Note de Bonaberi.com : Nous tenons à préciser que l'enfant présenté au journal télévisé il y'a de cela quelques années, dont parle l'auteur au tout début de cet article, est bel et bien vivant et vient de terminer son cycle ingénieur à l'école des Mines de Paris.
Il y a quelques années seulement, un enfant de 13 ans avait été présenté à la télévision camerounaise avec force tapage et éloges. Il venait, disait-on, d’obtenir brillamment son baccalauréat. Et un BACC scientifique, s’il vous plaît ! La précision est d’autant nécessaire que vous savez bien que chez nous, l’opinion veut que le BAC C scientifique soit celui des surdoués et que le Bacc littéraire, en revanche, soit un diplôme au rabais, à la portée de tous, donc celui des médiocres. Cet enfant était alors, cela va sans dire, une petite graine de génie. Un baccalauréat à treize ans ne soulève pas seulement de l’admiration, mais des doutes, de la suspicion et surtout, beaucoup d’interrogations aux yeux de ceux qui connaissent un tant soit peu la législation scolaire de notre pays. Ces derniers, incrédules, avaient juré de suivre cet enfant à l’Université, dans les Grandes Ecoles, partout où il irait, afin de vivre eux-mêmes la suite de cette histoire merveilleuse et insolite. Malheureusement, depuis belle lurette, le prodige leur a fait fausse route, semant tout le monde, même ses promoteurs les plus intéressés. Les plus futés ont même annoncé qu’il est mort. Quand, où et comment ? Personne ne le dit. Mais c’était bien commode. Quand on veut arrêter l’intrigue d’un tel film, il n’y a rien de plus subtil que de tuer l’acteur principal.
Cette année encore, on nous a présenté un autre. A la même télé. Sans se préoccuper de ce qu’était devenu l’autre. Celui-ci avait, dit-on, eu le Bacc à 14 ans. Il demandait au gouvernement camerounais une bourse de trente millions de francs ( pas moins ! ) pour aller poursuivre ses études aux Etats-Unis ! On le comprend. Un tel génie ne peut s’abaisser à s’inscrire dans les Universités camerounaises réservées aux demeurés et à des bacheliers séniles ! Il pourrait embarrasser ses profs. Quand on est ainsi sorti de la cuisse de Jupiter, on ne peut avoir de place que chez ceux-là qui ont foulé le sol lunaire et qui aujourd’hui, tournent déjà autour de Mars ! J’espère que le gouvernement ne ratera plus cette seconde chance que lui offre la providence pour sortir de la raque de l’histoire.
Ces génies précoces de chez nous ont en en commun quelque chose qui nous intrigue. On ne les découvre que lorsqu’ils ont passé le Bacc. Pourtant, avant d’en arriver là, ils ont bien accompli d’autres prouesses : un CEP à 06 ou 07 ans, un BEPC à 10 ans ou un probatoire à 12 ans, ne sortent pas moins de l’ordinaire et ne feraient pas moins sensation et les choux gras de la Presse! Mais à ce stade, personne n’en parle. Peut-être qu’un jour, nous saurons pourquoi. Mais quand nous savons tous que pour aller de la SIL en Teminale, il faut au moins 13 années d’étude ; qu’il n’est pas permis de s’inscrire à la SIL avant l’âge de 6 ans ; qu’enfin il n’est pas permis de sauter des classes au Cameroun quelles que soient l’intelligence et la moyenne annuelle de l’élève, le bon sens voudrait donc que personne n’ait le Bacc avant l’âge de 19 ans !
Si déjà pour entrer en classe de sixième avant l’âge de 12 ans il faut une permission spéciale appelée dispense d’âge, on est bien en droit de se demander quelle sorte de dispense on doit obtenir pour présenter le probatoire à 12 ans, étant entendu que même dans ces conditions spéciales, il y a encore six classes qu’il faut parcourir en autant d’années et qui seront ajoutées à l’âge de départ. A notre humble avis, nous croyions que 9+6 feraient plutôt 15 et non 12 , par amour de la vérité et de la science ! D’ailleurs la loi qui oblige l’inscription à la Sil seulement à l’âge de six ans n’implique-t-elle pas que personne ne devrait arriver au CMII avant l’âge de 12 ans ? Comment cette loi pouvait-elle logiquement coexister avec une autre qui prévoit la dispense d’âge à l’âge de 09 ans étant donné qu’il est impossible de parcourir six classes en trois ans ? La dispense d’âge ne devient-elle pas de ce fait un passe-droit ou la légitimation de la fraude et de la violation de la législation scolaire par les enfants de quelques privilégiés ?
