondir lors de la prochaine CAN. Il n’y a pas de fracture au sein de l’équipe, comme j’ai pu l’entendre ou le lire. Je tiens aussi à préciser que je n’ai aucun souci avec Pierre Wo mé. Il a pris ses responsabilités sur le penalty. J’étais avec lui, et je suis aujourd’hui derrière lui. Notre élimination est injuste, c’est triste. On peut se dire que l’on était à une minute, à un penalty de l’Allemagne. Mais le problème du Cameroun, c’est que l’on n’arrive pas à négocier les « petits » matchs. À chaque fois, on se fait piéger. En revanche, contre la Côte-d’Ivoire par exemple, une équipe capable de nous tutoyer, il n’y aura jamais de match. La preuve : on les a battus deux fois à Yaoundé et à Abidjan. Maintenant, les Éléphants ont eu un parcours plus régulier que le nôtre. Ils méritent donc de représenter l’Afrique noire en Allemagne, au même titre que le Togo, le Ghana et l’Angola. Quatre équipes que je supporterai en juin prochain.
Source : L'Humanité
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