Ahmedou Ould Abdallah a dit : "il n`y a pas d`alternative. Vous êtes voisins, personne ne peut déménager." C`était à la clôture de la 13ème session de la Commission mixte Cameroun-Nigeria pour la mise en oeuvre de l`arrêt de la Cour internationale de justice (Cij) du 10 octobre 2002, vendredi 29 juillet dernier à Yaoundé, que s`exprimait le président de cette instance créée sous les auspices de l`Onu. Dans l`assistance, un des experts de la délégation camerounaise s`est presque esclaffé. "Les Nigérians sont forts pour faire traîner les choses. On va encore se voir ici dans quelques mois", s`amuse-t-il.
Le prolongement de la réunion, qui devait s`achever à 13h30 et qui a pris fin quatre heures et demi plus tard, conforte d`ailleurs le petit groupe de discussion qui s`est formé entre hommes de médias à la sortie de l`assemblée.
Quelques participants à la session ne confirmaient-ils pas cette manière de voir en expliquant que les Nigérians ont rejeté les premières moutures du communiqué final ? Bien plus, en décidant de "mettre en place un groupe de travail pour élaborer un nouveau programme de retrait des troupes nigérianes et soumettre ses recommandations aux chefs des deux délégations avant la tenue de [sa] quatorzième session" qui se tiendra du 13 au 14 octobre 2005 à Abuja, la Commission a conforté une certaine opinion qui estime que le retrait nigérian de Bakassi n`est pas possible.
Maurice Kamto, le ministre délégué auprès du Vice-premier ministre en charge de la Justice, lui, en se séparant des délégués nigérians, déclarait que la délégation camerounaise avait "hâte d`être" dans la capitale fédérale du Nigeria. Pour M. Kamto, les retards accumulés dans la restitution de la presqu`île camerounaise ne traduisaient pas une mauvaise volonté du Nigeria, la suite des travaux devant permettre de parvenir à ce but. Une attitude que nombre de Camerounais jugent optimiste, en s`appuyant sur les récents événements survenus dans la presqu`île
Compagnies pétrolières
Au mois de juin 2005, des tirs d`obus dans la zone de Bakassi ont effectivement causé, la mort d`un soldat camerounais, graves blessures à un autre, et d`importants dégâts matériels dans l`arsenal des forces armées camerounaises. Dans un communiqué officiel publié le 22 juin, le gouvernement camerounais avait accusé Abuja d`avoir commandité "des attaques répétées des forces nigérianes sur les positions camerounaises les 5, 17, 18 et 21 juin 2005", et annoncé son intention de saisir l`Onu. En réaction, le président nigérian, Olusegun Obasanjo, s`était prononcé en faveur de l`établissement d`une commission d`enquête, pour tirer au clair l`affaire qu`un de ses émissaires, reçu à Yaoundé le 20 juin, M. Owolabi, avouait ne pas connaître.
Les affrontements s`étaient d`ailleurs déroulés, alors qu`une réunion de la Commission mixte Cameroun Nigeria en charge de la mise en oeuvre concertée de la décision de la Cour internationale de justice, devait se réunir entre le 10 et le 15 juin, selon les déclarations du président de cette instance, Ahmedou Ould Abdallah, reçu en audience en mai dernier par le président Paul Biya au palais de l`Unité. L`agence de presse Chine Nouvelle, le 28 juin dernier, annonçait cependant que la reprise des travaux de cette Commission, mise sur pied par le secrétaire général l`Onu, et la volonté bipartite d`Olusegun Obasanjo et de Paul Biya, devait avoir lieu "dans moins d`un mois".
La situation du régime d`Olusegun Obasanjo et du Nigeria en général n`est pas étrangère à cette position. Bénéficiaire d`un modus vivendi entre les grands groupes ethno-politiques nigérians, le président de la fédération nigériane a clamé à plusieurs reprises sa bonne disposition à faire appliquer l`arrêt rendu par la Cij le 10 octobre 2002. Mais, estiment certains analystes, Obasanjo ne peut se permettre de remettre Bakassi au Cameroun, au risque de soulever la colère de ses successeurs potentiels et soutiens actuels. C`est pourquoi Abuja fait traîner les opérations de retrait des troupes nigérianes dans la péninsule. Avant le blocage de juin, le Nigeria avait ainsi évoqué des "difficultés techniques" pour justifier l`ajournement de la descente des équipes de la Commission sur le terrain.
De son côté, le président camerounais et son gouvernement ne semblent pas plus libres. Généralement classé dans les pays du pré carré français, le Cameroun, en raison de la présence importantes d`entreprises françaises et des liens historiques qui le lient à la France, ne peut pas résoudre le conflit de Bakassi sans tenir compte des intérêts économiques importants de la France au Nigeria. C`est, du moins, ce que pensent des observateurs des relations entre les Etats de la région. Pareillement, si Yaoundé s`est abstenu jusqu`ici de faire partir plus rapidement le Nigeria de Bakassi par le canal d`une résolution du Conseil de sécurité, c`est que la diplomatie américaine, qui protège les intérêts des compagnies pétrolières des Etats-Unis, névralgiques pour le fonctionnement de l`économie des Usa, s`active en coulisses pour calmer Yaoundé, sans véritablement mettre la pression sur Abuja.
Pour d`autres, par contre, la simple évocation du différend de Bakassi, dans les réunions internationales où le Nigeria promeut sa candidature pour un siège de membre permanent du Conseil de sécurité, devrait pouvoir mettre suffisamment la pression sur Abuja. "De dire dans chaque rencontre entre Etats, ou de mener une campagne internationale qui aurait pour but de montrer que le Nigeria n`est pas un pays respectueux du Droit international qu`il entend promouvoir en entrant au Conseil est une arme que la diplomatie du Renouveau n`emploie pas", analyse un membre de la délégation camerounaise, qui cache à peine sa gêne devant l`enlisement du dossier.
Source : Mutations
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