Pour sa toute première édition, le café littéraire. Forum de débats intellectuels créé par Ferdinand Nana Payong, le promoteur du “ Tour du livre ”, a reçu l’écrivain franco-camerounais Gaston Kelman, l’auteur du best seller “ Je suis noir et je n’aime pas le manioc ”. C’était le 25 août 2005 au pavillon culturel “ Le Kaba Ngondo ”.
Comme pour ses récentes conférences lors de son premier voyage au Cameroun, Gaston Kelman attire du monde, et surtout suscite un débat intellectuel à la fois intense et polémique. Les positions de cet écrivain, chantre de la culture universelle ne laissent en effet point indifférent. “ J’ai envie de dire que je ne me sens pas vraiment aujourd’hui lié par ma race ou par mon identité de Babimbi… ”, a-t-il lancé d’entrée de jeu après une présentation succincte de son parcours par le professeur Titi Nwel.
Et à ce propos, on a réappris que Gaston Kelman, après ses études primaires et secondaires au pays de Mongo Beti s’est inscrit au début des années 70 à l’ex-Université de Yaoundé pour des études qui ont abouti à l’obtention d’une licence. Enfant d’une famille aux revenus modestes, il a tout de suite commencé par travailler à Douala dans une société de transport et de transit, avant de partir en France poursuivre une formation en urbanisme. Le contact avec le pays de Jean Paul Sartre a-t-il produit une mutation considérable dans le subconscient de celui qui, à cette époque, était alors un jeune homme espiègle ? Peut-être. Toujours est-il que d’années en années, ce fils de la Sanaga-Maritime va chercher et embrasser les schèmes de l’intégration au pays de Jean-Marie Lepen au point de se sentir désormais “ plus Blanc que les Blancs eux-mêmes ” pour reprendre les termes d’un commentaire suivi dans les coulisses du café littéraire le 24 août 2005 au pavillon culturel le Kaba Ngondo.
Noir, mauvaise conscience de l’Occident
Jugement peut-être excessif, mais qui peut avoir toute sa pertinence lorsqu’on suit la logique du raisonnement de Gaston Kelman. Pour lui, les identités ont bougé. On est plus le produit d’une époque que celui de ses parents. “ On m’a envoyé à l’école pour que je sois un blanc, et pour habiter une maison climatisée ”, a-t-il lancé, au grand étonnement de l’assistance. Cheikh Hamidou Kane, dans “ L’aventure ambiguë ” que la plupart des intellectuels africains ont lu, avait-il fait une erreur de dire “ qu’il faut aller à l’école du blanc pour apprendre à lier le bois au bois ? ” Parce que en réalité, c’est ce que pense Gaston Kelman dans son ouvrage “ Je suis noir et je n’aime pas le manioc ”. L’intention affirmée de l’auteur au début semble, apparemment, de poursuivre la réflexion inaugurée par Frantz Fanon dans “ Peau noire, masque blanc ”.
Mais là où Gaston Kelman choque, et cela lui a été fortement rappelé aussi bien par Basseck Ba Kobhio que Fabien Nkot c’est que, contrairement à Frantz Fanon qui a pour préoccupation l’humanisation et l’affirmation du Noir, dont la valeur anthropologique a considérablement été altérée et paupérisée par plusieurs années d’esclavage, de colonisation et de néo-colonisation, Gaston Kelman au lieu de jouer au tribun du Noir, prône plutôt l’assimilation à la culture dominante du Blanc. “ Que signifie aujourd’hui la culture universelle, sinon un processus qui consiste à se laisser entraîner par les mœurs occidentales ? ” s’ est interrogé dans la salle un des contradicteurs de Gaston Kelman. Ceci parce qu’on a comme l’impression que Gaston Kelman qui assume publiquement et sans aucun état d’âme sa nouvelle citoyenneté française et surtout son identité actuelle de Bourguignon, semble se méprendre sur le fait que “ la race noire constitue un problème partout dans le monde ” comme avait l’habitude de le constater le regretté père Engelbert Mveng. Le Noir fait en effet problème. Il est même la mauvaise conscience de l’Occident qui croît aux richesses de son continent qu’aux êtres humains qui y habitent.
Les damnés de la terre
Basseck Ba Kobhio a insisté en rappelant ces principes. Tout comme Fabien Nkot qui, dans une réplique à Gaston Kelman, a soutenu la logique selon laquelle la race est structurante parce qu’elle est affirmation de l’identité et de la culture des individus. Et dans le cas des Noirs, on ne saurait accepter cette autre logique déstabilisante de leur valeur anthropologique, et de leur mémoire historique qui voudrait faire oublier qu’il y ait jamais eu 500 ans d’esclavage et 100 ans de colonisation inhumaine. C’est encore Basseck Ba Kobhio qui l’avait déjà rappelé à Gaston Kelman lors de son premier passage à Yaoundé au Cc. Que si les Kofi Annan, Collin Powell, Condoleezza Rice existent aujourd’hui, c’est bien parce que les Aimé Césaire, Léon Gontran Damas et surtout Frantz Fanon ont montré que “ les damnés de la terre ” étaient les Noirs et que par conséquent, ceux-ci ont besoin de s’affranchir moralement et intellectuellement, non pas en s’assimilant comme le prône l’auteur de “ Je suis noir et je n’aime pas le manioc ”, mais en s’affirmant sur tous les plans sans complexe aucun.
Au final, on peut se réjouir de la renaissance à Yaoundé d’un véritable espace d’échanges intellectuels comme le café littéraire où l’on a pu rencontrer des hommes comme Jean Emmanuel Pondi, Philippe Bisseck, Célestin Lingo, Basseck Ba Kobhio, Garga Haman Adji, Laurent Charles Boyomo Assala ? Haman Mana et autres, venus tous à la rencontre de Gaston Kelman, le seul écrivain d’origine camerounaise qui a vendu plus de 150.000 exemplaires d’un titre en une seule édition.
Source : Cameroon-Info
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