Par quelque bout que l’on prenne cette affaire, on trouve qu’un enfant de 13 ou de 14 ans qui a passé le baccalauréat au Cameroun est inévitablement au centre d’une énigme qu’il faut à tout prix élucider : dans l’âge, dans le respect de la législation scolaire, dans la régularité du suivi des classes, dans l’authenticité de ses bulletins de notes ou sur la conformité de la personne qui a réellement composé à l’examen ! L’acte de naissance ne comporte pas de photo et une carte d’identité portant la photo de quelqu’un qui n’a rien en commun avec les informations qu’elle porte est très vite établie. Et même ! Qu’est-ce qui peut dépasser les Camerounais ? N’a-t-on pas souvent, grâce à quelque maladresse ou fébrilité débusqué dans des salles d’examen des gens qui composaient à la place des autres ?
Quand on nous présente à la télé des enfants qui ont obtenu leur baccalauréat à l’âge de treize ou quatorze ans, on voudrait dire qu’ils doivent nous servir d’exemples, d’émulation et de motivation pour les nôtres. Mais comment procéder, sans corrompre qui que ce soit, pour faire accepter les nôtres à la Sil à deux ou trois ans ? Comment faire pour qu’on ne nous demande pas de bulletins des classes antérieures quand ils partent de la Sil au CE1, du CM1 en 6e, de la 6e en 4e , et de la 4e en 2nde ? Car si on a le Bacc à 13 ou 14 ans, cela veut dire qu’on a suivi exactement ce cursus avec ce cheminement acrobatique, en zigzaguant entre les classes aussi bien du primaire que du secondaire, c’est-à-dire en faisant en 6 ou 7 ans ce que les nôtres font en 14 ans, soit qu’on a passé des classes dans le ventre de sa mère ! Car il faut bien le dire, ce slalom scolaire est un parcours hors du commun difficilement concevable au regard de la législation scolaire, de la conception des programmes et de leur répartition qui respecte le développement physiologique, psychologique et psychomoteur de l’enfant. Déjà, aller de la Sil en Terminale en 13 ans implique que l’enfant n’a repris aucune classe, et cela non plus n’est pas à la portée du premier venu.
Un enfant peut-il sauter autant de classes sans que cela ne lui soit préjudiciable dans la stratification de ses connaissances et la suite de ses études ? Nous croyions que chaque classe était conçue pour mettre les fondations de la suivante et qu’en sauter une serait comme rater une marche de l’escalier avec le risque de se briser la jambe et de ne plus pouvoir jamais marcher normalement. Et si tel n’était pas le cas, il faudrait en déduire que notre système éducatif comporte des classes parfaitement inutiles dont la seule raison d’être serait de perdre du temps à certains enfants et en tirer les conséquences qui s’imposent, c’est-à-dire les déterminer et les supprimer pour plus d’équité. Ainsi tous les enfants du pays seraient mis sur un pied d’égalité pour suivre le même cursus et auraient tous les mêmes chances d’obtenir précocement leurs diplômes !
Mais pourquoi notre attention est-elle tant braquée sur l’âge auquel l’enfant passe les diplômes et non sur la quantité et la qualité des connaissances effectivement acquises et parfaitement assimilées ? C’est que, peut-être sans le savoir, on nous a insidieusement installé sous la coupe réglée d’une obsession, mieux, d’une fascination quasi-pathologiques de l’âge qui font aujourd’hui partie de notre patrimoine génétique, de nos mœurs, de nos coutumes et de nos modes de pensée. L’expérience préalable exigée pour avoir accès à un poste de travail, le respect du droit d’aînesse, la loi électorale qui prévoit qu’en cas d’égalité entre deux listes le siège en ballottage revient à la liste qui a la moyenne d’âge la plus élevée, le doyen d’âge qui préside la séance d’ouverture d’une session parlementaire assisté du plus jeune, les dispenses d’âge, les jugements supplétifs ou les faux actes de naissance pour rajeunir ou pour vieillir selon le cas etc., telles sont autant de formes subtiles de l’expression de cette obsession de l’âge !
La majorité de Grandes Ecoles qui s’ouvrent automatiquement sur l’emploi sont refusées aux bacheliers âgés de moins de 17 ans. Quand on sait que ces concours sont organisés par le ministre en charge de la Fonction Publique, donc par le gouvernement, n’est-ce pas là la confirmation la plus officielle qui soit de la thèse que je défends, celle selon laquelle il n’est pas légalement possible d’obtenir le Bacc à l’âge de 14 ans ? A quoi cela sert-il « d’octroyer » le baccalauréat à 14 ans quand on sait que si l’enfant ne veut pas aller à l’Université il devra attendre trois ans ( à quoi faire ?) pour pouvoir entrer dans une Grande Ecole ? Et puisque l’âge minimal légal pour l’entrée à la Fonction Publique est de 17 ans, pourquoi ne pas laisser « les bacheliers précoces » atteindre cet âge au cours de leur formation ? Voilà jusqu’où peut nous conduire la fascination de l’âge. Et comme toute fascination éblouit et aveugle, nous tombons dans un imbroglio dont nous ne pouvons pas ne pas dire quelques mots.
Dans notre pays, la majorité pénale est de dix-huit (18) ans alors que celle électorale est de vingt (20) ans. En clair, à 18 ans, on est suffisamment vieux pour être responsable de ses actes, en assumer les conséquences par une peine d’amende, de privation de liberté et même d’une condamnation à mort, alors qu’on n’est pas assez vieux pour voter, c’est-à-dire pour choisir ses gouvernants ou pour aspirer à gouverner soi-même. La majorité civile ne s’obtient qu’à 21 ans. C’est-à-dire qu’on peut être assez vieux pour assumer ses actes devant la justice, pour être maire ou député, mais pas l’être assez pour se choisir un conjoint et se marier.
L’âge minimal pour entrer à la Fonction Publique est de dix-sept ans. Comme chez nous la nomination à un poste de responsabilité ne respecte aucun profil de carrière dans la majorité des cas, le jeune qui y accède à cet âge peut être promu. Il sera donc assez vieux pour gérer les hommes et des crédits, mais pas assez pour répondre de ses éventuelles indélicatesses devant la justice, ni pour être électeur et éligible, ni pour se marier ! Voilà jusqu’où peut nous amener cette fascination de l’âge, un serpent de mer qui nous hante sans répit et qui influence tant notre raisonnement et notre vie de tous les jours !
Pour revenir au baccalauréat à 13 ou 14 ans, il faudrait que les ministres de l’Education de bas et des Enseignements secondaires nous expliquent exactement comment légalement on s’y prend car si tout le monde est égal devant la loi et si la loi est la même pour tout le monde, la législation scolaire ne saurait soumettre certains enfants à la dictature de l’âge et en même temps prévoir des dispenses d’âge et celle de suivre toutes les classes pour les autres. Sinon, passer le baccalauréat à treize ou quatorze ans et venir parader à la télévision, c’est comme violer la loi et s’en vanter, parce qu’on est sûr de son immunité et, partant, de son impunité. Il est vrai qu’on nous répondra qu’il s’agit des génies, soit, mais en attendant qu’on nous prouve que la loi n’est pas opposable aux génies, nous proposons que pour plus d’équité, qu’on nous donne des critères pour les détecter d’une part et d’autre part, qu’on leur ouvre des écoles spéciales où ils seront soumis à une législation particulièrement flexible qui s’adaptera au cas de chacun. Ainsi, de dispense en dispense, et de dérogation en dérogation, on pourrait, parmi des surdoués découvrir quelques-uns qui en une ou deux années scolaires, iraient de la Sil en terminale sans qu’une barrière autre que celle de leur intelligence et de leurs aptitudes leur perdent du temps. Et tout le monde sera quitte !
Source : Quotidien Mutations
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